Mois : décembre 2019

Baguette

Le boulanger dépo­sait une baguette dans laque­lle il cro­quait dès la livrai­son sans trop voir, sa longueur étant vari­able et fan­tai­siste, com­bi­en de temps elle lui dur­erait. Les semaines où il peinait à venir à bout, mâchant pen­dant des heures une mie dure, il se ras­sur­ait en songeant que le com­bat fini le boulanger livr­erait une baguette nou­velle, fraiche et ten­dre. Les dernières années, il s’in­quié­tait de la longueur crois­sante de la baguette, véri­fi­ant avec anx­iété devant le miroir ses dernières dents.

Rêve

Dans un champ d’eu­ca­lyp­tus, face à un sol­dat armé et prêt à ouvrir le feu, je vois que mon G19 n’est pas chargé. Si je m’im­merge dans le feuil­lage pour rem­plir le mag­a­sin, le sol­dat est rejoint par le reste du com­man­do; si je fuis, il m’a­bat. De ma poche, je tire un Shemagh, le con­sid­ère: “là réside la solu­tion, mais laquelle?”

Vers la Sarine

A Fri­bourg pour une tournée d’af­fichage. Exacte­ment, de sur­veil­lance du réseau. Trois cent pan­neaux répar­tis dans la ville de la Mot­ta à Vil­lars-sur-Glâne, de l’Alt à Pérolles. Je repère et je pho­togra­phie. Je note les répa­ra­tions. Same­di vaporeux et froid, alors que Lau­sanne flam­bait sous le soleil. Etrange jux­ta­po­si­tion dans cette ville des rues com­merçantes et des quartiers d’habi­ta­tion. Les unes pas­santes, les autres muets. Aux abor­ds de Beau­mont — blocs d’im­meubles dis­posés en quadrillage — une sen­sa­tion de vide saisit le marcheur. L’ensem­ble a des airs d’aquar­i­um en béton. Le brouil­lard est flu­ide au niveau des chevilles, les arbres plus noirs que la réglisse. De temps à autre appa­raît une sil­hou­ette, vieil­lard clop­inant, mère pous­sant un lan­dau, jeunes sous un abribus. Les bruits sont rares, les oiseaux en obser­va­tion. Un homme net­toie sa voiture à haute pres­sion. La main sur la gorge, la cas­quette tirée jusqu’aux oreilles, j’a­vance à grands pas. Face aux pan­neaux, je sors mon appareil, prend un cliché. Ain­si pen­dant trois heures, gag­nant ensuite la ville-basse, amon­celle­ment de chapelles, de portes, de pont et bâtiss­es dans son décor de mol­lasse et d’eau. Lieu enchanteur de la ville.

AVS

Chap­paz: “Alors je me prom­e­nais avec lui [Quin­odoz] et on s’ar­rête con­tre le mur d’une mai­son en sor­tant d’Evolène. Je l’at­tends, il par­le avec un homme qui était devant une écurie, à ratel­er du foin. Ils ont con­ver­sé un moment en patois, puis j’ai vu Quin­odoz rire et l’autre sourire d’un sourire rocailleux. Je l’ai inter­rogé: “Qu’est-ce que vous vous êtes dit?” — “Ils ont reçu l’AVS. Ils n’avaient rien demandé, mais main­tenant ils ont reçu l’AVS, sa femme a reçu soix­ante francs, lui a reçu hui­tante francs et il dit: “A Sion, ils sont devenus fous, ils ne savent plus que faire, ils nous ont envoyé de l’ar­gent. Il paraît qu’ils vont encore en envoy­er à d’autres chaque mois. Il sont devenus com­plète­ment fous.” A‑Dieu-vat!, entre­tiens avec Jérôme Meizoz.

TM3

Sor­tie offi­cielle du livre le 15 novem­bre. Aucune nou­velle de l’édi­teur. Ren­dez-vous pris avant cette date, je devais être, sur son invi­ta­tion, à Bienne où se tient ce dimanche 15 décem­bre un marché lit­téraire. J’at­tends la con­fir­ma­tion. Elle n’ar­rive pas. Je ne donne pas suite. Per­son­ne ne s’en inquiète. Peut-être con­vient-il de dis­tinguer — en Suisse d’abord — entre un édi­teur et un imprimeur de livres.

TM2

Quelques jours après la sor­tie en librairie de TM, comme je cherche des lignes qui lui seraient con­sacrées dans la presse, je trou­ve le texte disponible au télécharge­ment gra­tu­it sur un site indonésien. Rédigée par un robot, la notice de présen­ta­tion me présente (de même que les autres écrivains piratés, auteurs de livres sur la bio­mé­canique, la danse ou la cul­ture du maïs) ain­si: “écrivain de qual­ité dont le livre ici est impor­tant et qui a récolté beau­coup de cri­tiques très bonnes…”.

Monde

Pour rejoin­dre le monde, il faut com­mencer par quit­ter la société. A recu­lons, on gagne sa mai­son et sa cham­bre dont on ferme la porte. Alors, pour autant que l’on obti­enne le silence (toutes sortes d’ob­jets lancés à tra­vers le temps et l’e­space vous cherchent), on voit que c’est bien le lieu où chercher.

Neige

Venu d’Es­pagne pour une journée de tir dans le valais, elle est annulée. Le prési­dent su club appelle: “il est tombé un mètre de neige, l’ex­er­ci­ce est reporté”. La veille, journée tiède. Le lende­main, pluie douce. L’après-midi, comme je me rends à Leysin avec Gala, nous trou­vons une mon­tagne sans neige.

Dans la société

Tran­quille pro­liféra­tion des dénon­ci­a­teurs qui témoigne de l’as­som­brisse­ment de notre ciel.

Avion

Trois heures d’at­tente à l’aéro­port de Barcelone, les aigu­illeurs français blo­quant le ciel au-dessus de Mar­seille. Je ne me plains pas. Par­ti la veille en taxi d’A­grabuey pour dormir à Huesca et pren­dre le train du matin, il me restait selon horaire quar­ante-cinq min­utes entre l’ar­rivée à la gare Sants, au cen­tre de Barcelone, et la fer­me­ture des portes d’embarquement dont dix-sept à pass­er dans le métro. Sans les Mar­seil­lais, je restais au sol.