Mois : juin 2018

Galasaga

“Tu ne com­prends donc pas!” Et Gala de m’ex­pli­quer ce qu’elle peut et ne peut pas! Dix-huit ans après le début de notre rela­tion, j’ai beau être habitué, c’est agaçant. Les mes­sages se croisent, se con­tre­dis­ent. Je cherche des répons­es, je trou­ve des ques­tions. Gala dirait de même, j’imag­ine. Mon motif per­ma­nent: “viens à Agrabuey!”. Gala fait alors val­oir que j’ai acheté cette mai­son pour en faire un refuge de guerre. “Il n’a jamais été ques­tion d’y habiter!”. Elle a rai­son. Je réponds: “où veux-tu que j’aille?”. Elle répond: “c’est cela qu’il s’ag­it de décider!”. Nous voilà bien. A Noël, débar­quée à Barcelone, après les fêtes, après le départ des enfants, après le sapin et les choco­lats, elle n’a pas voulu venir jusqu’à Agrabuey; en mars, il y avait le médecin, l’autre médecin et le troisième ou qua­trième médecin, dont les ren­dez-vous placés sur le cal­en­dri­er à bonne dis­tance blo­quaient la venue. Puis le den­tiste. Et Gala ne ces­sait de me rap­pel­er que nous avions prévu d’aller à Bor­deaux chercher un apparte­ment (on se doute que ce n’est pas mon idée, vu l’hor­reur que j’ai de la société… enfin, de la France). Mais, lui oppo­sais-je, Bor­deaux, Bor­deaux, d’ac­cord, mais non sans avoir séjourné aupar­a­vant à Agrabuey, te sou­viens-tu? Se sou­venir, elle le devait bien puisque nous avions, au terme de longues négo­ci­a­tion, établi un pro­gramme des dates et des lieux de l’été jusqu’en octo­bre, liste qu’elle avait aus­sitôt boulever­sée, ou plutôt exclue après mon départ de Suisse pour me don­ner ren­dez-vous à Flo­rence, non, à Venise, où elle viendrait me chercher à l’aéro­port pour, dis­ait-elle, m’emmener dans un apparte­ment prêté par une amie, désireuse qu’elle était de com­mencer “lun­di” un cours de dessin académique. Seule­ment, se ren­dre d’A­grabuey a Venise, cal­cu­laient les moteurs de com­para­i­son, c’é­taient dix-sept, vingt, dans cer­tains cas, les moins onéreux, trente heures de voy­age. A ces con­di­tions, nous pou­vions aus­si nous voir à Byron Bay, au sud de Bris­bane, ne serait-ce que pour partager l’ef­fort (aus­si par ce que j’aime cet endroit). J’in­sis­tais encore, “viens à Agrabuey!” Cepen­dant, mon vélo était envoyé, il attendait poste restante dans les Pyrénées et ain­si, un compte à rebours avait com­mencé, il me faudrait aller le chercher dans les dix jours faute de quoi il serait réex­pédié à l’of­ficine andalouse. Je pro­po­sais de se rejoin­dre à Madrid. J’i­rai en train, rejoindrai Gala à Bara­jas et de là, comme nous avions cou­tume de le faire, nous pren­dri­ons le car pour Sala­manque. Ensuite, retour à Madrid, train pour Saragosse et bus pour Agrabuey. Cela peut paraître com­pliqué, mais je fai­sais val­oir: “tu es à une heure d’avion de Madrid et je suis déjà en Espagne!” A la fin j’eus l’idée saugrenue de pro­pos­er Munich. C’é­tait un peu lâche: je sais que Gala aime cette ville. Je trou­vais un vol au départ de Madrid. Cher­chant encore, je vis qu’il exis­tait un vol de retour sur Saragosse. L’af­faire s’arrangeait. Le pro­jet capota: les prix des hôtels! Exor­bi­tants! Fin de la dis­cus­sion. Suiv­it un jour de lou­voiements, nos mes­sages com­mençaient par “c’est dom­mage…”, “si tu savais…”. Puis je repi­quais: “voyons-nous en Bav­ière!” Car à pian­ot­er sur ma tablette (à grand peine, car, j’en ai fait men­tion dans une note précé­dente, elle a per­du toute sen­si­bil­ité), je vois que les prix des cham­bres ont brusque­ment bais­sé. Le mes­sage que j’en­voie à Gala pro­pose alors de se ren­con­tr­er à Berg Am Laim, le quarti­er sur la colline, dans les hauts de Munich. Il y a là un hôtel à prix acces­si­ble. Gala annonce qu’elle viendrait en voiture puis irait directe­ment à Padoue. De de fait, la dis­pute reprend. Ain­si elle craint la fatigue du voy­age en avion et n’hésite pas à faire mille kilo­mètres de route? Réponse: “ça n’a rien à voir, je suis dans “ma” voiture!”. Soit. Nous sommes sur le point de tomber d’ac­cord, d’au­tant plus que je trou­ve un vol direct avec la Nor­we­gian Air­lines Mala­ga-Munich. Alors, je con­state que je ne peux pas acheter de bil­let d’avion ayant codé ma carte de crédit avec un télé­phone resté en Suisse. Mais — on l’ou­blie — il existe des agences de voy­age. Paco, avec qui je par­le de course à pied et de nata­tion, des cent-un kilo­mètres de la légion et du chemin de Saint-Jacques m’achète un bil­let pour Munich. Je con­firme: “je serai dimanche à Munich!”. Mes­sage de Gala, “je vais essay­er”.  Autre mes­sage: “j’ai des habits à aller chercher et il faut que je passe à la pharmacie…”

