Mois : avril 2019

Agrabuey

La pluie. Les eaux. Elles ruis­sel­lent sur les ardois­es, inon­dent le pavé, vont à la riv­ière. Dans notre rue du Vil­lage des Champs, entre voisins, abrités par des para­pluies, nous buvons un verre. Le paysan se félicite. Il n’avait pas plu depuis févri­er. Mon autre voisin, géo­logue et guide, est par­ti faire du VTT ce matin avant l’a­verse. Il emmène demain un cou­ple dans les hauts. Des Por­tor­i­cains. Au télé­phone, le Mon­sieur dis­ait: “nous serons au ren­dez-vous si Dieu le per­met. Quel temps va-t-il faire? Ah! Oui. Mais il faut espér­er, tou­jours espér­er!”.
-Des évangélistes, quelque chose comme ça…Dit le guide.
Puis nous par­lons de Hous­ton, de l’At­las maro­cain, des heurts à la fron­tière guaté­maltèque, de la guerre au Don­bass. Jeu­di dernier, notre ami qui vit dans l’an­ci­enne école d’A­grabuey com­mençait une marche sur les pentes de l’Ever­est. L’avion qui devait les embar­quer appa­raît dans le ciel. Il s’écrase. Deux morts, vingt blessé. Hier soir, il écrit. Il vient d’at­ten­dre les 5800 mètres. Pen­dant ce temps, je fais du vélo. Comme il pleut, à l’in­térieur. Sur vélo sta­tique avec roue de fonte. Entraîne­ment frag­men­té et con­férences de Lucien Cerise, de Bernard Stiegler. Le bois brûle dans le poêle. Ensuite, en con­tact par visio­phonie avec Mon­frère, quart d’heure de tra­vail. Qui con­siste à résoudre les prob­lèmes que provo­quent les fonc­tion­naires lau­san­nois qui nous empêchent de tra­vailler — en société de marché, tra­vailler veut dire servir les clients. Plus tard, com­bats MMA. Trois. Femme con­tre femme. Poids légers. Russe con­tre Russe. Poids lourds. J’ar­rose de bière. Puis rapi­de sur­vol de la presse où je lis le pro­gramme d’un des mes édi­teurs (ancien édi­teur, tout cela est révolu) pour le Salon du livre et de la presse de Genève, en mai prochain. Gens que je con­nais mod­érés par des gens que je con­nais inter­viewés par des gens que je con­nais, tous à la fois jour­nal­istes, écrivains, édi­teurs et fonc­tion­naires, et amis, et enne­mis, et amants, et par­ents. Reste les oiseaux. Il chantent dans la nuit, sous la pluie, sous ma fenêtre. Il faut les sauver. Et lancer la hache, dès le petit jour.

Nuit

Agrabuey — vaine­ment, j’es­saie de dormir. Sous ma fenêtre, à qua­tre heure, une oiseau chante. Sans arrêt, il chante. Mille fois, je me tourne. Jouant avec les images qui défi­lent sous les paupières, je veux chas­s­er les mots qui font phras­es pour trou­ver le som­meil, Plusieurs fois, je crois y par­venir. J’é­choue: l’oiseau est là — il chante. Puis je m’en­dors. La police m’in­ter­pelle. Un femme se tient en bas du talus. Je m’ap­proche et lui tiens ce dis­cours: “Voyez, la police m’ar­rête. Mais j’ai un apparte­ment avec vue sur la mer (en même temps, je pense, “il n’y a pas de mer”, mais mon toupet lui fera croire le con­traire). Nous irons ensem­ble. Vous êtes belle! — Mer­ci — Très belle! Moi, je suis ici et là. Où la police veut que je sois. Et je vous con­nais. Vous étiez à la sta­tion de bus de Saragosse (la veille, j’é­tais à Saragosse, il y avait une femme russe accom­pa­g­né d’un Russe au pro­fil maffieux), mais aus­si, vous avez dû oublié, à Moli­na de Aragon, c’é­tait l’an dernier (l’an dernier, à cette époque, j’é­tais en effet à Moli­na,). Bref, un rêve far­felu, n’é­tait-ce que pen­dant ce dis­cours je garde la per­cep­tion des lim­ites de la cham­bre, je sais que je rêve, j’en­tends l’oiseau qui chante. Au réveil (trois heures de som­meil), l’av­o­cat Diego m’at­tend dans la rue du Vil­lage des champs, nous sau­tons sur nos vélos, grim­pons le pre­mier col. A la fin de la sor­tie, 60 kilo­mètres et 1600 mètres de dénivelé parcourus.

