Paroles d’un enfant éduqué à mort qui conteste les éléments de son éducation, cette paroi extérieure, analogique, chauffée, aimable, répondante, qu’envient monstrueusement les victimes misérables qui sur le reste du globe, les mains tendues, errent.
Mois : février 2018
Oser
Si on osait? Dieu soit loué, ou plutôt, louons je ne sais quoi (louer quelque chose, il le faut bien, quand ce qui empêche le désastre est plus qu’humain), il n’en va pas ainsi! Rares, ceux qui osent. Bien, les cris d’attaque des jeunes! Mais ce sont des cris, ce n’est pas de l’attaque, ce sont des excuses, rien que des excuses et des immobilités prochaines. Oserait-on, qu’il n’y aurait en lieu et place des grandes niches que l’on organise à la surface de la terre que des ruines en voie de dispersion. Alors, peut-être, aurions-nous fait acte momentané de suprématie.
Tranquille
Jours tranquilles, heureux. Les enfants sont là pour leurs vacances. Ils profitent de l’appartement avec le sentiment qu’il est impossible que je quitte pareil lieu (de même pour moi, sentiment rehaussé de l’obligation de brader ce mobilier neuf, acquis au prix fort, dont les Espagnols, désargentés, à qui je fais appel par voie de petites annonces, n’ont que faire). De fait, l’ensoleillement est aussi important ce soir qu’au printemps, les petits jouent nus dans les vagues. Luv désigne les trous sur la plage. Ce sont les chiens. Un peu plus tard, je l’attire sur la terrasse. Ils ont disparu. Un vent de sol balaie le sable et lisse les reliefs. Avec Aplo, nous étudions Hegel et Kant, Comte et la Nouvelle histoire (connais pas). Philosophie de l’histoire. Surpris, je vois que mon petite pensum, partie de l’essai, alors que je ne sais rien des approches récentes de la critique, recoupent l’analyse des rapports entre le fait et l’événement. Même chose quant au remplacement de l’objectivité par l’intersubjectivité, preuve que je n’ai pas su, tout en filant la bonne direction, pousser bien loin. Le devoir fini (celui du père veux-je dire, car pour ce qui est d’Aplo, il ne lui est demandé que cela, enregistrer les données requises pour le baccalauréat) nous allons acheter au Supersol une côte bœuf d’un kilo. En passant, je m’arrête au bureau de la multinationale pour résilier mon abonnement de téléphone (le dernier avant le silence) et l’employé, rouge, jeune, plastronné, pauvre homme, me sachant irritable, l’air solide, prévoyant comme une machine, me dit:
-Attendez, Alexandre, on ne peut pas… Il faut le faire par téléphone. Une machine répondra à votre demande. Vous lui direz: “788&dRtXX*B”.
-Et… ça marche?
-Oh, pour ça, ne vous inquiétez pas! Nos machines sont des experts.
Sorti de ce circuit,commun et court, car il n’y a dans le local que Luv et moi, je me dirige vers la banque Santander pour garnir mon avoir en compte. Cela fait, je demande un transfert d’argent à la guichetière, une Portugaise qui a scotché sur son écran la Virgen de Guadalupe. Elle demande à voir mon téléphone. Que j’ai oublié chez la multinationale. Alors, nous rentrons avec le bœuf, du lait et un beurre et je reprends la philosophie avec Aplo: théorie des artefacts dans l’Hippias majeur.
Enjeu
Tout l’enjeu de la discussion mentale, en tant qu’elle traite fondamentalement pour chacun du but de l’existence, consiste à savoir si, en cette époque-ventouse, on peut encore donner expression à sa liberté sans inféoder ses valeurs, ce qui revient à demander: la régulation nécessaire des énergies animales n’a-t-elle pas été dévoyée et retraduite sous la forme d’une régulation nécessaire des propensions symboliques?
Ce que j’aime
Ce que j’aime dans la militarisation du corps, c’est le contraire de l’ordre imposé et de l’esprit de troupe, principes qui aboutissent à l’arme collective des unités vivantes; ce que j’aime, c’est l’anarchie poussée au plus haut degré de son expression individuelle, la possibilité pour celui qui a consenti les efforts nécessaires à la construction de la personne de déployer sa force hors toute limite circonscrite par l’imagination moyenne qui fonde la société.
Fin du monde
Pleine nuit. Au ciel décolle un avion bleu. Il se redresse. A mes côté, un inconnu tend la main. Comme lui, je remarque l’aileron. Il perd son aplomb, il se froisse. D’autres passants s’arrêtent et fixent l’appareil. Le fuselage change de forme. L’avion éclate. Plusieurs avions en phase d’envol éclatent. J’attrape Gala par la main et je cours. Des morceaux ne vont pas tarder à s’écraser sur la ville. Quelqu’un s’écrie: c’est fini. Il a raison, je viens moi aussi de comprendre: c’est la fin du monde. Tout au plus peut-on tenter de survivre quelques heures. Nous fuyons, à pied, le long d’une route de campagne. “Il nous faut un véhicule!” Gala arrête un taxi. Sortie du noir, un femme voilée l’avait hélé avant nous. Gala négocie. Le chauffeur indique sa direction: opposée à la nôtre. Gala prend place. Je la sermonne: “mais enfin, tu vois bien, nous allons pas là, pas elle, pas cette femme !” Tout de même, nous atteignons les champs. Ils sont barbelés. Nous ne pourrons pas cisailler, dis-je, il faut se blesser. Et fixant le ciel obscur, je me demande: combien de temps dure la fin du monde?