Quelle probabilité de rester enfermé deux fois dans sa chambre d’hôtel au cours de la même année? Nulle, sauf si l’on entretient un rapport problématique aux clefs. De retour du marché de nuit, je casse la clef dans la serrure de ma chambre. Les thaïs s’affairent, l’Islandais demande un tournevis, dévisse et retire la poignée. J’assène un coup de pied, le loquet saute. Je dors. Ce matin, impossible de sortir. Je frappe pour attirer l’attention de la jardinière, celle qui ne quitte jamais son sac à main. Elle arrose le manguier. Elle se retourne. Je frappe encore. Elle se retourne encore. L’oeil collé au trou de porte, je cherche comment la faire réagir. Je frappe plus fort. Au lieu de venir, elle appelle la hiérarchie, femme de ménage, tenancière, propriétaire, toutes des femmes, lesquelles vont chercher un homme. De l’intérieur j’explique qu’il suffit de donner un coup de pied. De l’autre côté, on ne comprend pas. Les Thaïs bidouillent et discutent. A la fin j’obtiens que l’homme regarde par le trou à l’intérieur de la chambre; je me recule: donne un coup de pied. Il m’imite, la porte saute. Incident sans importance s’il ne prenait place dans une série d’histoires de portes et de clefs commencée à Berlin en 1981, lorsque j’ai dû dormir sur le paillasson de la pension faute de pouvoir actionner la serrure, puis le lendemain dans les discothèques après avoir amoché à Zoo-Hauptbahnhof le casier de consigne où se trouvait mon billet de train pour Amsterdam, et ainsi de suite, au fil des ans, jusqu’à ce motel de la province d’Albacete que le propriétaire avait ouvert pour moi en juin dernier, avant de reparaître en pleine nuit, alors que je dormais, pour m’enfermer.