Séquence complète

Réal­isée aux deux tiers, elle mène du 17 févri­er au 1 juin : Agrabuey-Madrid-New-York-Madrid-Genève-Bangkok-Phetchabun-Vientiane–Bangkok-Naypyidaw-Bangkok-Genève-Leysin-Barcelone-Agrabuey-Malaga-Agrabuey-Barcelone-Kiev-Bratislava-Genève

Veille de séquence

Repas avec les enfants dans une cui­sine pleine de soleil. Nous cachons les œufs. Nous cher­chons les œufs. Nous man­geons les lap­ins qu’of­fre Olof­so. Aplo ouvre une vod­ka. Les cig­a­rettes cir­cu­lent. Aplo fait des pom­pes (à l’ar­mée ces jours, et motivé, il grade), Luv essaie des boucles d’or­eilles, elle sort. Je par­le de ce chalet à louer à Leysin, d’Ar’Raqqua et de Homs, en Syrie, où nous étions Olof­so et moi il y a vingt-cinq ans, avant la guerre, puis de la for­ma­tion de “man­ag­er” que souhaite com­mencer Aplo à la fin de son école de ser­gent. Eton­nement de trou­ver les enfants si grands, proches de l’âge adulte, dix-huit et vingt ans cet été.

Avant-veille de séquence

A Lau­sanne avec Evola. Je pré­cise: “ne faisons pas trop tard”. Car j’ai le ven­dre­di, en fin de mat­inée, ren­dez-vous avec Olof­so et les enfants que je n’ai pas vu depuis six semaines. Des bières à la main, nous pré­parons notre itinéraire de mai depuis Kiev. Au bout du fil, sur haut-par­leur, Mon­a­mi. Je sug­gérais d’aller à Chisin­au, en Mol­davie, en car. Il pro­pose de sen ren­dre à Lviv en train. Sur la carte qui s’af­fiche à l’écran, Evola pointe Cra­covie. Puis nous par­lons de Tch­er­nobyl. Y aller, n’y aller pas? Jeter ses chaus­sures après la vis­ite? Néces­saire! Affirme Mon­a­mi. Et les bus qui font la navette? Sont-ils irradiés? Je tranche: pas intéressé. Evola veut emma­gasin­er des images, Mon­a­mi tester ses comp­teurs Geiger. Nous ver­rons. Et le tra­jet en train? Pourquoi pas Bratisla­va? J’ac­qui­esce mais indique à Mon­a­mi qui par­le d’aboutir à Vienne, que j’évit­erai: cete cap­i­tale m’a tou­jours sem­blée la plus dép­ri­mante d’Eu­rope. Sans compter qu’elle doit être mas­sive­ment african­isée. Les Autrichiens étant les seuls tem­péra­ments con­géni­tale­ment portés au fas­cisme sur le ter­ri­toire de la vieille Europe, on devine ce que l’op­po­si­tion a dû importer avec l’aide des bureau­craties. Fin de la con­ver­sa­tion. A délibér­er. Nous éteignons le télé­phone. Evola pro­pose alors d’aller boire devant la bou­tique, sur le trot­toir. Nous tirons deux chais­es. La tem­péra­ture est print­anière, c’est un soir de fête, demain débute le week-end pas­cal. Les pas­sants s’ar­rê­tent, salu­ent, nous offrons des ver­res. A trois heures du matin, nous sommes tou­jours dans la bou­tique, avec un ami de ren­con­tre, locu­teur ivre et bril­lant, qui me tire le por­trait au Polaroïd et orchestre des rela­tions inouïes dans le trio à force de ques­tions, de provo­ca­tions et de jeux.

