Mouvement 32 — fin

Quit­té à quinze heures la mon­tagne. Ambiance morose, inchangée, peut-être typ­ique du lieu. Il y a deux mois, au lende­main de l’in­stal­la­tion, il neigeait. L’été est venu sans mod­i­fi­er le silence archi­tec­tur­al et humain. Je charge la voiture de nos habits, des livres (Haber­mas, apporté et rem­porté, sans l’avoir lu) et des armes, ain­si que des dernières palettes de bière acquis­es sous actions, trente-six litres. A Lau­sanne, je reprends pos­ses­sion de l’ar­rière-bou­tique. Le temps va, je déteste tou­jours plus cette ville. Quelle ville d’ailleurs? Con­glomérat avec totem, com­mu­nauté imag­i­naire et col­oriée, aimant l’ar­gent plus que la vie. N’ai qu’une impa­tience, me triss­er. Comme je ne peux pas, je me calfeu­tre. Mon pro­jet et de m’en­fer­mer entre les murs, de ne ressor­tir que pour démar­rer la voiture, pass­er les fron­tières, rejoin­dre ma mai­son en Espagne — ce qui est prévu pour jeu­di. Or, voilà Mon­père. Nous dînons dans une pizze­ria. Alerte, con­tent, sa femme hon­groise en Hon­grie, il met la mesure aux étranges phénomènes vécus ces dernières semaines, d’avis comme je le suis que le court-cir­cuit est d’abord orchestré et poli­tique. Il m’ap­prend aus­si que son ami d’en­fance B. est mort. Quel âge? “Sep­tante huit et demi”, me dit Mon­père. L’ an-demi étab­lis­sant que B. était son aîné de six mois. J’ai vu B. une seule fois, en 1980, avec mon amie du jour, une cama­rade de classe du col­lège du Belvédère autrement dégour­die que je ne l’é­tais. L’homme étant mécano, il nous avait emmenés au motocross de Pay­erne. A ma ques­tion, Mon­père répond: “Mort de quoi? De sa vie, B. n’est jamais allé chez un médecin ou chez un den­tiste. De tout!”. Le soir, après une sieste coma­teuse, longue con­ver­sa­tion avec Evola sur les voy­ages sous LSD, dans son cas plus de cinquante. Le matin, au milieu du chant des oiseaux de Grancy, tous util­i­taires éteints, heureux de n’ex­is­ter pour per­son­ne, de n’être pas, je dors et som­nole dans la pièce-refuge entre les vas­es, les toiles, les peaux de chèvres jusque passé midi tan­dis que H. pré­pare pour la benne-poubelle sept à huit mille affich­es non-col­lées qui représen­tent un par­tie de ce manque à gag­n­er qui, depuis le 18 mars (jour de l’in­ter­dic­tion des man­i­fes­ta­tions) pro­gresse ver­tig­ineuse­ment, atteignant aujour­d’hui un équiv­a­lent son­nant et trébuchant de quelque deux-cent mille francs.