Parlant des attentats, Olofso dit justement: “c’est insupportable!” Réaction de bon sens, réaction d’une mère. La question étant: pourquoi les gouvernements nous disent-ils qu’il va falloir supporter? Pire: admettre leur multiplication? Soit ces gens qui gouvernent ne sont pas faits comme nous, soit ils ont un intérêt dans l’affaire.
Mois : août 2016
Fondation
Il régnait hier dans la ville ancienne d’ Edimbourg, près du château, la même ambiance de folie collective que dessine E.P. Jacobs dans les premières planches de l’album de Blake et Mortimer, S.O.S. Météores: un carnaval d’individus épileptiques. Filant dans des directions improbables, à toutes vitesses, il y avait là : un japonais de six ans jouant du violon en kilt, un vieillard à cheveux longs enveloppé dans un manteau de laine qui avançait à la façon d’un zombie et saluait la foule, un mère écossaise aux cheveux verts, grosse comme un bombonne et adolescente, elle poussait son landau, des ouvriers au cou, bras et jambes tatoués éclusant du Whisky, des familles cinghalaise en parures flottantes entourées d’une progéniture nombreuse et noire comme le charbon, des Africains body-buildés, des lesbiennes à la mode nazie (et ferrées), un nain chinois mongoloïde monté sur une machine à télécommande, un groupe de Français en maillots jaunes uniformes porteurs du Guide Michelin, des Andins au gabarit d’amphore (de la taille d’un jéroboam, le fils porte l’oreillette, une antenne est fixée sur son crâne), des Finlandais qui parlent fort, de jeunes gothiques hauts sur talons, maquillés et enchaînés… L’énumération est sans limite. Or, voilà que nous nous arrêtons devant un passage clouté. De chaque côté de la route, la foule grossit. Un énergumène habillé d’un justaucorps de latex pissenlit traverse, se poste sur l’îlot de sécurité, lève les bras. Face à lui, cent personnes entament une danse (je reconnais la chorégraphie de Travolta sur Stayin’ Alive des Bee Gees dans Saturday Night Fever). Ces gens portent des écouteurs sur la tête. Le feu passe au vert: ils avancent sur un rang et dansent.
Nous nous réfugions au musée d’Art et d’Histoire. Au département géologie, nous admirons une pierre de 450 millions d’années.
New-âge
Nous habitons chez des illuminés. Un couple de bienheureux. J’ignore tout de leur personnalité, mais les maisons parlent. Au téléphone, ils ont évoqué leur profession: coachs. En ligne. Bizarrement, le réseau wi-fi est défaillant. Nous avons à notre disposition un classeur. Les conseils pour le tri des déchets occupe une demi-page. Je les imagine dans mon village d’Espagne (où ils sont ces jours): ils ouvrent le conteneur “papier” et trouvent: des bouteilles, un téléviseur et une bonne vielle poubelle ruisselant le poisson. Mais le plus drôle — quoique la stupidité ne soit drôle longtemps — ce sont les phrases savantes qui ornent les parois ici et là. Aux toilettes: l’avenir appartient à ceux qui croient à la beauté de leurs rêves- signé, Eleanor Roosevelt. A l’étage: l’art est de l’alchimie. Sur le frigidaire: l’amour est une sorte de folie.
Ferme
Aplo qui a eu 17 ans il y a quelques jours a commencé ses vacances d’été par un stage dans une ferme de Provence, canton de Vaud. A son retour, je m’attends à ce qu’il parle de patates, de vaches, de lait, de choux, de lapins, de poules.
- Les paysans n’étaient pas gentils.
J’essaie d’en savoir plus. Il énumère les tâches: ce sont des corvées.
- Mais enfin, le paysan t’a tout de même montrer comment traire?
- Non.
J’appelle Mamère. Le dimanche, elle est allée trouver mon fils.
- Le paysan a amené Aplo à la gare, il n’est pas même sorti de la voiture pour me saluer.
- Que ces gens soient des rustres, c’est une chose, mais pourquoi proposer des stages?
- Depuis vingt ans, précise Aplo. Il y avait une grand-mère. C’est la seule qui était gentille. La femme du paysan critiquait dans mon dos.