Séquence

Retour dans la mai­son d’A­grabuey. Douze heures de voy­age. Par­ti à l’aube de chez Olof­so à Genève, j’ai poussé la porte en milieu d’après-midi selon la séquence de trans­ports suiv­ante: taxi-avion-bus-métro-train-car-taxi.

Capitalisme politique

Pour nous, par de retour posi­ble à la sim­plic­ité. Pour les néo-arrivants, pas d’ac­cès pos­si­ble à notre com­plex­ité. Il s’en­suit un pro­gres­sisme du type “homme nou­veau” fondé sur des règles tech­nocra­tiques, ce qui implique une trans­gres­sion répétée de ces règles par nom­bre d’in­di­vidus donc le ren­force­ment par l’E­tat des actes de police.

Montagne-fin

Descen­du par les mêmes moyens de Leysin, ce train de maque­tte, brun caramel. Descente belle et laborieuse dans le bruit des engrenages. Sur la pente ver­moulue de la forêt, deux paysans plantent à la masse des pieux. Gala demande ce qu’on ferait — si l’on venait à s’in­staller — sur de ces raideurs. Je regarde au fond de l’en­ton­noir, j’ad­mire. Elle demande: “chéri, où est la route?” Com­ment saurais-je? A Aigle, sur le plan, nous nous séparons. Son train va dans une direc­tion, le mien dans l’autre. Hier elle annonçait: “je vais pleur­er”. Comme elle a déjà pleuré, elle ne pleure pas. Pour moi, même sen­ti­ment. Avec l’idée, une fois encore, que l’avenir nous sera un remède. Nos têtes sont pleines de pro­jets. Faut-il le dire: des pro­jets hasardeux, risqués, pas­sion­nels. Néan­moins réels. A la clef (qui peut se van­ter désor­mais d’échap­per à la broyeuse?), con­trats nom­i­nat­ifs et argent dépen­sé. Donc cal­cul. Hélas. Je tends à ma femme son bagage, change de quai, me rend à Sion où j’achète dans une ban­lieue des jou­ets de guerre à une Ital­i­enne qui va se faire opér­er du nez, puis reviens à Lau­sanne où j’ap­prends que les fonc­tion­naires de la Ville, cette engeance, vient de pren­dre des mesures de droit pour per­me­t­tre à une donzelle d’E­tat embauchée par la man­i­fes­ta­tion Lau­sanne-Jardins d’in­staller je ne sais quelle déco­ra­tion végé­tale dans le pas­sage souter­rain de Saint-François où nous avons depuis 12 ans, créée de toutes pièces, une vit­rine d’af­fichage qui annonce les événe­ments cul­turels. Une vit­rine qui rend ser­vice, plaît et rap­porte. Sauf à me répéter… pour le bom­barde­ment de la ville de Lausanne.

Supérieurs

Le plus déce­vant, à terme, est de trou­ver que les per­son­nes qui ont acquis du pou­voir sur nous, et l’honorent, et par des actes menus le ren­for­cent, l’ont acquis par la faib­lesse, c’est à dire par la soumis­sion de la per­son­ne à la logique col­lec­tive, ce qui établit assez la nature de leur pou­voir: une confiscation.

Montagne 2

 “Mais enfin, dis­ais-je, il y a six semaines que je ne t’ai pas vue!” Gala ne voulait pas. “Il fau­dra se quit­ter”, dis­ait-elle. Je me répète. J’in­siste. Elle cède.
- Où on va? N’im­porte! Débrouille-toi! De toute façon, je ne sor­ti­rai pas de la cham­bre.
Nous sommes à Leysin, dans un apparte­ment de loca­tion. Vue sur la val­lée d’Or­mont et le Roc-d’Or­say. Le pre­mier jour, temps médiocre. Le lende­main temps radieux. Gala entre dans une agence immo­bil­ière. J’at­tends sur une ter­rasse, je bois une chope. Nous faisons des vis­ites. Stu­dio, apparte­ment, chalet, chalet avec terrain.