Quelques hommes

Cette remar­que de Guy Debord qui con­cerne le sur­réal­isme pour­rait aus­si bien s’ap­pli­quer à l’im­mi­gra­tionnisme: “Le refus de l’al­ié­na­tion dans la société de morale chré­ti­enne a con­duit quelques hommes au respect de l’al­ié­na­tion pleine­ment irra­tionnelle des sociétés prim­i­tives, voilà tout.”

Fin du voyage

Au bord de mer, dans le nou­v­el apparte­ment loué en févri­er, où, avant d’ar­riv­er à vélo hier, je n’ai dor­mi qu’un jour. Il est en soupente et donne sur la Plaza may­or et les mon­tagnes rouges. A part avaler des bières, je ne fais pas grand chose. Si, je lis un roman polici­er trou­vé dans un café, un Boileau-Nar­ce­jac. Bien écrit, bien mené, inven­tif. A chaque ligne, je me dis, je vois pourquoi je ne lis jamais de roman polici­er, que c’est ennuyeux! Puis je démonte le vélo, le glisse dans un car­ton, l’amène à la poste pour envoi et, par la même occa­sion, je récupère le jean envoyé en poste restante depuis Agrabuey, ma tablette, deux livres de philoso­phie et un haut par­leur portable. Après, je vais à pied au cen­tre com­mer­cial ‑celui qui se trou­ve der­rière l’au­toroute et les mon­tagnes rouges- dans l’idée d’a­cheter une chemise et des chaus­sures, curieux égale­ment de savoir ce que pro­jet­tent les six salles de ciné­mas. Résul­tat, côté vête­ment je n’achète rien, côté ciné­ma c’est la mis­ère. Même dans mon état de fatigue, je ne peux imag­in­er con­sacr­er une heure trente à regarder de tels navets hol­ly­woo­d­i­ens. Retour sur la place où le serveur a com­pris: ce sera un can­nette, puis une deux­ième, une troisième… Un match de foot aus­si, qu’on ne me demande pas quelle équipe, j’ig­no­rais que le Mon­di­al avait débuté. Le lende­main, un mer­cre­di, est jour de marché. Je me remets en quête de la chemise et des chaus­sures. Se promen­er en sabots chi­nois à l’é­tape, mais ici! Et puis il me faut une cein­ture. Si j’ai bien empa­que­té un jean à Agrabuey, j’ai oublié la cein­ture et un jean neuf, ça tombe. Un gitan me vend une cein­ture de cuir noir Hecho en España pour 4 Euros. Pour les chaus­sures, je renonce à les trou­ver chez les chausseurs, je vais à la quin­cail­lerie et choi­sis une paire de godil­lots avec embouts ren­for­cés, ceux-là mêmes que j’ai achetés en jan­vi­er à la veille du démé­nage­ment n’ayant aucune­ment l’in­ten­tion, de me broy­er, pour la deux­ième fois dans cette vie, le pied au cours d’un chantier (la dernière fois, à Gim­brède, c’é­tait une fenêtre entière, les traces sont là). Le troisième jour, Mamère arrive à l’aéro­port. En même temps com­mence, recom­mence, la dis­cus­sion avec Gala: “où se voit-on? que fais-tu? se ver­ra-t-on jamais? viens! non, toi! mais enfin!” Elle est à Genève, à écouter France-Cul­ture, à Genève chez son amie, chez le médecin, ne peut pas venir, ne veut pas rester, ne peut décider seul, deman­dera au médecin. Je vais à l’aéro­port. Mamère est là.

