Mois : novembre 2019

Equation

Que font les indi­vidus inféodés aux sché­mas de pou­voir, donc par eux seuls motivés, sinon nous entraîn­er à croire que les détails sont de la plus haute impor­tance afin de dis­pers­er tout regain indi­vidu­el d’én­ergie? La force con­stru­ite par l’in­di­vidu — men­tale, physique — quant elle est bien ori­en­tée, est à l’op­posé: elle con­stru­it par son exem­plar­ité un espace d’in­té­gra­tion et nég­lige les détails; de fait, pour attein­dre son but qui est tout uni­versel, dis­pers­er des éner­gies serait un luxe.

Post-christianisme

Plus que jamais con­va­in­cu que c’est la foi qui crée son objet et que l’ob­jet est moins un repère que la foi une direction.

Journaliers

Longue pluie sur Agrabuey. Le pois­son­nier qui nous vient les mer­cre­dis de Saint-Sébas­t­ian a mis la capuche. Un toit est en réfec­tion près des anci­ennes écoles. Même équipe que sur mon chantier, le maire, l’a­bat­teur et José, l’aide aphone, la clope au bec. Un livre dans mon cabas (La dimen­sion caché, un traité d’étholo­gie), j’at­tends mon tour pour acheter oignons doux et morue, olives et cit­rons. Mais n’ose lire. L’après-midi, je fais de la corde à sauter sur la piste de pelote basque; le soir je reçois Fran­cis­co, le savant du vil­lage, his­to­rien, écrivain et chercheur, qui me dit: “j’en­quête sur le cerveau, sa taille, l’évo­lu­tion des mesures et j’ai la con­vic­tion que Dieu n’ex­iste pas: il s’ag­it d’une idée pro­duite par notre capac­ité de con­nais­sance”. Plus tard, retour aux con­stantes: com­bat de MMA entre Magomed­sharipov et Bochni­ak, un chef d’oeu­vre de vio­lence et de déter­mi­na­tion. Puis apaisé, je lis Mon­taigne (Voy­ages) et Dos­toievs­ki (L’id­iot) — sur­pris dans ce dernier cas du change que don­nait, en cette époque reculée de déca­dence du tsarisme, la parole, apte encore à fonder un statut et un rap­port financier.

Asymétrie

L’écrivain le plus dan­gereux en 2019? Des lecteurs qui savent lire.

Rêve

La Rolls à peine garée, radi­a­teur vis­i­ble depuis la récep­tion d’hô­tel que je viens d’at­tein­dre avec mon épouse, elle vêtue d’une élé­gante veste de peau, j’ob­tiens les clefs de la suite royale, remer­cie l’employé pour son mot de bien­v­enue, puis soudain déclare:
-Comme ça, nous aurons les points Dia pour les boîtes de sar­dines gratuites.

Espagnols massifiés

Ils savent peu et mal, mais s’ef­for­cent surtout de ne pas en savoir plus, crainte que cela mette en ques­tion le peu qu’ils savent dont il font, par com­mod­ité, une certitude.

Gala

Loin­taine, à son habi­tude. Par­ti avec rage de Flo­rence fin août, je renoue, de mon pro­pre chef, par usure, souf­france, fatigue, sagesse (elle n’ap­pellerait pas), et la trou­ve, dif­fi­cile­ment, par écrit, puis, après négo­ci­a­tion (deux semaines), par télé­phone. Où est-elle? “Tu es où?” Sans que je sache où elle est — elle ne le dira pas — elle con­te que “c’est scan­daleux”, qu’embarquer tous les meubles ain­si, en un quart d’heure et quit­ter l’I­tal­ie, c’est une folie (tout le monde le dit: “tu es fou!”)… avant de m’ag­o­nir. En fin de compte, il y a broderie. Torts partagés (ce qu’elle ne dirait pas, mais je signe mon inter­pré­ta­tion des bavardages de cou­ple), et nous en venons à l’é­tat présent: flou, indé­cid­able, à pré­cis­er. Ce qui veut dire? Qu’elle est où elle est, que je suis à Agrabuey et que “oui, bien sûr”, nous avons tout à faire ensemble.

Retour

Epatante cul­ture des vil­lages: à l’in­stant, je reviens du bar. S’y trou­vaient tous les voisins, mais aus­si, car c’est Tou­s­saint donc jour fes­tif, les pro­prié­taires loin­tains de maisons, arag­o­nais, basques, madrilènes, navar­rais. Réu­nis en soirée, au fond de ce trou géologique qu’est Agrabuey, tous ensem­ble nous tenions le comp­toir, nous ver­sions du vin, nous tenions la con­ver­sa­tion. Cha­cun fait une halte et annonce ce qu’il aimerait faire, doit faire, souhait­erait devenir — une société ter­ri­enne, bricolée si on veut, mais fac­teur d’avenir, car une chose est ici sans doute: nous avons, les uns dans les autres, confiance.

Réception

Lau­re avait fini de dis­pos­er les plats, je nouais ma cra­vate, lorsque la son­nette reten­tit. J’ou­vrais. Sur le palier se tenaient dix hommes en cos­tume.
-Nous ne sommes pas les bien­venus!
Ils entrèrent. Je ne les avais jamais vus.

Silicon valley

Dans les milieux technophiles et argen­tés, améri­cains surtout, le boud­dhisme appa­raît comme une reli­gion de sec­ours. Para­doxe étrange. C’est une philoso­phie de pau­vres. Les tech­niques rudi­men­taires qui agen­cent les indi­vidus des sociétés du bassin du Gange (orig­ine du Boud­dha, et je met de côté l’ac­cli­mata­tion de la pra­tique en Asie du sud-est) ren­dent néces­saire, par mesure de sauve­g­arde psy­chologique, l’idée que à la fin du com­bat pour la survie du corps pro­pre, la mort, n’est pas la néga­tion du com­bat, mais l’abo­li­tion de l’ef­fort, donc un posi­tif, et bien­tôt, par muta­tion théologique, l’équiv­a­lent de l’atarax­ie grecque ou du par­adis géné­tique, alors que la mort n’est ni ceci ni cela, elle n’est pas sen­sée, elle est — pos­i­tive­ment — rien. Ce que les tech­no­cap­i­tal­istes d’ailleurs répè­tent à l’en­vi, du moins lorsqu’il s’ag­it d’en­granger des investisse­ments pour dépass­er le rien.