Passé en France vers midi. La voiture est pleine: livres, bière (trente-six litres), quelques utilitaires de combat, des bananes. Bardonnex: “circulez!”. Longue route, température moyenne et ces paysages allongés, verts, humides — nous sommes en juin. Fermes de pierre, héritées; maisons de cartons, acquises. Anciens et Modernes, en bord de route, conquérants mal lotis. Situation peu vivable, noyée de bruit; l’esthétique est brouillonne. Propriétaires anciens, changement d’époque, propriétaires modernes, victimes. Ensemble de sujets auquel je songe en passant à bonne vitesse, cent-quarante à l’heure, sur le réseau automobile-économique. Dans le même temps, déchiffrant les panneaux de lieux, de villes, de directions, de désirs, fléchage de propagande qui organise cette région de moi connue, je revis des épisodes de ma vie ascendante, saoulerie dans la villa d’un fils à papa iranien avec des étudiants de Droit-volée 1986 au Pont de-la-Caille, bar des fous de Cruseilles avec l’Homme aux rats et à L’Est, au-dessus des collines, ma cure d’Eglise de Lhôpital achetée et rénovée et perdue (2005–2011), et finalement abandonnée à pied pour échapper aux gendarmes qui faisaient le siège pour prendre mon ADN. Les enfants, petits. Chaque jour, il fallait les amener à l’école; cent vingt-six kilomètres d’autoroute. Et les querelles avec Gala (couteau-cris-bock-sang), et les maçons roumains qui puent en chambre, rénovent autant qu’ils détruisent. Plus tôt dans l’ordre des réminiscences, comme je roule au large de ce château paysan où nous avions trouvé refuge en 1998 lors d’une traversée à vélo sous la pluie, je songe à cette fille, Emilia: elle faisait blocus, voulait à tout prix m’embarquer, me mettre au lit, elle voulait conclure. Suffit! Après deux mois dans la montagne vaudoise au prétexte du virus, je vais, je roule ma voiture, j’accélère sur la ligne. Avec un but: arriver. Chez moi. Hors de Suisse.