La pluie. Les eaux. Elles ruissellent sur les ardoises, inondent le pavé, vont à la rivière. Dans notre rue du Village des Champs, entre voisins, abrités par des parapluies, nous buvons un verre. Le paysan se félicite. Il n’avait pas plu depuis février. Mon autre voisin, géologue et guide, est parti faire du VTT ce matin avant l’averse. Il emmène demain un couple dans les hauts. Des Portoricains. Au téléphone, le Monsieur disait: “nous serons au rendez-vous si Dieu le permet. Quel temps va-t-il faire? Ah! Oui. Mais il faut espérer, toujours espérer!”.
-Des évangélistes, quelque chose comme ça…Dit le guide.
Puis nous parlons de Houston, de l’Atlas marocain, des heurts à la frontière guatémaltèque, de la guerre au Donbass. Jeudi dernier, notre ami qui vit dans l’ancienne école d’Agrabuey commençait une marche sur les pentes de l’Everest. L’avion qui devait les embarquer apparaît dans le ciel. Il s’écrase. Deux morts, vingt blessé. Hier soir, il écrit. Il vient d’attendre les 5800 mètres. Pendant ce temps, je fais du vélo. Comme il pleut, à l’intérieur. Sur vélo statique avec roue de fonte. Entraînement fragmenté et conférences de Lucien Cerise, de Bernard Stiegler. Le bois brûle dans le poêle. Ensuite, en contact par visiophonie avec Monfrère, quart d’heure de travail. Qui consiste à résoudre les problèmes que provoquent les fonctionnaires lausannois qui nous empêchent de travailler — en société de marché, travailler veut dire servir les clients. Plus tard, combats MMA. Trois. Femme contre femme. Poids légers. Russe contre Russe. Poids lourds. J’arrose de bière. Puis rapide survol de la presse où je lis le programme d’un des mes éditeurs (ancien éditeur, tout cela est révolu) pour le Salon du livre et de la presse de Genève, en mai prochain. Gens que je connais modérés par des gens que je connais interviewés par des gens que je connais, tous à la fois journalistes, écrivains, éditeurs et fonctionnaires, et amis, et ennemis, et amants, et parents. Reste les oiseaux. Il chantent dans la nuit, sous la pluie, sous ma fenêtre. Il faut les sauver. Et lancer la hache, dès le petit jour.
Mois : avril 2019
Agrabuey
Nuit
Agrabuey — vainement, j’essaie de dormir. Sous ma fenêtre, à quatre heure, une oiseau chante. Sans arrêt, il chante. Mille fois, je me tourne. Jouant avec les images qui défilent sous les paupières, je veux chasser les mots qui font phrases pour trouver le sommeil, Plusieurs fois, je crois y parvenir. J’échoue: l’oiseau est là — il chante. Puis je m’endors. La police m’interpelle. Un femme se tient en bas du talus. Je m’approche et lui tiens ce discours: “Voyez, la police m’arrête. Mais j’ai un appartement avec vue sur la mer (en même temps, je pense, “il n’y a pas de mer”, mais mon toupet lui fera croire le contraire). Nous irons ensemble. Vous êtes belle! — Merci — Très belle! Moi, je suis ici et là. Où la police veut que je sois. Et je vous connais. Vous étiez à la station de bus de Saragosse (la veille, j’étais à Saragosse, il y avait une femme russe accompagné d’un Russe au profil maffieux), mais aussi, vous avez dû oublié, à Molina de Aragon, c’était l’an dernier (l’an dernier, à cette époque, j’étais en effet à Molina,). Bref, un rêve farfelu, n’était-ce que pendant ce discours je garde la perception des limites de la chambre, je sais que je rêve, j’entends l’oiseau qui chante. Au réveil (trois heures de sommeil), l’avocat Diego m’attend dans la rue du Village des champs, nous sautons sur nos vélos, grimpons le premier col. A la fin de la sortie, 60 kilomètres et 1600 mètres de dénivelé parcourus.
Veille de séquence
Repas avec les enfants dans une cuisine pleine de soleil. Nous cachons les œufs. Nous cherchons les œufs. Nous mangeons les lapins qu’offre Olofso. Aplo ouvre une vodka. Les cigarettes circulent. Aplo fait des pompes (à l’armée ces jours, et motivé, il grade), Luv essaie des boucles d’oreilles, elle sort. Je parle de ce chalet à louer à Leysin, d’Ar’Raqqua et de Homs, en Syrie, où nous étions Olofso et moi il y a vingt-cinq ans, avant la guerre, puis de la formation de “manager” que souhaite commencer Aplo à la fin de son école de sergent. Etonnement de trouver les enfants si grands, proches de l’âge adulte, dix-huit et vingt ans cet été.
