Mois : janvier 2017

Baroquismes

Cer­van­tès, Calderon, Queve­do. Et en France, Molière, Mari­vaux, Descartes. Ces visions baro­ques du monde ont un point com­mun avec notre sit­u­a­tion de déca­dence mod­erne: ce qui est n’est jamais tel qu’il appa­raît. J’y pen­sais ce matin en écoutant des jour­nal­iste radio. For­cés de dire ce qu’ils ne pensent pas. Les politi­ciens, défen­dant des vérités qui sont des men­songes. Les artistes, jouant une lib­erté qu’ils ne pos­sè­dent pas. Les cap­i­tal­istes, amas­sant un argent qui n’ex­iste pas. Les sportifs, mer­ce­naires trav­es­tis en héros. Le pro­pre du baroque est la dis­so­ci­a­tion. L’ac­cès à l’essen­tiel est inter­dit mal­gré le nom­bre des révélations.

Des amis

Des amis. Qu’on ne voit pas, qu’on a jamais vus. Dont on ignore la taille, les réac­tions, qui n’ont ni odeur ni vitesse. Des amis qui ne nous sont d’au­cun sec­ours en cas de dif­fi­culté puisqu’ils ne vivent pas dans le même espace. Le pro­jet génial du Zück­en­berg est la répli­ca­tion à l’échelle de l’u­nivers de sa timid­ité maladive.

Qu’est-ce que l’art?

La pos­si­bil­ité qu’à l’homme de créer un lan­gage unique pour exprimer sa foi dans l’homme.

Forêt

Un vent froid souf­fle sur la côte. Pour échap­per aux aboiements des chiens, j’écris sur la plage. Il y a un toit au-dessus de la table de pique-nique, mais je ne me méfie pas: le soleil tape. Or, je demeure penché sur mon cahi­er qua­tre heures de suite. Je regagne l’ap­parte­ment en trem­blant. Le soir, avec les enfants, nous regar­dons La forêt, un film d’hor­reur. Au Japon, deux jumelles se per­dent dans un lieu han­té. Elles courent entre des arbres aux­quels son sus­pendus des cadavres. Le réal­isa­teur nous mon­tre les vis­ages des femmes à satiété, jouant sur leurs simil­i­tudes. Je me couche avec de la fièvre. J’avale trois sachets de poudre. La nuit, je recon­stru­is le scé­nario du film. Pour bien faire, je procède scène par scène. Chaque dix min­utes je me réveille, je véri­fie le temps écoulé sur le réveil, ou crois le faire, et me ren­dors. Les vis­ages sont désor­mais ceux de vierges nues qui s’adon­nent aux pires vices sex­uels. Je me promène par­mi elles, je par­ticipe, je couche. Et je les dirige. Avant d’abor­der la dernière scène, cette remar­que: si un tel film venait à sor­tir, il serait aus­sitôt inter­dit et je serais jeté en prison. Puis je me ren­dors pour parachev­er l’oeu­vre. Un cas­sette musi­cale est mon­trée en plan fixe. Au sty­lo, il est écrit Pee­ing jeez­er. Pen­dant quelques sec­on­des, rien ne se passe. Alors de l’urine suinte de la cas­sette. L’odeur envahit la pièce. Toutes les femmes se pâment. Je caresse ma voi­sine et la vio­le. Générique. Les actri­ces se relèvent. Elles s’en vont, soulagées d’en avoir fini avec ce cauchemar. 

Faire

Le prob­lème de l’homme. Il ne sait pas que faire. Un drame. Et insur­montable. Le prob­lème de la plu­part des hommes. Ils ne trou­vent rien à faire. Ils atten­dent les ordres. Lesquels ne tar­dent pas à venir.

