Je dors l’après-midi dans une chambre blanche du nouvel appartement. La lumière du ciel et de la mer, sans obstacles, irradie, mais aussi, cette chambre est blanche par les teintes du marbre au sol et des enduits sur les murs, mais enfin et surtout, elle est blanche parce que nous ne trouvons rien à y mettre sinon le lit double, bâtie comme elle est dans le toit, devant une grande vitre et percée de deux colonnes dont on se demande ce qu’elles soutiennent. Et ainsi, lorsque je me couche vers trois heures, je traverse plusieurs couches de lumière avant d’atteindre le duvet, le matelas et de m’enfoncer — personne ne peut le voir, pour cela il faudrait être au ciel ou marcher sur les eaux — dans le blanc.
Mois : mars 2017
Progrès 2
Après la sieste, je retourne chez le marchand électrototalitaire. Une machine décide de l’ordre de passage des clients. Je ne prend pas le ticket. J’attends. Les minutes passent. Je dois aller à Malaga. Ordinateur en bandoulière, la vendeuse fait l’article à un père accompagné de son fils. Elle explique les avantages, les mégaoctets, la gratuité, les jeux. Pour finir, le père demande le prix. Une grimace défait son visage, il remercie, attrape son fils, s’en va — c’est mon tour.
-Vous avez votre numéro de passeport cette fois?
J’ouvre mon passeport, je lis le numéro.
-Si c’est un document étranger, le passeport ne sera pas valable. Il me faut votre numéro de résident.
J’avais prévu. J’énonce. La vendeuse le tape sur son clavier, obtient une code à trois chiffres.
-Donnez la pochette de votre appareil, je vais vous le noter.
Puis elle prend mon téléphone et commence une série de manipulations.
-Oh la! Que faites-vous?
-Je vous met la télévision.
-Riens du tout, rendez-moi mon téléphone!
-Mais c’est gratuit!
-Justement!
Les deux autres vendeuses, interloquées, me dévisagent. Tout sourire, je confirme:
- Sur ce téléphone, je ne veux que le téléphone.
Alors ma vendeuse:
-Dans une heure, une de nos assistantes marketing va vous appelez. Elle vous demandera si vous avez été satisfait de mon service et vous demandera d’attribuer une note entre 1 et 10. Si vous pouveiz me mettre une bonne note, ce serait sympa!
-Votre assistante, ce ne serait pas une machine?
-…si.
-Désolé, je ne parle pas aux machines.
Prendre
Pour autant qu’elles aient pris le risque de vous aimer, elles vous aiment quand vous les prenez. Mais que vous les aimiez sans le désir de les prendre, ce qui m’arrive plus qu’à mon tour, elles se plaignent et vont jusqu’à le faire en public, laissant supposer que vous n’avez peut-être pas le moyen de les bien prendre.
Thé
-Non Monsieur.
-Mais enfin, je dois aller à la ville, mon travail m’attend!
-Peut-être, mais il n’y a pas de train.
-C’est impossible!
-C’est ainsi. Pour tout le monde. Que je sache, les autres jours, vous n’êtes pas le seul passager? Est-ce qu’ils s’énervent les autres?
-Et quand…?
-Quand? Mais comment voulez-vous que je vous dise! Dans dix minutes, demain, jamais? Je n’en sais rien. Un conseil, rentrez chez vous, cuisez un thé! Nous vous donnerons des nouvelles.
-Et si cela devait durer?
-Alors peut-être ne donnerons-nous plus de nouvelles. Moi aussi j’aime boire mon thé. Je peux attendre, je suis à votre service, mais pas infiniment. De vous à moi, car mon chef n’aimerait pas m’entendre dire cela… mais vous êtes du village, un ami en quelque sorte, Monsieur…?
-Ratz.
-Eh bien, Monsieur Ratz, s’il n’y a plus de train, le travail… Vous voyez ce que je veux dire? Je veux dire, plus de train, plus de travailleurs, plus de travail. Allez savoir ce qu’il va se passer là-bas, à la ville! Croyez-moi, allez faire votre thé!
Autres enfants
Dans une salle de restaurant. Désireux de migrer, je récolte toutes mes affaires. Il y en a tant que je doute pouvoir opérer le déplacement en une fois. Chargé de livres, d’un pullover, d’une vaisselle et de mon manuscrit, un stylo à la bouche, ma casquette dans la main, je traverse lentement la salle. Toutes les tables sont occupées. Des étudiants réunis près de la porte me font bon accueil. Ils ne m’aident pas à trouver une place, mais me renseignent. “Nous avons bien connu ton père, me disent-il, d’ailleurs voilà son fils”. Il s’agit d’un garçon de vingt ans au cheveux épais, aux sourcils drus, l’air d’un juif ou d’un Corse.
-Ah non, leur dis-je, c’est impossible, je n’ai qu’un frère et je le connais bien!
Alors le plus vif m’entraîne au fond de la salle devant une grande photographie de ma famille; on y voit mon père, ma mère, mon frère et moi. Il la soulève. Dessous, toutes sortes de cadres de petite taille. Ils contiennent d’autres photographies de ma famille. Chaque fois, le garçon est présent.
-D’ailleurs, il n’y a pas que lui. Ton père s’est marié deux fois pendant qu’il vivait avec ta mère. J’espère que cela ne te gêne pas?
Je réfléchis.
- Non, ça ne me gêne pas.