Luv

Olof­so m’ap­pelle. Troisième jour des exa­m­ens, Luv est en pleurs, sen­ti­ment d’avoir mal fait, mal répon­du, craig­nant d’é­chouer.
-Tant que ce n’est pas fini, ce n’est pas fini.
Réponse sibylline qui agace Olof­so, et que j’ex­plique ain­si:
-Quand au tren­tième kilo­mètres du marathon je suis fatigué, je me dis que je ne suis pas fatigué, je n’ar­rête pas de courir.

Sans écriture

Durant le voy­age à vélo, état opposé à celui qui m’a fait écrire il y a vingt ans Trois diva­ga­tions sur le Mont Arto ou encore, quelques années plus tard, Ogro­rog. N’af­fleurent à l’e­sprit que des bribes de phras­es. Ignorées, elles s’ef­facent. Je ne tra­vaille pas. Je laisse couler. De même avec le paysage: objet pour le regard, il file. Aus­si, cette méth­ode de roulage-écri­t­ure m’oblig­eait à m’ar­rêter sans cesse pour pren­dre des notes (sur un car­net fixé au guidon) car, on s’en doute, ce que l’ac­tion pro­duit dans un cerveau chauf­fé ne peut-être retrou­vé dans un cerveau froid. Il en va ici comme des séquences du rêve. Leur poids d’év­i­dence nous per­suadent qu’elles s’in­scriront dans la mémoire; en réal­ité, à l’ar­rivée, fin d’é­tape ou pour le rêve éveil, il ne reste rien. Para­doxe de cette fuite à tra­vers le temps et les lieux, s’il est plus proche de la médi­ta­tion et fait la part belle au corps, il est d’emblée inénarrable.

Jours

Cette capac­ité à s’af­fron­ter à des prob­lèmes sim­ples aux­quels on apporte, dans l’or­dre du pro­gramme et avec une méth­ode à cha­cun adap­tée, sa solu­tion, en prenant garde de détailler les phas­es de la solu­tion de façon à occu­per pleine­ment la journée, aller pren­dre le pain, faire les lits, boire le café, sor­tir le chien, ren­tr­er le chien, se ren­dre au super­marché, écouter la radio, aér­er l’ap­parte­ment, sec­ouer la cou­ver­ture du canapé, véri­fi­er que la voiture est tou­jours dans le garage en espérant crois­er quelqu’un avec qui bavarder, ressor­tir le chien, pré­par­er le dîner…

Commande

-Rap­pelez-moi!
-Dou­ble décaféiné dans un verre à bière, dit la dame au garçon,
Et comme il s’éloigne:
-…avec de la glace, et de la saccharine!

Sexe des femmes 2

Ter­ri­ble pou­voir des femmes qui n’ont pas de pou­voir sexuel.

Sexe des femmes

Ter­ri­ble pou­voir des femmes, qui est sex­uel. Ter­ri­ble pou­voir, qui n’est que sexuel.

Expérience

Imag­i­nons un groupe d’in­di­vidus au cerveau mal fait, pau­vre­ment cri­tiques et donc enclins à croire, surtout, par voie émo­tion­nelle, aux argu­ment d’au­torité, ici incar­nés dans un expéri­men­ta­teur. Ces indi­vidus ont droit à tout — con­fort, vie sex­uelle, diver­tisse­ment, drogue, soins, argent — à con­di­tion d’ad­met­tre que le soleil n’ex­iste pas. Une par­tie des indi­vidus va répéter qu’ ”il n’y a pas de soleil”. Elle sait que cette idée est con­tre-nature, mais elle part du principe que le men­songe ne portera pas à con­séquence. L’autre par­tie des indi­vidus préfère se taire — après tout, soleil il y a.
Deux­ième temps. Des argu­ments sont dévelop­pés par l’ex­péri­men­ta­teur prou­vant qu’il “sem­ble” y avoir un soleil et ceux qui croient qu’il n’y a pas de soleil sont favorisés par rap­ports aux con­tra­dicteurs. Plutôt que d’ad­met­tre qu’ils sont favorisés parce qu’ils se mentent, ceux qui se mentent ten­dront mécanique­ment à croire qu’ils sont favorisé parce qu’ils ont rai­son (loi de l’é­go).
Troisième et dernier temps: la seule chose qui s’op­pose au con­fort intel­lectuel des indi­vidus qui dans le groupe ont accep­té de croire que ce qui existe n’ex­iste pas sont les con­tra­dicteurs, soit le reste des indi­vidus. Pour que la vérité soit com­plète, ils devront être élim­inés.
Mais, tel n’é­tait ‑bien enten­du- pas le but de l’ex­péri­men­ta­teur.
Sou­venez-vous, il n’avait pas de but.