Mois : juin 2017

Soleil

Au réveil, les mêmes ver­tiges qu’à Pâques sur la mon­tagne. Le pla­fond et le sol tour­nent, je dois m’asseoir dans le lit, je manque vom­ir. J’aimerais con­clure à l’ex­cès d’al­cool, mais la déduc­tion n’est pas sim­ple : hier, pour la pre­mière fois de l’an­née, j’ai pré­paré le vélo de course et je suis mon­té dans l’ar­rière-pays. Impa­tient, je suis par­ti trop tôt. Il était 17h30, il fai­sait trente-cinq degrés. Or, les collines qui penchent au-dessus des toits du vil­lage n’of­frent pas une pente, mais un mur. D’ailleurs les auto­mo­bilistes le savent, ils restent sur la côte — j’é­tais seul. Une mon­tée de trente min­utes. Chaque tour de roue me coû­tait. L’eau du bidon était chaude, les herbes croustil­laient, les oiseaux volaient au ras du bitume (pas la force de bat­tre les ailes). Je passe la colline, elle en cache une autre. Le col est à trois cent mètres, j’ai l’im­pres­sion d’avoir gravi les Alpes. Ensuite, je me perds dans le vil­lage blanc de Machar­avi­aya, demande ma route aux enfants, trans­porte le vélo sur un chemin de pous­sière, passe entre les oliviers et les ânes, retrou­ve la côte à Benara­jafe, bois un litre d’eau fraîche et fais une pointe à 45 km/h. Comme aujour­d’hui, les ver­tiges de Pâques ont eut lieu au lende­main d’une journée de grand soleil. Trois heures de ski alors, trois de vélo hier. Plutôt que l’al­cool, ça doit être l’in­so­la­tion. Pour­tant, les deux fois, j’é­tais casqué. Je viens de dormir onze heures. J’ou­vre une livre, je me mets à l’écri­t­ure. Il faut renon­cer. A l’é­tage, dans la lumière de l’après-midi, je me ren­dors. Six heures sans remuer le petit doigt.

Immunité

“On a com­mencé à com­pren­dre, d’abord en hési­tant, que seuls les dis­posi­tifs immu­ni­taires per­me­t­tent à ce que l’on appelle des sys­tèmes de devenir à pro­pre­ment par­ler des sys­tèmes, aux créa­tures vivantes, des créa­tures vivantes, aux cul­tures, des cul­tures. Grâces à leurs seules qual­ités immu­ni­taires, ils accè­dent au rang d’u­nités auto-organ­isantes qui se con­ser­vent et se repro­duisent dans un lien con­stant avec un envi­ron­nement poten­tielle­ment et actuelle­ment invasif et por­teur d’ir­ri­ta­tions”, Slo­ter­dijk, “Tu dois chang­er ta vie”

Moustiquaire

Mous­ti­quaire pour lit. 300 x 200 cm. Avec sys­tème d’ac­croche et moustique-test.

Nuit de Saint-Jean

Cela m’a pris au dépourvu: j’al­lais à la ville à vélo, pour le plaisir, c’est à dire lente­ment. Plutôt que de tra­vers­er le port de plai­sance où les paque­bots char­ter débar­quent des Nordiques, j’ai cade­nassé le vélo au pied de la forter­esse et suis mon­té dans le quarti­er de l’U­ni­ver­sité. Les fac­ultés sont logées dans de gros bâti­ments de mar­bre terne. Ils trô­nent sur la colline de terre fendue. Autour, c’est un dédale de rues pop­u­laires où pend la lessive, où dor­ment les chiens, où l’on entend la fri­t­ure des cuisines et les échos des dessins ani­més que les petits regar­dent dans des salons pleins d’om­bre; à la proue des églis­es sont attachées des vierges de faïence, les planch­ers des bars nagent dans la sci­ure, les ter­rains vagues ser­vent de dépo­toir; cer­taines rues sont si étroites, qu’il faut marcher de pro­fil; plus loin, un incendie s’est déclaré, les pom­piers évac­uent un pre­mier étage. En tra­vers des camions rouges, sur le store qui pro­tège la machiner­ie, un plaisan­tin a écrit au spray, “nous sauvons ta vie”. Mais voici le deux­ième camion, et c’est la même inscrip­tion — avec une faute d’orthographe. J’at­ter­ris dans une bro­cante, un cou­ple de vieil­lards regarde un match sur un poste des années 1950, l’an­tenne est en fil de fer. Sur les étagères, de la vais­selle, des livres, des cannes, des bal­ais… Je pro­gresse sous un néon clig­no­tant, aboutis devant des paniers en rotin. Je lis quelques prix. Une “Ency­clopédie gra­tu­ite des ours polaires”, 34,80 Euros. Un paire de clo­chettes en cuiv­re, 59,80 Euros. Dans un rencogne­ment, il y a des tableaux. Pots de fleurs, paysages, chro­mos de la semaine sainte, du papi­er, des repro­duc­tions machines. Les prix sont absur­des, et tou­jours ces 0,80 cen­times! Celui-là peut-être… Dans un cadre doré, une pein­ture de grande taille façon baroque. Je m’ap­proche. Encore une repro­duc­tion. Son prix: 2490, 80 Euros. Après quoi je rejoins mon vélo, ren­seigne des sud-Améri­cains à bord d’un bus de loca­tion qui cherchent l’au­toroute de Séville, change de vête­ments et roule vers la mer. Le long du quai, le spec­ta­cle est inouï. Les familles trans­portent tables, chais­es, glacières et braseros, les garçons dou­blent les ter­rass­es de restau­rants, occu­pent la plage, il y a mille cou­verts et autant de paniers de pain sous le soleil, ils empi­lent le bois d’o­livi­er près des stands de gril­lade des sar­dines, ils enfi­lent des cala­mars sur des bro­chettes et refroidis­sent le vin. Sur la plage, les pères dressent des tentes et enclenchent les généra­teurs, font reten­tir le fla­men­co, sur une scène accrochée à ce qui sert habituelle­ment de fit­ness en plein air, les orchestres essaient la sono et partout les enfants trans­portent les man­nequins qui brûleront à minu­it, les pho­togra­phient devant les palmiers, sur des bar­ques, dans les vagues ; les baigneurs vont par dix ou douze et trois généra­tions, de la grand-mère au bébé, entrent dans l’eau, se tien­nent debout dans le flot et chantent. Spec­ta­cle joyeux, réjouis­sant, plein de rires. Tout le monde s’in­ter­pelle, les plaisan­ter­ies courent d’un groupe à l’autre, une gamine qui décharge une voiture casse une bouteille, la voi­sine apporte le bal­ai et la ramas­soire, les pêcheurs jet­tent leur lignes, les rares touristes (je suis loin du port de plai­sance, dans le quarti­er du Bâton) restent plan­tés là, ahuris. Et à minu­it, toute la plage s’embrase, les bon­hommes par­tent en fumés, le ciel se rem­plit de flambeaux.

