Mois : mars 2017

Extraordinaire

Pour quelle rai­son, entre dix et onze heures ce soir, les gens sont-ils sor­tis sur les quar­ante bal­cons qui font face à mon immeu­ble, jetant tour à tour un œil, comme s’ils s’at­tendaient à quelque chose? Je ne com­prends rien à ce phénomène. C’est extra­or­di­naire. Inquié­tant, promet­teur , ani­mal, extraordinaire.

Actualité

Un monde où il n’y a plus rien à vivre, mais qui tient ses promesses.

Propriété

Des choses qui m’ont le plus choqué: on est jamais pro­prié­taire. Le temps con­sacré, l’ar­gent obtenu, les con­di­tions rem­plies, on vous donne ce que vous con­voitiez, puis on le rançonne, on vous oblige, on foule votre intim­ité. Dès lors, qu’e­spérez? A quoi bon jouer encore à ce jeu per­dant? Ce n’est pas que manque le ter­ri­toire, c’est qu’il était autre­fois arrogé par la guerre, qu’il est aujour­d’hui par la tech­nique. Dans un entre-soi.

Table

Il y a six mois, j’ai acheté une table. En la mon­tant sur le toit, j’ai fail­li me tuer. J’é­tais seul dans l’ap­parte­ment à cette époque. L’escalier à vis est sor­ti de ses gonds, il m’a rabat­tu vers la cours cinq étages plus bas. J’ai répété l’opéra­tion, j’y suis arrivé. J’ai fixé la table. Cinquante kilos de bois brut. Les gens qui vien­dront, pen­sai-je, auront besoin d’une table. Pour moi, je m’y suis assis deux fois. Ven­dre­di, je démé­nage. Les nou­veaux locataires ne veu­lent pas de la table. Si je pou­vais éviter de me tuer en la descen­dant du toit. Et ensuite, où la met­trai-je? Gala  m’ a aver­ti: dans le nou­v­el apparte­ment, ça ne va pas. J’y pen­sais à cause la mai­son, celle que je viens d’a­cheter. J’e­spère qu’elle est là où je crois qu’elle est. Quand irai-je? Je n’en sais rien. Et ain­si de toutes ces choses. Ce qui tend à prou­ver que l’on a trop d’ar­gent et que l’on s’of­fre des problèmes.

Fondamentaux

Aus­sitôt Aplo par­ti, je me suis remis à écrire et à faire du sport mil­i­taire. A part marcher, loin, longtemps, pour voir, écrire et réfléchir à ce que je vois, que pour­rais-je bien faire?

Rêve 2

Le train entre en gare. Olof­so a dis­paru. Je l’at­tends, elle ne revient pas. Je prends place dans le wag­on, la guette. Trop tard, la rame s’ébran­le. Alors je me rends compte que ce train est un direct.Sa pre­mière halte est Berlin, à mil kilo­mètres. D’ailleurs, sans Olof­so, je n’ai plus aucune envie d’aller à Berlin. Heureuse­ment, je ren­con­tre des amis. Lev, Etan, O.T. Ils se moquent de moi.
- A Berlin! Me dit Lev. Regarde ton atti­rail! On croirait que tu pars sur le front! Moi, je vais en Ukraine les mains dans les poches. L’Ukraine, c’est là qu’il faut aller!
Il a rai­son, je suis suréquipé: gilet, bidons, poches plas­tiques, sac avant, sac arrière. Mais du moins, me dis-je, je sais où sont rangées mes pos­ses­sions. Pour le prou­ver aux autres, je mets ma main à la poche et en tire un bil­let de 500 Euros plein de mélasse. Moi qui croy­ais qu’il était dans la poche de gauche. Je fouille le sac, j’y trou­ve un pois­son. Que fait-il là?  Mon passe­port. Il est en lam­beaux. Mon bidon. Troué. Les autres se détournent. 

Rêve

Nu au super­marché. P. de R. pour­tant si tolérant, me dis­ait:
-Tu sais Alexan­dre, tu es nu.
Alors m’ap­pa­rais­saient les longs couloirs à marchan­dis­es qu’il me faudrait par­courir pour rejoin­dre l’en­droit où m’at­tendaient mes vête­ments. Mais quel endroit?

Retour

Gala tou­jours sur le retour. Après le départ de la Côte-d’Azur same­di, la deux­ième étape. Arrêtée sur le bord de la route près de Valen­cia dans un hôtel plein de vent. Elle envoie un mes­sage pour me dire la tem­péra­ture de sa bière.

Banc

Au vil­lage, il y a cet homme, à peine plus âge que je le suis. Il a son banc au car­refour et regarde pass­er véhicules et pié­tons. Tous les jours, en tout sai­son. Sa con­stance est admirable. A se deman­der pourquoi il loue. Évidem­ment, le fait de louer suf­fit à établir qu’il n’est pas un clochard. D’ailleurs, il est cor­recte­ment vêtu et respecte l’ho­raire bour­geois: il mange aux heures con­v­enues. Puis revient à son banc. Hier, il pleu­vait. Pour la pre­mière fois, je le voy­ais debout. Quelque pas sur place, sans s’éloign­er du banc à qui il sem­blait reprocher d’être mouillé.

Baccalauréat

Étu­di­ant ces clas­siques que l’é­cole fait lire aux enfants pour la pré­pa­ra­tion du bac­calau­réat, je m’é­tonne qu’ils soient demeurés les mêmes depuis trente ans dans une société pareille­ment boulever­sée. Est-ce à dire que nous fixons par souci d’idéal un temps des justes représen­ta­tions? Ou au con­traire qu’ayant per­du toute direc­tion cri­tique nous préféri­ons main­tenir le sta­tus quo? Baude­laire, je ne sais pas: si sa poésie est pour moi com­préhen­si­ble, elle est fas­ti­dieuse à lire et par-dessus tout, sans prof­it spir­ituel ni intel­lectuel. Le Mariage de Figaro. Bel et bon. Mais ce n’est qu’un vaude­ville de solide fac­ture et quant à rire — car on rit — pourquoi ne pas le faire en regar­dant notre société pas­tichée par un auteur con­tem­po­rain? Ensuite, Sartre. Huis-clos. De Sartre, je suis depuis tou­jours le défenseur. L’Imag­i­naire est un de mes essais de prédilec­tion, et puis, à cer­tain égards, je me sens proche des exis­ten­tial­istes, même si mon intérêt dans le mou­ve­ment va plutôt à Emmanuel Mounier ou Denis de Rouge­mont. Quoiqu’il en soit, soyons cer­tain que cette pièce passerait aujour­d’hui inaperçue. Pre­mière en son genre? J’ai peine à m’en con­va­in­cre. C’est en tout cas don­ner à voir à quel point notre tâche de derniers venus d’une his­toire lit­téraire dont l’empire a dom­iné toute la géo­gra­phie intel­lectuelle est laborieuse: au mieux nous repous­sons à grands ren­fort d’in­ven­tiv­ité les lim­ites de quelques centimètres.