- Mais enfin, il faut que cela se sache! Tu as pensé aux adolescents qui viendront après toi!
- J’ai caché un billet sous le matelas. “Lui est méchant. Méfie-toi de la femme, c’est une hypocrite”
East Whitburn
Lorsqu’on se plaît à répéter qu’en Ecosse le temps est exécrable, c’est faute de vivre dans le pays: confronté à ces ciels sales, à cet horizon fermé, à ces bourrasques incessantes, l’habitant relève son col et se tait. En rajouter serait dommageable. Il faut tenir. Comment, je l’ignore. Je m’étonne. La nature entière est prise dans une sorte de mélasse. Quand le soleil paraît, c’est pour se fondre aussitôt dans les nuées. La grisaille l’emporte. Nous sommes en août: il fait douze degrés, les prés sont gorgé d’eau, les arbres tremblent et ruissellent. L’architecture est au diapason: maisonnettes couleur cendre posées sur le bord des routes, réverbères-couteaux, buis cultivés à la cisaille, une nécropole bien chauffée. Et l’habillement: pyjamas de coton, bottes de caoutchouc, bonnets de laine tirés sur les oreilles. Aucun passant excepté ceux qui promènent à la va-vite leurs chiens. Des automobilistes: ils ouvrent les parapluies à la sortie des voitures, se hâtent. Dans les magasins, la lumière est rare, les étalages en désordre, comme si la force manquait aux vendeurs. Cela se comprend: maigres ou gros, ils sont exsangues. Quand je quitte notre quartier, je débouche sur la route principale. Elle mène à Whitburn. J’ai alors le choix entre un parc de jeux à droite et des échoppes de nourriture à gauche. Le long du trottoir des maisonnettes avec leurs aplats de gazon et leurs fenêtres de bois (pas d’isolation, de la peinture blanche écaillée). Sous l’effet du vent, les pots de fleurs ont versé. Ils ont craché leur terre dans l’herbe. En face, un coiffeur annonce: mardi, deux pour le prix d’un. Dimanche, ouvert. La dernière maison de la rangée est construite dans la robe d’un pont. Son nom est peint sur une planchette clouée au-dessus de d’entrée: Bridgeview. Camions et voitures défilent (la bretelle d’autoroute est à 800 mètres). La famille est dans le salon. Des couvertures sur les jambes, elle regarde la télévision. Je descends au parc, j’installe mes cordages sur l’armature d’un jeu pour enfants. Je m’échauffe, j’entame une série d’exercices sous la pluie. Sur le trottoir que je viens de quitter, un couple. La dame porte le chapeau, l’homme va tête nue. Ils attendent un bus. Dix minutes (l’équivalent de trois exercices). Arrive une troisième personne. Les dames discutent. L’homme ramasse la pluie. Dix minutes plus tard, le bus. A nouveau seul. Au loin, le souffle de l’autoroute. Au-dessus du parc, le chuintement des pneus qui écrasent la route inondée. Un heure plus tard, je plie mon matériel, je me dirige vers le centre. Le village n’a pas de centre; les attractions sont alignées contre la route. Un Fish&Chips, une épicerie pakistanaise, une pizzeria rapide, un kebab, un fast-food chinois, une autre épicerie, un club de boxe, un pub, le giratoire — il marque la fin du village. Je traverse et reviens par le trottoir opposé. Ce sont les mêmes échoppes de nourriture, deux pubs, un salon de jeu et une salle de paris équestres (pas de club de boxe). J’oubliais: il y a un magasin de bonbons. Seul endroit lumineux à dix kilomètres à la ronde. Cent tiroirs remplis de sucreries dans une boutique au décor de salle de bains. Des adolescents boutonneux viennent en voiture, remplissent des sacs, retournent en campagne. Ils vont regarder la télévision, regarder la pluie tomber, jouer à papa et maman.
