Mois : mars 2019

Homme

Le monde était trop grand pour l’homme. Il s’y est aven­turé. Quand il n’a pas péri, il a fait des choses grandios­es, il est devenu homme. Puis il s’est lassé. Il a recréé un monde à sa mesure, avant de s’y enfer­mer et d’ac­cepter son nou­veau des­tin qui est de per­dre peu à peu ses moyens.

16ème jour de camp

Sur la ter­rasse du Motel, au car­refour, défi­lent les camions de canne à sucre. Après l’en­traîne­ment, la cui­sine sert une soupe d’algues et de champignons. Une soupe mêlée de pâtes, par­fumée au gin­gem­bre. Brûlante, liq­uide. Une soupe qui réchauffe. Ce soir il vente. Il fait tout de même 36 degrés. J’eusse plutôt réclamé des patates fraîch­es et de la viande rouge. Du lourd. Je fais remar­quer à la Por­tor­i­caine qui n’en pense pas moins que si nous aval­ons ça nous allons fon­dre (je me penche sur le bol, des gouttes de sueur atter­ris­sent dans le mélange). Pour moi, lui dis-je, je vais com­penser avec la bière — ce que je fais en cet instant, au car­refour, sur la ter­rasse. Avant que je m’in­stalle dans le fau­teuil de teck, nous organ­isons un cours de Krav Maga avec les Aus­traliens et ce Quayle qui, deux jours après son arrivée, à lut­té con­tre un paysan thaï sur un ring de fête, a per­du et s’est blessé. La journée enfin embal­lée (fin de tout), je m’en vais au mag­a­sin 7/11, reviens lesté de six bouteilles de Cing­ha et tan­dis que les autres se calfeu­trent dans leurs cham­bres, je reste seul. Arrive soudain à bord d’un tuk-tuk un touriste en chemise, inqui­et de savoir si il est au bon endroit, ce que je luis con­firme: “nous sommes dans un motel loué par le camp, le camion te pren­dra demain à 6h00 pour t’emmener box­er” ; il arrive de Megève, tra­vaille à Sin­gapour. Israélien, il habite un kibboutz.

Repos

La femme de cham­bre de l’hô­tel fait une cham­bre puis dort un peu. Elle bal­aie la cour, nour­rit le coq, se recouche. Ain­si tout le jour. Lorsque l’on monte dans la hiérar­chie, on se repose à l’in­térieur. La patronne est couchée sur une nat­te au pied du ven­ti­la­teur. Lorsqu’elle se réveille, elle regarde la télévision.

Humbles

En signe d’hu­mil­ité, cer­tains Thaïs courent les bras bal­lants, le buste incliné. Que l’on sache qu’ils ne font pas que passer.

Lieu 2

En fait, je n’en sais rien. Je suis peut-être à Bueng Sam Phan. Une chose est sûre, mon hôtel se nomme Kwang Sai. Pas d’en­seigne, j’ai cher­ché sur le plan région­al. Pour les autres repères, itou. A l’in­stant, j’é­tais dans le faubourg. Il y a der­rière la marché une bou­tique de mas­sage. Au retour, le tuk-tuk m’ar­rête en face du poste de police. Il affiche un autre nom de ville: “Roy­an” ou quelque chose de ce goût. Et le bus. La salle d’at­tente, ce sont peut-être ces bancs sur le trot­toir, mais des bancs et des gens qui atten­dent, il y en a partout. Cepen­dant, je ne doute pas d’ar­riv­er à bon port. Là est le mir­a­cle. Une société de la con­fi­ance (du moins pour l’é­tranger, que l’on prend en main, guide et amène à des­tin, et sans demande d’argent).

Rites

Autels blancs, dorés, jaunes, de bois et de stuc, pour sus­pendre les fleurs, fair ses offran­des à boud­dha, maïs, eau, riz, bro­chettes, ici chez le marc­hand, dis­posés par cen­taines sur un ter­rain vague, encore embal­lés. Etal de pâtis­series pour géants.

Lieu

Cher­chant l’ar­rêt de bus à rejoin­dre pour me ren­dre mar­di à Loei, j’ap­prends à l’in­stant que je suis depuis quinze jours, sur le car­refour et en cam­pagne, à Sap Samo Thot.