Contre l’Allemagne

Pour autant que les réquisits poli­tiques du moment ne con­traig­nent pas l’analyse, l’his­toire retien­dra que la prési­dente Angela Merkel a con­tribué à anéan­tir l’ef­fort psy­chologique de recon­struc­tion com­mencé par les Alle­mands dans les ruines de l’Hitlérisme. Ce que je peine à com­pren­dre, c’est com­ment cette femme de l’est, adepte du réal­isme, a été retournée. Car pour ce qui est de se ven­dre, elle s’est ven­due. A con­sid­ér­er sa longévité poli­tique, on peut émet­tre l’hy­pothèse qu’elle a trahit le peu­ple alle­mand con­tre la promesse d’oc­cu­per une poste directeur à un niveau supra­na­tion­al en cas d’aboutisse­ment du pro­jet de la mon­di­al­i­sa­tion. Un pari certes hasardeux, mais qu’il faut pondér­er avec l’é­tat d’a­vance­ment d’une car­rière qui bute sur sa pro­pre lim­ite con­sti­tu­tion­nelle. Son appel aux immi­grés illus­tre la pri­or­ité don­née par les États de l’U­nion à la préser­va­tion des insti­tu­tions sur la défense de l’in­térêt col­lec­tif. L’im­por­ta­tion mas­sive d’in­di­vidus prélevés sur les stocks les plus mis­érables d’un tiers-monde fatigué par un libéral­isme arbi­traire dis­crédite toute idée de sol­i­dar­ité nationale dans les vieux pays d’oc­ci­dent; elle ren­force les prérog­a­tives de l’ad­min­is­tra­tion et aug­mente ses rangs; elle appau­vrit la classe moyenne; elle enri­chit les ban­ques en accrois­sant les prêts; elle men­ace les revenus de la classe laborieuse.
Au lende­main de l’at­ten­tat de Berlin, la prési­dente con­firme son dou­ble jeu. Exal­tant les ver­tus démoc­ra­tiques, elle en appelle à la résis­tance con­tre la bar­barie. Elle qui vient d’im­pos­er sans con­sul­ta­tion deux mil­lions d’é­trangers à son peu­ple. Elle qui a exigé des ser­vices policiers quelques heures après l’at­ten­tat un ren­force­ment général des dis­posi­tifs et lancé un pro­gramme de vidéo­sur­veil­lance urbain.
Enfin, pour pré­par­er les phas­es prochaines du man­dat qu’elle rem­plit pour le compte des marchands, elle répète que les réfugiés de guerre — selon le dis­cours offi­ciel, prin­ci­pale­ment des familles avec enfants — doivent être accueil­lis sans préjugés alors que chaque citoyen con­state de visu  que ces étrangers ne fuient pas des théâtres de guerre, sont des hommes et sont déplacés par des maf­fias sur la foi d’une promesse de prospérité facile.
Un tel cynisme dans le posi­tion­nement poli­tique dépasse les tech­niques de manip­u­la­tion tra­di­tion­nelles. Dans un monde net­toyé de ses repères, la nou­velle donne con­siste à créer un événe­ment aux retombées inter­na­tionales puis à dire ce qu’il n’est pas pour le met­tre au ser­vice d’une visée exclu­sive.
Il est aisé de voir qu’à ce jeu-là, toutes les par­ties en mou­ve­ment, immi­grés issu des pays en voie de dis­lo­ca­tion et peu­ples occi­den­taux poussés à des com­porte­ments con­tre-nature, sont perdants.

easyJet

Soirée de nou­v­el an. Je dépose les enfants à l’aéro­port. De retour, je trou­ve Gala au télé­phone avec Luv. L’avion pour Genève est annulé. Gala insiste: “appelle!” Je suis bien placé pour le savoir, je l’ai d’ailleurs écrit dans easy­Jet: il n’y a pas de numéro de télé­phone sur le site de la com­pag­nie. Gala veut croire le con­traire. Elle cherche et trou­ve. Depuis 2011, la sit­u­a­tion a évolué: chaque pays a son numéro con­sacré. Un machine répond en espag­nol: “bonne année et à demain! Aplo rap­pelle de l’aéro­port. Il explique que des voisins genevois voy­ageant à bord du même avion ont acheté à l’in­stant des bil­lets sur Swiss. Je tape une requête. Les tar­ifs s’af­fichent. Faramineux. Ces genevois ont raflé les trois derniers bil­lets à bas prix. Olof­so appelle: “et s’ils pas­saient par Paris?” Deux vols, un change­ment d’aéro­port et des heures d’at­tente la nuit du 31 décem­bre? Impos­si­ble. A quand le prochain vol easy­Jet? Aplo se ren­seigne. Dans cinq jours. En atten­dant, l’hô­tel est pris en charge. Soit. Reste une énigme. Quelle solu­tion ont trou­vé les deux-cent quar­ante-huit autres pas­sagers? Car, comme cha­cun sait, les vols low-cost sont tou­jours com­plets. Dès lors, com­ment la com­pag­nie pour­rait-elle les redis­tribuer sur les vols suiv­ants?  Cette ques­tion en tête, je repars pour l’aéro­port. Entre temps, je sug­gère aux enfants de pren­dre le train de prox­im­ité et de me rejoin­dre au cen­tre-ville. Une demi-heure plus  tard, je les dépose devant l’hô­tel, un qua­tre étoiles de la chaîne Tryp.
-Voilà Aplo, c’est l’oc­ca­sion de t’im­pos­er. Tu expliques la sit­u­a­tion à l’ac­cueil et tu exiges.
Accom­pa­g­né de sa sœur, il se présente à la récep­tion. Vingt min­utes plus tard, Luv vient me dire qu’ils ont une cham­bre. Il a fal­lu rap­pel­er la com­pag­nie, elle n’avait pas envoyé le mail de réser­va­tion. Il est vingt-deux heures, les pre­miers feux d’ar­ti­fices éclairent la nuit. Les enfants choi­sis­sent de rester en ville. Je regagne le vil­lage. Gala a pré­paré le foie-gras et le cham­pagne. Nous dan­sons sur le ter­rasse. Ce matin, Luv rap­pelle: “nous sommes à la récep­tion, la com­pag­nie n’a retenu la cham­bre que pour une nuit”. Je me ren­dors. A midi, Aplo annonce que lui et sa sœur revi­en­nent une fois de plus de l’aéro­port. Cham­bre et repas sont con­fir­més. Le bil­let de retour aus­si… pour jeudi.