Avant-veille de séquence
A Lausanne avec Evola. Je précise: “ne faisons pas trop tard”. Car j’ai le vendredi, en fin de matinée, rendez-vous avec Olofso et les enfants que je n’ai pas vu depuis six semaines. Des bières à la main, nous préparons notre itinéraire de mai depuis Kiev. Au bout du fil, sur haut-parleur, Monami. Je suggérais d’aller à Chisinau, en Moldavie, en car. Il propose de sen rendre à Lviv en train. Sur la carte qui s’affiche à l’écran, Evola pointe Cracovie. Puis nous parlons de Tchernobyl. Y aller, n’y aller pas? Jeter ses chaussures après la visite? Nécessaire! Affirme Monami. Et les bus qui font la navette? Sont-ils irradiés? Je tranche: pas intéressé. Evola veut emmagasiner des images, Monami tester ses compteurs Geiger. Nous verrons. Et le trajet en train? Pourquoi pas Bratislava? J’acquiesce mais indique à Monami qui parle d’aboutir à Vienne, que j’éviterai: cete capitale m’a toujours semblée la plus déprimante d’Europe. Sans compter qu’elle doit être massivement africanisée. Les Autrichiens étant les seuls tempéraments congénitalement portés au fascisme sur le territoire de la vieille Europe, on devine ce que l’opposition a dû importer avec l’aide des bureaucraties. Fin de la conversation. A délibérer. Nous éteignons le téléphone. Evola propose alors d’aller boire devant la boutique, sur le trottoir. Nous tirons deux chaises. La température est printanière, c’est un soir de fête, demain débute le week-end pascal. Les passants s’arrêtent, saluent, nous offrons des verres. A trois heures du matin, nous sommes toujours dans la boutique, avec un ami de rencontre, locuteur ivre et brillant, qui me tire le portrait au Polaroïd et orchestre des relations inouïes dans le trio à force de questions, de provocations et de jeux.
Capitalisme politique
Pour nous, par de retour posible à la simplicité. Pour les néo-arrivants, pas d’accès possible à notre complexité. Il s’ensuit un progressisme du type “homme nouveau” fondé sur des règles technocratiques, ce qui implique une transgression répétée de ces règles par nombre d’individus donc le renforcement par l’Etat des actes de police.
Montagne-fin
Descendu par les mêmes moyens de Leysin, ce train de maquette, brun caramel. Descente belle et laborieuse dans le bruit des engrenages. Sur la pente vermoulue de la forêt, deux paysans plantent à la masse des pieux. Gala demande ce qu’on ferait — si l’on venait à s’installer — sur de ces raideurs. Je regarde au fond de l’entonnoir, j’admire. Elle demande: “chéri, où est la route?” Comment saurais-je? A Aigle, sur le plan, nous nous séparons. Son train va dans une direction, le mien dans l’autre. Hier elle annonçait: “je vais pleurer”. Comme elle a déjà pleuré, elle ne pleure pas. Pour moi, même sentiment. Avec l’idée, une fois encore, que l’avenir nous sera un remède. Nos têtes sont pleines de projets. Faut-il le dire: des projets hasardeux, risqués, passionnels. Néanmoins réels. A la clef (qui peut se vanter désormais d’échapper à la broyeuse?), contrats nominatifs et argent dépensé. Donc calcul. Hélas. Je tends à ma femme son bagage, change de quai, me rend à Sion où j’achète dans une banlieue des jouets de guerre à une Italienne qui va se faire opérer du nez, puis reviens à Lausanne où j’apprends que les fonctionnaires de la Ville, cette engeance, vient de prendre des mesures de droit pour permettre à une donzelle d’Etat embauchée par la manifestation Lausanne-Jardins d’installer je ne sais quelle décoration végétale dans le passage souterrain de Saint-François où nous avons depuis 12 ans, créée de toutes pièces, une vitrine d’affichage qui annonce les événements culturels. Une vitrine qui rend service, plaît et rapporte. Sauf à me répéter… pour le bombardement de la ville de Lausanne.
Supérieurs
Le plus décevant, à terme, est de trouver que les personnes qui ont acquis du pouvoir sur nous, et l’honorent, et par des actes menus le renforcent, l’ont acquis par la faiblesse, c’est à dire par la soumission de la personne à la logique collective, ce qui établit assez la nature de leur pouvoir: une confiscation.
Montagne 2
“Mais enfin, disais-je, il y a six semaines que je ne t’ai pas vue!” Gala ne voulait pas. “Il faudra se quitter”, disait-elle. Je me répète. J’insiste. Elle cède.
- Où on va? N’importe! Débrouille-toi! De toute façon, je ne sortirai pas de la chambre.
Nous sommes à Leysin, dans un appartement de location. Vue sur la vallée d’Ormont et le Roc-d’Orsay. Le premier jour, temps médiocre. Le lendemain temps radieux. Gala entre dans une agence immobilière. J’attends sur une terrasse, je bois une chope. Nous faisons des visites. Studio, appartement, chalet, chalet avec terrain.