Gala à Genève. Donc par téléphone. Elle appelle, car je ne souscris plus qu’à des permis de communication à points conçus pour des dealers de drogue, lesquels ne font à ce prix rien d’exceptionnel. Pour me dire quoi? A son habitude, rien de définitif ni de précis. “je vais voir lundi…”. “Si quelqu’un se désiste…”. Le voyage est payé. J’ai payé. Il est plus confortable d’être dans la situation de Gala que dans la mienne. D’où ma réaction, furieuse dès que l’on me parle de l’Etat (ce, par tradition familiale, mais surtout depuis que j’ai été appréhendé et menacé de prison à l’aéroport de Cointrin, en partance pour l’Angleterre, pour avoir retiré mon fils de l’école pendant une demi-journée, et rançonné par la police) : “paraît à la première heure, demande à voir le supérieur hiérarchique, insiste, campe, bloque, insulte. Au besoin, roule-toi par terre!” L’appel fini, j’écris encore: “Si ça ne suffit pas, dis-moi le nom du fonctionnaire, je m’occupe de le terroriser!” Car enfin, que l’on m’explique, dans ce grand zoo — sans cages — qu’est devenu Genève, il faudrait, quand on est Suisse, et je distingue avec les gens ayant reçu des passeports suisses, il faudrait un mois pour avoir l’autorisation de s’expédier aux Etats-Unis, que dis-je à New-York, pour cinq jours de vacances?
Mois : février 2019
Mi-chemin
Remonté vers le Nord. Hormis l’autoroute difficile qui passe Grenade, voie à deux pistes chargée de trafic local, six heure d’une longue et splendide traversée des déserts, cette fois sans peur (c’est de moi que j’ai peur). Guadalajara, dans l’Est de la communauté de Madrid, atteint vers les trois heures, j’obtiens ma carte de chambre à la réception de l’hôtel Tryp, chauffée sur ma demande suite aux protestations de Gala il y a quinze jours, et croise comme je m’étais promis de ne plus le faire la passerelle sur le périphérique qui amène dans les hauts fantômes de la ville où je cherche, rageant faute de trouver aussitôt, une pharmacie, achète des comprimés d’aspirine, puis un litre de bière chez ce vieil épicier à boutique sombre, toujours seul, dans sa chaise lointaine, assorti de deux biscuits aux pignons et aux amandes, qu’il pose dans la balance afin de les peser et déterminer une prix de 0,52 Euros. Quelques minutes plus tard, retour dans la chambre, je grelotte sous les couvertures, bois le litre, me sens mal, mange les cachets, me sens mal, respire, regarde la télévision, me sens mal et dors douze heures, avec délire.
Fin de partie
Les manifestants français en jaune (les autres sont des soldats de l’Etat) ont raison de porter le drapeau de la France, c’est en effet ce qu’ils défendent, la France ou du moins ce qu’il reste de leur nation et que l’expropriation menace. A noter que si j’ai des mots durs pour cette société-poubelle qui se tient à nos portes, je n’ai aucun doute quant à l’avenir de mon pays : il suit, dans les même termes, pour les mêmes raisons et avec un personnel agissant de la même étoffe.
La Cala (fin) 2
Une fois réunies les dernières choses dans des sacs de supermarché, je les descends à la voiture. Sur du linge, des livres, des verres, des casseroles, dans l’un des ces sacs mes chaussures de course semelles tournées vers le haut. Au feu de l’avenue de Malaga, en attente devant le passage piétons, je remarque le regards insistant du type qui patiente sur le trottoir opposé. Regards inquisiteurs, quasi hostiles. Lorsque nous nous croisons, dans un Espagnol défaillant:
-Elles sont à toi ces chaussures?
Un crocheteur de poubelles qui craint une concurrence sur son territoire.
La Cala (fin)
Nouveau déménagement. Loué en février 2017, c’est tout juste si j’aurai passé, à l’occasion de deux voyages, quarante jours dans cet appartement de La Cala. Dans l’ascenseur, j’affiche la liste des objets à donner. Vingt minutes plus tard, deux couples sonnent à la porte. “Vous donnez?” La surprise est telle, qu’ils en rient. Les voici qui transportent dans le couloir, table de jardin, robot-mixeur, chaises longues et vaisselle. En contrepartie, je demande que l’on me prête un aspirateur, ayant eu l’idée d’aspirer le solarium (merdes de mouettes marines, coquilles de noix cassées par les mêmes et résidus de mortier) avec mon Dyson, que j’ai jeté après la tâche. Et j’annonce qu’il rester un lit complet, neuf, acheté pour Luv il y a six a mois. La veille de la remise des clefs, l’un des hommes revient, attrape le lit.
-Comme ça? Vous êtes sûr qu’il va passer dans l’ascenseur?
-Mais oui, fait le preneur.
Il ne passe pas. Le type dévisse les pieds.
-Où êtes-vous garé?
-Sur la place du bus.
