“En matière de jeux vidéo ou de films, l’immersion virtuelle va bientôt être visuellement indissociable du réel. Le rôle du virtuel en tant qu’échappatoire pour vies dénuées de sens des “gens qui ne sont rien” fait à mon avis partie de la stratégie des classes dominantes pour la gestion des masses dans un monde où elles deviennent inutiles.” Vincent Vershoore.
Mois : juillet 2019
I.A.2
Hier, dans le grand magasin d’électronique Media World de Scandicci. Un écran sous le bras, je fais la file pour les caisses. Il y a du monde, je suis pressé. Un vieil adolescent dans un pyjama, malpropre, sans dire bonjour, m’adresse une demande. Je fais répéter. Encore. A la troisième répétition, je comprends. Il dit: “avez-vous des choses urgentes à faire, sinon je vous précède!” Je fais signe d’y aller. Nerveux, transpirant, le visage démangé de tics, il regarde avec émotion la manette de jeux vidéo qu’il va acheter.
Incendie à la ferme
Je skie sur l’herbe. En bas de la pente apparaît la ferme familiale. La porte est ouverte, la lumière allumée. J’appelle. Il n’y a personne. L’incendie démarre. Le feu prend à l’extérieur. La façade de bois s’embrase. “Quer faut-il sauver en pareil cas?”, me dis-je. Je ne trouve pas. “Tu t’es préparé à ces risques, tu dois savoir!” Je me précipite dans l’escalier, cherche les liasses de billets cachées sous les piles d’habits, dans l’armoire de pin. Je trouve les sachets de vrenelis. Du salon, j’apelle les secours au 112. Deux agents viennent. Il regardent les flammes. Demandent mon identité.
-Mais ça brûle, c’est urgent!
-Oui, oui, on voit ça! En attendant, préparez-nous un café!
Je cours dans le jardin, creuse la terre, j’enfouis les pièces d’or. De la montagne enneigée déboulent trois camions de pompier rouges.
-Il sont beaux ces nouveaux modèles, commentent les agents, mais est-ce qu’ils viennent ici?
Fin juillet
Les derniers Florentins paressent sur les bancs, à l’ombre des corniches, dans les parcs. Les autres ont quitté la ville. Chaque fois que je pose la question, on me répond : je vais à la mer. Tout de même, la sensation est étrange. Hier soir, comme je revenais du club de sport, j’avais l’impression de circuler à travers un désert urbain, dans une atmosphère de dimanche. Tout à l’heure, nous irons en ville, près du Vieux Pont, boire avec des amis sur les berges de l’Arno. Y aura-t-il des touristes? Des milliers, bien sûr, en cohorte, les long des trottoirs bombés. Mais il y aura aussi des vides, une foule cadencée, l’absence des habitants italiens, partis au frais, les autres retranchés dans les Trattorias ou cachés dans les parcs.
Enfants
Ecrit une lettre d’admonestation aux enfants. Il y a urgence. A décider. Car ils sont à la croisée des chemins. Je leur propose une sorte de pari pascalien. Où il n’est pas question de croire, mais de lire. Si vous ne lisez pas dés maintenant, leur dis-je, et à l’avenir, sans perdre un jour (je jurerais que mon fils n’a pas lu un livre en entier de sa vie et il aura vingt ans au mois d’août), vous serez rangés, avec le commun, dans cette catégorie neuve, abrutie, numérique, anti-critique et malléable, et bientôt malheureuse. Ma conviction: la substance qui fait la personne sera perdue. Ajoutons, impossible à reconquérir.
