L’essai est à Paris, chez l’éditeur, prêt à partir pour l’imprimerie. La version espagnole est sur le bureau du professeur de philosophie. Il vient d’annoncer qu’il corrigerait cette fin de semaine. Quant au projet de camp de Krav-Maga — dossier trilingue achevé hier — j’ai reçu tout à l’heure l’aval du maître israélien: il viendrait donner ses cours à Trat, en Thaïlande. Dernière soirée dans les Pyrénées en compagnie d’Evola (assis au salon, il monte un film sur la région… et Pessoa). Demain, départ pour la Suisse.
Mois : septembre 2019
Vie (après la mort) 2
D’accord, je veux bien. Energie partout, partout continuité, ainsi que me l’expliquait hier P. A quoi j’objectais après avoir dit deux fois “oui” que cela ne disait rien du parage de ce qui seul, quand bien même l’on professerait que ces interrogations métaphysiques sont déclenchées par l’angoisse naturelle du vivant, compte: le moi, la conscience, l’individualité. Et je me retenais devant la forte émotion de l’interlocuteur de déclarer que dans le fond je ne tenais à la vie que par ces trois éléments miens et qui tout entier me délimitent, et qu’une fois effacé les éléments de fixation personnelle, je ne voyais pas d’inconvénient à retourner à une soupe primordiale, mais aussi que rien alors n’importait plus, ni la continuité ni l’énergie.
Cycle
De la liberté. Plus de liberté et une liberté plus grande. C’est misère que cette ombre qui se propage. Un désespoir de ne pouvoir s’opposer. Mais peut-être est-ce simplement que nous avons atteint le point d’inflexion. Commence le chemin du retour. Le maximum recherché, cet idéal, a produit un maximum réel. Partager à grande échelle cette liberté sans perdre en même temps de la qualité humaine, était impossible. Conséquence fatale du règne massif. L’ombre s’étend. Nous entrons dans la nuit. L’indifférenciation. A terme, nous aurons à reparcourir le cycle qui mène de l’état de nature à la liberté maximum, puis nous passerons par l’inflexion, avant de chuter, encore et encore.
Fungus 3
Donc, j’ai ce fungus sur les c.… Fungus, je répète ce qu’on me dit; m’eut-on diagnostiqué un malinonce ou une estramexiose, je répéterais de même — quoi d’autre? Avant de me coucher, je soulève mon appareil, le trouve rouge et constate que j’ignore tout de son état habituel m’étant jusqu’ici peu inquiété de ses plis et replis. Une supercherie! Entrer dans un cabinet médical ou dans un garage, l’expérience est proche: attitude maîtrisée de l’interlocuteur, langage ésotérique (bielle, trachée, fistule, piston), rapport incompréhensible, si bien qu’à la fin, les c… sous le bras, on se demande: “est-ce bien de moi dont il a été question?”. Puis, retour à la séance d’auto-voyeurisme, je vois le rouge et oui, “c’est bien à moi, ce truc”. Alors j’égrène en hypocondriaque toutes les hypothèses, cherchant parmi les fréquentations, relations et gestes récents une cause. Avant de me rabattre sur ce mot, décidément bien utile, “fungus”.
S.P.
La dictature est la résultante d’une configuration psychologique. L’individu, épuisé par ses efforts, marqué par les échecs, incapable de croire en soi, pusillanime, remet sa responsabilité entre les mains d’une figure qui a su persuader qu’elle prendrait à charge, mènerait à bien, aboutirait. Dans l’état de notre société, pareil cauchemar est improbable. A contrario, le totalitarisme s’installe à force de mesures publiques, au nom du bien collectif. Il valorise l’individu et sa conscience de la liberté, il flatte sa responsabilité et son engagement — puis brusquement, confisque. (S.P. — Société Poubelle).
Citation
“Je me trouvais au restaurant de la Sourdière, seul en face d’un inconnu qui me demande s’il peut me poser une question. J’acquiesce.
-Que pensez-vous, me dit-il, qu’il adviendra d’un homme qui, à cinquante ans, est en proie à une occupation de tous les instants contraire à ses goûts et qui l’ennuie?
-A moins qu’il n’accepte son état par une sorte de religion ou pour l’amour de quelqu’un, je pense qu’il abandonnera ou mourra.
-Eh bien! Monsieur, les deux premières conditions écartées, comme il n’est pas question de quitter, c’est la dernière solution qui m’attend.
Sur ce, il se lève. Nous nous regardons, en nous serrant longuement la main et il est parti, sans se retourner.” Marcel Jouhandeau, Sur la vie et le bonheur
Incubus
Ciel tendu. Profond. De toute la journée, pas un nuage. Un vent rapide agite l’arbre. Les oiseaux tournent au-dessus des anciennes écoles. Je traduis pendant des heures. Parfois, un morceau de toit tombe sur le plancher- je ramasse, je jette. A la pause, je lis Saint-Ignace de Loyola. Son autobiographie, dictée à un autre jésuite, le père Gonçalves da Camara. Etrange fascination de fondateur de l’ordre pour la légende chevaleresque (il est alors en route pour Jérusalem). Pas assez avancé dans le texte, pour opiner plus avant. Retour aux difficultés de l’espagnol (ma traduction), langue peu faite pour la philosophie et les arguments architecturés. Langue terrienne. Colorée, vivace, aujourd’hui dépouillée des “conceptismes” et complications baroques, mal à l’aise avec les énoncés techniques, qu’elle importe en vrac. A la fin du jour, musique extrême et tour du village. Aussitôt lancé, je me ravise: si je rencontrais quelqu’un il faudrait échanger — je n’en ai aucune envie. Et je rentre. Trois minutes hors du foyer d’incubation.