Il revient pour le matelas. Je descends avec lui. Le lit est posé sur le trottoir. Il me fait signe de l’aider. Pose le matelas sur le toit sans porte-bagage de sa Seat et le lit, ouvre les vitres, ligote avec un morceau de ficelle.
-Parfait! (Aucune chance que ça tienne; j’ajouterai, les Espagnols ne sont pas prêts d’aller sur la lune). Là, maintenant, on va descendre vos livres!
L’encyclopédie de l’Académie espagnole en vingt-trois volumes que j’ai trouvé au pied des poubelles de Tamadaba en 2016, déménagé à Rincon en 2017, et ramène ce matin aux poubelles (un article consulté).
-Et pour l’aspirateur?
-Au rez, c’est la porte devant laquelle est accroché un vélo.
Cela fait, le type retourne à sa voiture. Pas un merci. A la porte dite, je sonne. Un chien de laboratoire me saute à la poitrine. Une femme aimable mais l’air inquiet se précipite sur son aspirateur, me le tend, referme. Je l’enclenche. Il souffle. Il hurle. Il rugit. J’enfonce des tampons auriculaires. Je noue une foulard autour de mes oreilles. A la fin de l’opération, j’ouvre grand les fenêtres de l’appartement pour chasser l’odeur de vielle huile d’olive.
Visa
Fin décembre, Olofso me presse d’obtenir les visas pour les Etats-Unis où nous devons partir dans un mois avec Luv et Gala. Je diffère. Simple opération électronique. Lorsque nous somme partis dans le Colorado, il y a huit ans, l’affaire d’un quart d’heure. Et hier, me mettant en devoir, je constate que le passeport de Gala ne passe pas. Dans les termes des douanes américaines, il n’est pas “éligible”. Gal appelle le consul de Suisse à Malaga. Il ne parle aucune de nos langues nationales. Elle apelle Berne, Genève. “Il faut rentrer au pays”. Les Américains, “voyez avec la Suisse!”. Elle achète un billet d’avion, je la conduis à l’aéroport. On croira qu’elle a un passeport des années 1970. Document issu en 2014, période de validité dix ans.
Fou allemand
Chaque matin, je vais sur la plaza mayor, m’assieds sur le banc de pierre, ouvre mon ordinateur. Et je me réjouis. Cela m’évite d’acheter au café La Fontana une Estrella Galicia mal tirée ou une Sol mexicaine trop chère, que nul ne boit, qui vient d’un stock douteux. Le réseau est de bonne portée ce qui permet de tourner le dos au café. Non que je redoute le patron. Lorsqu’il paraît, nous échangeons une sourire complice, mais je n’aime pas l’idée du profit mesquin. Aujourd’hui, le rideau de fer est baissé, les chaises en piles. Sur la terrasse en service, les maman bavardent en agitant du bout des doigts leurs poussettes, les jardiniers nettoient le plan d’eau. Dès que j’ai l’écran en face des yeux, la scène disparaît, le cerveau est requis. Or, ce matin quelque chose perturbe le champ sonore. Luttant pour ne pas interrompre ma communication, je trie les bruits connus, l’eau, le trafic de l’avenue, les perroquets, le babil des mères, les chaises traînées sur les dalles. Un match de foot, son commentaire?Il est bien tôt. Las, je relève la tête, je cherche. C’est une voix aigue et profonde qui déclame comme un animateur de télévision. Précipitée aussi. Je retourne à mon écran, à ma communication. Ou le tente. Et j’échoue. A l’évidence, il se passe quelque chose d’anormal (soit dit en passant, j’aimerais beaucoup savoir comment le corps s’y prend pour ranger tel événement dans la catégorie de l’anormal). Il faut vérifier. Je laisse sur le banc ordinateur, téléphone et portefeuille (on me connaît) et fait le tour de la place. Dans l’escalier d’accès, sur la deuxième volée de marches, un type sans cheveux. Pantalons et maillots sombres ou sales. Bras bleus. Maigre. En muscles. Pas de cheveux car je ne saurais dire s’il est rasé ou chauve. C’est lui qui cause. Pour toute la place. Le menton rentré ou la tête levée, qu’il lève par moments jusqu’au ciel, puis replie. D’un seul coup il se détend, se dresse, lève les bras, prend à témoin, hausse le ton. Il parle en Allemand. Se rassoit. Une pause. Et recommence. Mais cette fois le discours prend des proportions effrayantes. Il ne crie pas, il vocifère. Il harangue. Qui? Des gens passent. Il ne les voit pas. J’e renonce à mes communications, remballe le matériel, remonte à l’appartement. Du salon, toutes fenêtre fermées, et nous sommes sous les toits et il y a double-vitrage, j’entends le fou. Du balcon qui donne sur l’avenue et la plaza mayor, je l’aperçois à travers le grand palmier. Toujours assis sur les marches de l’escalier, il aligne des phrases. Soudain il se met en mouvement, sur dix mètres hurle en crescendo puis s’arrête, fait le geste d’ouvrir une porte, de regarder à l’intérieur, referme et revient à ses marches.