Mois : février 2019

Neige 3

Prom­e­nade le long de la riv­ière. A mi-chevilles dans les con­gères. L’eau coule bleue, le vent fou­ette la soulane, au ciel tour­bil­lon­nent les flo­cons. Au sol, la lumière découpée en plans nets par les façades de pierre des maisons. Hier, le paysan attendait un locataire pour son gîte. Main­tenant, je com­prends ce qu’il fai­sait dans la rue, à la nuit — il guet­tait. Le vis­i­teur n’a pas atteint de vil­lage. Blo­qué dans le col.
-Avec un enfant! Je lui aurais dit moi. Il est par­ti trop tard!
-Et main­tenant?
Le paysan hausse les épaules:
-Dis­paru.
Il se remet à cass­er la glace rue de Côte. 
-Ce soir, je dois aller à la ville. 
Il casse, je me mets au soleil. Il mar­que une pause. 
-Autre­fois, dans les années… 1980, il y avait du monde ici. Au moins trente per­son­nes. Il neigeait, les trente per­son­nes sor­taient. Cha­cun fai­sait un bout de rue. Et puis ce n’é­tais pas utile, il y avait les bœufs et les chèvres, rien que d’aller boire à la fontaine du bas, ils écra­saient tout.

Neige 2

Dès qu’il y a de la neige, les hommes se met­tent à peller. Il pren­nent ici et déposent là.

Postsublimation

Con­cept de pub­lic­ité pour une voiture de gamme supérieure dans les pays demi-pau­vres d’Eu­rope: mon­tr­er par l’im­age le nou­veau mod­èle de la mar­que de telle  façon que la majorité le juge hors de moyens afin de per­suad­er ceux qui pos­sè­dent ces moyens que s’ils roulent le mod­èle ils seront vus et reconnus.

Vie des bêtes

Les enfants allaient au zoo. Le bil­let général per­me­t­tait de voir chiens, chats, pigeons, poules et mou­tons. Moyen­nant un sup­plé­ment, il était per­mis d’ap­procher de la vit­rine aux rep­tiles. Tigres, lions et loups étaient réservés aux enfants dont les par­ents, désignés par le directeur, pos­sé­daient l’abon­nement premium. 

Raconter

Maîtres iné­galés de la nar­ra­tion, Hergé avec Tintin, Simenon avec Mai­gret. Il n’est pas for­tu­it que l’époque soit la même. Elle suc­cède à la cod­i­fi­ca­tion du grand roman bour­geois par les Nat­u­ral­istes, précède la rup­ture de con­trat du Nou­veau roman, cor­re­spond aus­si à la péri­ode du meilleur emploi général de la langue française.

Préplatonicien.

Dans le pre­mier vol­ume de ses Papiers col­lés, Georges Per­ros fait cette remar­que amu­sante et moins potache qu’il n’y paraît: “Quelle chance avait Socrate de ne pas avoir à lire Platon!”

Plaisir

Un des grands plaisirs de la vie dont je jouis actuelle­ment et auquel je prend chaque jour un goût plus avancé est de se couch­er dans un lit, une cham­bre, un vil­lage, au milieu d’une cam­pagne et de mon­tagnes pleines de silence pour réfléchir dans le noir; lié au pre­mier, cet autre plaisir que m’ap­porte le sen­ti­ment que nul ne vien­dra me déranger, que je puis aus­si longtemps qu’il me plaît faire dur­er cet état de suspension.

Neige

Chutes de neige impor­tantes sur Agrabuey. Les voisins me pren­nent à témoin: “de la neige!”. Il la remuent du pied, y met­tent la main, la mon­tre. Elle con­tin­ue de tomber. Un employé munic­i­pal, ce qui veut dire qu’il en existe un, passe une petite machine à frais­er. La neige efface bien­tôt ses efforts. Vêtus comme pour con­quérir l’Ever­est, des touristes arag­o­nais vien­nent au vil­lage avec leurs enfants. Ils rient, jet­tent la neige en l’air, un moment féérique. Ceux-là arrivent de la ville. La nuit descend, ils y retour­nent. Place au silence. Et à la neige, encore. Près de minu­it les voisins, habituelle­ment ce n’est pas les heures, tien­nent, mari et femme, dans notre rue, je ne sais quel con­cil­i­ab­ule sur la neige qui vole, glisse, recou­vre, et sur les moyens d’agir. 

Ethnologie

Inter­locu­teurs pour qui l’ex­o­tisme est l’in­gré­di­ent d’une autre intel­li­gence. Ils ont rai­son, c’est une autre intel­li­gence et sur les bases de la nôtre il est beau­coup plus mal aisé de con­stru­ire, de per­sévér­er, et pour les chanceux de percer, que de se faire val­oir en revendi­quant par des effets d’ex­o­tisme une intel­li­gence autre dont on ne sait pas même les rudiments.

Avenir 2

A ce point, il faut agir en sim­plic­ité. Se délester des charges, désen­gager ses forces là où elles sont recy­clées par des dis­posi­tifs qui exi­gent sans cesse le sac­ri­fice de forces nou­velle. Elargir autour de soi le silence et l’e­space, recou­vr­er dans les recours naturels la con­fi­ance native. L’ami­tié retrou­vé du monde est à ce prix. L’én­ergie existe. Et d’abord pour se défaire de ce que l’on nomme, du matin au soir, et qui n’est que supercherie, la société.