Susan Boyle
Il y a sept ans, lorsqu’il fut question pour l’écriture de la biographie de Susan Boyle de raconter ses premières parutions en public, j’ai recherché une image de sa maison d’après l’adresse, j’en ai fait le tour à l’aide d’un logiciel panoramique, puis je suis monté à la verticale pour avoir un aperçu du quartier. Le village de Blackburn,où vivait Susan Boyle se trouve dans le West Lothian, région de la capitale écossaise Edimbourgh. Les maisons sont de base carrée et rectangulaire, bâties en briques fumées. Les porches ouvrent sur des aplats de gazon. Séparées par des allées, sans clôtures, les maisons sont toutes du même modèle. J’ai longé la rue (en images) et j’ai cherché l’artère commerçante. J’ai ensuite cherché quels étaient les pubs. Une fois en possession de leurs noms, j’ai vérifié leur ancienneté. L’un des deux n’existait pas à l’époque où Susan Boyle était adolescente. J’ai trouvé des photographies privées de soirées passées dans ce pub et j’ai ainsi pu reconstituer la configuration de la salle à boire avec son comptoir, son salon, sa table de billard. Mon but était de découvrir un juke-box. Il y en avait un. De sorte que j’ai décrit Susan Boyle appuyée contre le juke-box poussant la voix sur les titres que commandaient les clients. Avec quatre autres, cette scène figurait parmi les plus spéculatives de la biographie. Le texte achevé, j’ai remis au photographe une liste de vérifications a effectuer sur le terrain (je ne me suis jamais rendu en Ecosse pour l’écriture du livre). Certaines questions avaient trait à cette scène. Arrivé à Blackburn, mon collègue s’est rendu au pub. La conversation s’est engagée. Aussitôt qu’il a évoqué la chanteuse (qui cette année-là défrayait la chronique), un habitué lui a dit qu’il la connaissait bien, qu’elle fréquentait en effet ce pub et qu’à l’époque elle participait aux soirées karaoké. Quant au juke-box, elle en était une grande utilisatrice!
Ce jeudi, j’ai atterri à Edimbourgh pour prendre possession d’une maison appartenant à une couple qui se trouve actuellement chez moi, en Espagne. La maison se trouve à East Whitburn. Elle est en tous points identiques à celle de Susan Boyle, laquelle se trouve à 1,5 mile. Le pub dont j’ai parlé se trouverait, d’après mes calculs, entre les deux maisons.
4 août
Les douaniers de l’aéroport m’arrêtent. Ils me poussent dans un bureau-cellule. J’ai le temps de remettre à Gala les cartes d’embarquement et la réservation de la voiture. Les enfants sont effrayés.
- A quelle heure est votre vol?
- Dans quinze minutes.
Le chef pianote sur l’ordinateur.
- Je n’arrive pas à ouvrir un élément.
Puis le vedict:
- Quoiqu’il en soit, nous devons vous mettre en prison.
- Pourquoi?
- Je ne sais pas, je n’arrive pas à ouvrir les éléments je vous dis!
Son collègue décroche un téléphone. Cabine insonorisée, je n’entends pas la conversation.
- Voilà. C’est deux jours à Champ-Dollon ou vous payez Fr. 250.- et on vous met dans l’avion pour Edimbourgh.
Je paie. Le douanier me remet la quittance. Je la lui rends
- Notez le numéro de dossier s’il vous plaît!
Je vois alors qu’il s’agit d’une poursuite de la Préfecture de la Sarine.
- Eh bien Messieurs, je suis coupable d’avoir sorti mon fils de l’école un jour en 2011 et cela, après avoir envoyé une demande de congé.
Les douaniers me considèrent, honteux.
2 août
Un nègre tente de violer une fille sous nos fenêtres. Elle hurle. Gala saute du lit, ouvre la fenêtre, repère. Je charge mon pistolet, enfile des chaussures et un short, sors dans la rue.
- Ils sont près du métro, me crie Gala.
Une fenêtre s’ouvre dans les étages de l’immeuble, une dame donne des précisions. Je cours jusqu’au métro: rien dans l’allée. Gala ne connaît pas le quartier, elle s’est trompée. La scène a eut lieu devant l’église. Je reviens sur mes pas. Gala en chemise de nuit gesticule sur le parking.
- Rentre!
La voisine donne des conseils. Je fais le tour du pâté de maison. En remontant, je trouve un Arabe. Je l’interpelle. D’après l’attitude, ce n’est pas lui. Et puis ce n’est pas la même voix.
- Tu as perdu trop de temps à te préparer, me dit Gala.