Mois : mars 2017

Laboratoire

Le régime de Dan­tec dans son Lab­o­ra­toire de cat­a­stro­phe générale, vivre le jour en résis­tant, écrire la nuit en drogué; à la fin, il en meurt. J’ig­nore s’il est mort de ça, mais on meurt de ce qu’on a vécu.

Direction

Voyons! Mon entre­prise fait des béné­fices. Les per­spec­tives sont bonnes. D’ailleurs, voici un nou­veau client. Ren­seigne­ments pris, il a de gros moyens. Je le reçois et le cour­tise. Il signe, con­somme et paie. Il me revient, aug­mente sa demande. Je me vante auprès d’un ami. “Com­ment, s’ex­clame cet ami, tu l’as pour client? Tu sais qui est ce type?” Mon ami me l’ap­prend: mon client cor­rompt, vole, exploite. Ce n’est pas tout: il a plus d’un mort sur la con­science. Le lende­main, le client se présente à mon bureau, me remer­cie pour mes derniers travaux, m’in­vite à venir pass­er le week-end chez lui et m’an­nonce que nous en prof­iterons pour sign­er de nou­veaux con­trats. Avant d’avoir pu répon­dre à l’in­vi­ta­tion, je croise mon ami. Il me reproche: “mal­gré ce que je t’ai appris, tu traites tou­jours avec ton client?”  Et moi: “tu te trompes, ce n’est que mon client. Sa vie privée, ne me regarde pas!” “Mais enfin, dit mon ami, hier encore, dans le quarti­er…” Je ne laisse pas finir mon ami, je l’in­ter­romps:
- Je ne suis pas au courant.
Et main­tenant, de la même façon, je dirige le monde, car, c’est bien con­nu, qui peut diriger une entre­prise peut diriger le monde.

Clint

Clint East­wood a‑t-il fini par croire, à force de jouer dans des west­erns, qu’il était Clint Eastwood?

Post-démocratie

Si, de la cam­pagne prési­den­tielle qui se déroule ces jours en France, on retire les hommes et femmes poli­tiques, appa­rais­sent les com­man­di­taires et béné­fi­ci­aires des pro­grammes des can­di­dats, lesquels com­man­di­tent et espèrent béné­fici­er du choix cen­si­taire en fonc­tion de deux et deux critères seule­ment: “vais-je aug­menter mes revenus?” et “l’ef­fort de guerre sou­tien­dra-t-il les visées stratégiques du cap­i­tal que je gère?”

Grosseur

Cette femme grosse a un mari. Tan­tôt, il se prom­e­nait à ses trouss­es. Dif­fi­cile de s’ex­primer autrement car le trot­toir n’a pas une largeur suff­isante pour que l’homme puisse marcher de front avec sa femme.

Singularité

Il faudrait avoir le tal­ent néces­saire pour prou­ver que face à la com­plex­ité, ce n’est pas de la “sin­gu­lar­ité”, au sens où le posthu­man­isme pro­pose le dépasse­ment de notre con­di­tion anthro­pologique dans un être autocréé et sans organes, dont nous avons besoin, mais de la sim­plic­ité, c’est à dire d’une capac­ité à neu­tralis­er tout élé­ment par­tie prenante de la com­plex­ité qui nuit à la sta­bil­ité anthro­pologique conçue comme la base d’un pro­grès d’ex­pan­sion de nos don­nées duelles, physiques et men­tale. Et si je dis “prou­ver” et non “démon­tr­er”, c’est que je crois que cela passe par l’in­ven­tion d’un mode de vie.

Bon sens

Si le bon sens est une notion anhis­torique fondée sur la nature de l’homme dont la déf­i­ni­tion typ­ique pour­rait être: “capac­ité de l’homme à agir en fonc­tion de son intérêt et de celui de l’hu­man­ité”, alors force est d’ad­met­tre que nous sommes fous. Quand je dis “nous”, je par­le de la civil­i­sa­tion occi­den­tale, blanche, chré­ti­enne, mod­erne, post-mod­erne — moment où le bât blesse. La trans­val­u­a­tion des valeurs réclamée par Niet­zsche au nom de la force spir­ituelle a trou­vé son dou­ble gri­maçant: l’in­ver­sion sui­cidaire de toutes les valeurs de vie. Mais alors, pourquoi raison­ner encore en fonc­tion de l’om­bre que pro­jette notre jus­tice d’époque, ce parangon du faux? Celle des mag­is­trats, cor­po­ra­tion tech­ni­ci­enne; celle des hérauts de la moral­ité poli­tique ou religieuse, cor­po­ra­tions tech­ni­ci­ennes; celles des don­neurs de leçon médi­a­tiques, grands esclaves; celles des puis­sances d’ar­gent, cor­po­ra­tions tech­ni­ci­ennes?  Il faut, sauf à s’ex­pos­er à per­dre toute notion de bon sens, ébrouer cette ombre pois­seuse qui asphyx­ie et se pren­dre en main.