Beyle et le Cardinal
Le Cardinal de Retz nous raconte ses duels et ses troussages, son ambition politique et ses calculs de mariage. Comme Stendhal, qui fait d’ailleurs l’éloge de l’aîné dans ses Mémoires d’un touriste, voyage en Bretagne et en Normandie, il court, observe, entreprend, fait et défait. Bref, tous deux s’agitent. Déportés ici, exilés là, ils visitent la France, passent de la visibilité à l’invisibilité. Ce que nous ne pouvons aujourd’hui. Certes, les déplacements sont incessants. Voiture, train, avion, tour du monde. Le plus souvent, nous allons immobiles, assis, transportés tels des paquets entre les mains d’une équipe de livraison. Quant à nos trajectoires, elles sont commerciales, donc dégagées, coordonnées et conformes. Impossible de s’échapper. L’esprit d’aventure qui anime le Cardinal comme Beyle (ainsi que se nomme Stendhal, qui aime parler de soi à la troisième personne) tient à la possibilité de s’essayer sans cesse sur des scènes différentes. S’il y a échec, il leur suffit de s’en aller. Réputation gâchée à Versailles? En route pour Paris. Une conjuration déjouée en Bretagne? A cheval! Cette folle agitation n’est pas insensée. Ces hommes-là accumulaient en quelques années une expérience inédite. La France d’hier était plus vaste que le monde d’aujourd’hui.
Di2
Au départ de l’Espagne, j’ai fait une liste des affaires de vélo. Puis une seconde. Et pris de l’avance. Quatorze jours. Réuni le nécessaire: chaussures automatiques, lunettes, cuissards, maillot, coupe-vent… Et démonté le vélo, nettoyé le vélo, placé le vélo dans la voiture. En Italie, je vois que je n’ai pas de pompe. J’achète (pour la trentième fois), pas de rustines (j’achète pour la deux centième fois), pas le cable qui permet de recharger le changement des vitesses électroniques. Je cherche un fournisseur. Trois heures de travail. Je le trouve. Gala appelle. Il rappelle. Je demande le prix. On me le donne. Cent dix francs. Pour faire trois ou quatre sorties… Puisqu’après, je retourne en Espagne, où se trouve mon cable. Depuis, je passe et repasse devant le vélo, ne sachant que faire: achète, achète pas? Qu’on ne me parle pas d’électronique. Oui, c’est génial. Quand ça marche. Quand on pense à tout. Quand on sait réparer. Quant on a son mécanicien à portée de la main. Non, ce n’est pas génial, c’est compliqué.
Ecrivain
L’essai sur cybernétique et libéralisme est à Paris, entre les mains de l’éditeur, lequel annonce la publication pour le début de l’année. Après ces vagues de corrections et en attendant la révision ligne à ligne, j’ai écrit Le roi de Suisse, une farce en sept actes. Au-delà du plaisir d’écriture, inutile d’espérer voir la pièce mise en scène : le gouvernement par la subvention des théâtres exclut d’emblée ce type de propos anti-idéologique. Hier, bière et cinéma américain dans la catégorie “deep shit Arkansas”, soit ces drames produits par des réalisateurs indépendants qui évoquent le destin calamiteux des villes en faillite de l’Amérique profonde. Ce matin, commencé la traduction de l’essai à l’espagnol. Mes enfants ayant perdu le dictionnaire bilingue dont je me suis servait à l’université, j’ai commandé le même volume à une brocante d’Allemagne. Déposé par la poste dans les deux jours, il a coûté 8 Euros. Second motif de satisfaction, retrouver ces pages. Je feuillette avec délectation, glane dans les mots qui précèdent et suivent ma recherche, agence les phrases de mon propre texte comme je l’ai fait si souvent, assis au fond de la bibliothèque des Philosophes, aux Bastions, sur les textes médiévaux et classique de la littérature espagnole. S’y ajoute désormais la consultation des traducteurs électroniques dont il faut vanter la pertinence; mais aussi noter que la recherche sur internet d’une expression mène automatiquement à une réponse, je dis bien “une”. Ici, pas de contexte, pas de rencontre surréaliste, pas de vagabondage de l’esprit au hasard des pages. Ainsi de ce merveilleux “parkérisation”, que j’inscrirais volontiers au nombre des produits de mon Générateur de vocabulaire s’il n’existait dans le Larousse. Nulle doute que je n’en fasse bon emploi lorsque je décrirai la capitale de la junte birmane, Naypyidaw.