Naypyidaw

Curieux de savoir à quoi peut ressem­bler Naypyi­daw, la cap­i­tale con­stru­ite par la junte bir­mane en 2005. Qua­tre fois la super­fi­cie de Paris, des autoroutes à tra­vers la jun­gle, aucun pié­ton. Des bal­ayeurs munic­i­paux net­toient des bâti­ments vides, les pagodes dorées à la feuille d’or snt tenues par des moines-fonc­tion­naires. Et, vile secrète dans la ville, une falaise creusée de bunkers. Un zoo aus­si, un aéro­port et le golf du général. Quelques hôtels, dis­per­sés. J’ai con­sulté les prix et je me suis amusée à les dis­tribuer sur le ter­ri­toire. On croirait des navettes spa­tiales sur une piste de lance­ment. Des édi­fices jou­ets. Quant à la déco­ra­tion, les pho­tos mon­trent du bois d’a­ca­jou embal­lé de cel­lo­phane, du velours rouge et des lus­tres époque. Pop­u­la­tion revendiquée de la cap­i­tale, un mil­lion d’habi­tants. Les per­son­nes à s’être ren­dues sur place dis­ent qu’il n’y en aurait dix fois moins. Et tou­jours cette ques­tion, peut-on cir­culer en Bir­manie ou n’a-t-on le droit de se déplac­er que le long des cir­cuits offi­ciels? Avan­tage pour Naypyi­daw, afin de prou­ver que la ville existe et vit, la junte doit la montrer.

Intérieur jour

Quelle prob­a­bil­ité de rester enfer­mé deux fois dans sa cham­bre d’hô­tel au cours de la même année? Nulle, sauf si l’on entre­tient un rap­port prob­lé­ma­tique aux clefs. De retour du marché de nuit, je casse la clef dans la ser­rure de ma cham­bre. Les thaïs s’af­fairent, l’Is­landais demande un tournevis, dévisse et retire la poignée. J’assène un coup de pied, le loquet saute. Je dors. Ce matin, impos­si­ble de sor­tir. Je frappe pour attir­er l’at­ten­tion de la jar­dinière, celle qui ne quitte jamais son sac à main. Elle arrose le man­guier. Elle se retourne. Je frappe encore. Elle se retourne encore. L’oeil col­lé au trou de porte, je cherche com­ment la faire réa­gir. Je frappe plus fort. Au lieu de venir, elle appelle la hiérar­chie, femme de ménage, ten­an­cière, pro­prié­taire, toutes des femmes, lesquelles vont chercher un homme. De l’in­térieur j’ex­plique qu’il suf­fit de don­ner un coup de pied. De l’autre côté, on ne com­prend pas. Les Thaïs bidouil­lent et dis­cu­tent. A la fin j’ob­tiens que l’homme regarde par le trou à l’in­térieur de la cham­bre; je me recule: donne un coup de pied. Il m’imite, la porte saute. Inci­dent sans impor­tance s’il ne pre­nait place dans une série d’his­toires de portes et de clefs com­mencée à Berlin en 1981, lorsque j’ai dû dormir sur le pail­las­son de la pen­sion faute de pou­voir action­ner la ser­rure, puis le lende­main dans les dis­cothèques après avoir amoché à Zoo-Haupt­bahn­hof le casi­er de con­signe où se trou­vait mon bil­let de train pour Ams­ter­dam, et ain­si de suite, au fil des ans, jusqu’à ce motel de la province d’Al­bacete que le pro­prié­taire avait ouvert pour moi en juin dernier, avant de reparaître en pleine nuit, alors que je dor­mais, pour m’enfermer.

Poubelle-France

Fin de la démoc­ra­tie et de la nation en France. Nous y sommes. Adoubé par les multi­na­tionales, le prési­dent exé­cute le pro­gramme con­fis­ca­toire théorisé à Brux­elles. Il se sert de l’ar­mée con­tre le peu­ple et sou­tient les voy­ous importés du tiers-monde (en atten­dant de s’en servir, là encore, con­tre le peu­ple). A cette vio­lence poli­tique répon­dra la vio­lence pop­u­laire. Le scé­nario était écrit: pro­duire une guerre intes­tine pour jus­ti­fi­er la mise en place d’un pou­voir autoritaire.