Parole

Entre toutes choses qui changent, me sur­prend le des­tin de la parole. Com­ment savoir si je suis seul dans ce cas? Il faudrait pour cela trou­ver l’oc­ca­sion de par­ler. D’ailleurs, je ne suis pas cer­tain de mon con­stat. Il ne s’ag­it pas de faire état d’une recul quan­ti­tatif de la parole. Elle est partout. Si je m’ab­stiens, c’est affaire per­son­nelle. Mon inquié­tude porte plutôt sur la nature des échanges. Au sein des grands flux, man­quent ces dia­logues de mariage heureux qui à par­tir de l’ami­tié, c’est à dire d’un grand silence partagé, ques­tion­nent fébrile­ment le monde. Il me sem­ble avoir vécu pen­dant des années immergés dans cette transe chercheuse — aujour­d’hui, je tombe à n’en plus finir dans le vide. Il est vrai: je me tais; et même quand je par­le (je ne suis pas avare de mots), je le fais par­fois en me taisant. Comme j’é­tais une fois de plus de pas­sage en Suisse, et bien con­tent de partager avec des amis, des ren­con­tres, des per­son­nes nou­velles, m’ap­pa­rais­sait chez cha­cun d’en­tre nous cette tare que j’évoque ici: sorte de fatigue con­géni­tale, atavique, et donc inqual­i­fi­able, qui vide la con­ver­sa­tion de sa force pas­sion­nelle. Il faudrait aller plus loin: dis­cuter le pro­pos. Par exem­ple se deman­der si ce refroidisse­ment de la parole, ce recul de la pas­sion qu’elle porte, est physique­ment appareil­lé à l’at­teinte de l’âge et à la perte de l’in­no­cence ou s’il y a là un impact de l’époque, pour nous de l’u­ni­ver­sal­i­sa­tion des machines et de la mise en caté­gorie de la spontanéité.

Concours de coiffeurs

Atten­tif depuis des années au marché de la coif­fure. Peut-être parce que la pro­fes­sion est liée à l’héritage arti­sanal de l’oc­ci­dent. Ou alors, parce que pour réus­sir dans ce méti­er compte autant la dex­térité dans la manip­u­la­tion des ciseaux que le don de parole. Au vil­lage, les salons de coif­fure sont nom­breux et ils se mul­ti­plient. Je fréquente l’un des plus anciens. Le local des années 1950 est vétuste. Manolo Ramos est chauve, motard, andalou et spé­cial­iste en ragots poli­tiques. Il est débor­dé. Pour ce qui est de pren­dre ren­dez-vous une semaine nor­male, c’est à peu près impos­si­ble. Il éteint son télé­phone. Il faut se ren­dre sur place. Et que voit-on? Les chais­es pli­ables sont occupées, trois autres clients atten­dent sur le trot­toir. La coupe est à 8 Euros. Or, depuis févri­er, une nou­veau salon s’est ouvert. “Low-cost”, annonce l’en­seigne. L’une des jeunes femmes — elles sont sept — con­firme: il s’ag­it d’une chaîne. Prix de la coupe, 5 Euros. Un dis­trib­u­teur de tick­et organ­ise les tours de pas­sage. Ce matin, un des salons instal­lé de l’autre côté de la rue a relève le défi: sur la vit­rine s’é­tale en grand “Corte, 4 euros”. Nul doute que tous ces gens ne par­lent. Reste à savoir s’ils ont en ce domaine autant d’ex­péri­ence que Manolo.

Déconstruction

Ne fut-il pas plus joyeux d’ex­is­ter dans une époque moins construite?