Parole

Entre toutes choses qui changent, me sur­prend le des­tin de la parole. Com­ment savoir si je suis seul dans ce cas? Il faudrait pour cela trou­ver l’oc­ca­sion de par­ler. D’ailleurs, je ne suis pas cer­tain de mon con­stat. Il ne s’ag­it pas de faire état d’une recul quan­ti­tatif de la parole. Elle est partout. Si je m’ab­stiens, c’est affaire per­son­nelle. Mon inquié­tude porte plutôt sur la nature des échanges. Au sein des grands flux, man­quent ces dia­logues de mariage heureux qui à par­tir de l’ami­tié, c’est à dire d’un grand silence partagé, ques­tion­nent fébrile­ment le monde. Il me sem­ble avoir vécu pen­dant des années immergés dans cette transe chercheuse — aujour­d’hui, je tombe à n’en plus finir dans le vide. Il est vrai: je me tais; et même quand je par­le (je ne suis pas avare de mots), je le fais par­fois en me taisant. Comme j’é­tais une fois de plus de pas­sage en Suisse, et bien con­tent de partager avec des amis, des ren­con­tres, des per­son­nes nou­velles, m’ap­pa­rais­sait chez cha­cun d’en­tre nous cette tare que j’évoque ici: sorte de fatigue con­géni­tale, atavique, et donc inqual­i­fi­able, qui vide la con­ver­sa­tion de sa force pas­sion­nelle. Il faudrait aller plus loin: dis­cuter le pro­pos. Par exem­ple se deman­der si ce refroidisse­ment de la parole, ce recul de la pas­sion qu’elle porte, est physique­ment appareil­lé à l’at­teinte de l’âge et à la perte de l’in­no­cence ou s’il y a là un impact de l’époque, pour nous de l’u­ni­ver­sal­i­sa­tion des machines et de la mise en caté­gorie de la spontanéité.