Chez le boucher

-Avez-vous de la viande rouge?
-Qu’ap­pelez-vous de la viande rouge?
Ce qui veut dire qu’au­jour­d’hui, il n’y a pas de bœuf.

Chaleur

Mer splen­dide. L’eau est lisse et vaste. Il n’y a plus de vague. C’est lun­di. Le sable a été net­toyé. Quelques traces de pas sont vis­i­bles. Un promeneur passe. Un autre. Puis dans l’après-midi, le vent se lève, les vagues mon­tent, les vil­la­geois sor­tent les bateaux, le planch­es, les pneu­ma­tiques. Ce matin, je lève le store. Une brume bleue a envahi l’hori­zon. En chemin pour la boulan­gerie, je croise Fran­cis­co:
-Alors ce store, ça marche?
-Ce serait mieux avec télé­com­mande.
Il m’ex­plique qu’il existe plusieurs mod­èles, le mien est élec­trique mais ne réag­it qu’à l’in­ter­rup­teur. Je le remer­cie, je pense au pain, au café, à autre chose.
-Sinon, il y a la perche. Pour voir le soleil.
-Pour une fois, aujour­d’hui…
Mais à peine ressor­ti de la boulan­gerie avec mes cha­p­atas, je vois que tout est revenu à la nor­male, un soleil écla­tant, une chaleur ver­ti­cale, des ombres découpées au fil. Même nu, tra­vailler est dif­fi­cile. Le corps fond.

Espace

L’e­sprit représente au corps ce qu’il ne peut incar­n­er. Cet espace de la civil­i­sa­tion est aus­si celui du mal­heur de l’homme.

Retour sur la question libérale

For­mule chez Michéa qui vaut insulte et paraît gra­tu­ite alors qu’elle est bien soupesée: “pro­duire tout et n’im­porte quoi”.

Certainement

Cer­taine­ment ce qu’on est com­mande ce qu’on sera; tout aus­si cer­taine­ment, on ignore ce qu’on sera faute de savoir ce qu’on est.

Reculets

Cette dis­cus­sion tou­jours, ce car­rousel, “qu’al­lons-nous faire?”, “où aller?”. “Mais enfin, dit Gala, nous n’avons pas de mai­son, pas de lieu nôtre, une mai­son qui se meublerait, une mai­son où s’ap­partenir!” Le bras leste, je désigne le vaste salon der­rière nous (la dis­cus­sion a lieu sur la ter­rasse, j’ai mon litre à la main, de la viande grille sur le brasero):
-Tu as remar­qué que je ne fais rien? Je n’amé­nage pas. Cette fois, j’évite de con­stru­ire parce que nous allons bien­tôt détru­ire.
Et Gala, une fois de plus, me par­le de la France. Cette société ens­ablée. De Toulouse. Dont je ne pense rien, sinon qu’il y manque des Français. Alors, en atten­dant mieux, nous par­tons de l’idée que nous habiterons cha­cun notre par­age. Moi, entre mes trois mon­tagnes prim­i­tives, avec des incon­nus de Navarre, mon pro­jet de chas­se, de potager, de pêche, elle avec ce maître qu’elle n’a jamais ren­con­tré et qui lui enseign­era les moyens de pein­dre des icônes russes.