Mois : août 2016

Montesa

En 1972, Mon­te­sa a sor­ti son mod­èle Cota. La par­tic­u­lar­ité esthé­tique de cette moto était le car­rossage rouge qui unifi­ait le sup­port de siège et le réser­voir, le tout sur­bais­sé; la mar­que devint une des références du tri­al. Trois ans plus tard, à Arava­ca, dans les faubourgs de Madrid, cette moto deve­nait le cadeau le plus prisé des goss­es de rich­es. Dans le quarti­er quelques-uns de mes amis se bal­adaient sur des Mon­te­sa. Nous avions douze, treize, qua­torze ans pour les plus grands. Un matin, au Cours Molière, l’é­cole juive que je fréquen­tais, Maria est annon­cée absente. La pro­fesseur de français, Madame Bléreau, évo­quer un acci­dent. La semaine, notre cama­rade reparais­sait. Elle porte une min­erve. Au réfec­toire, le sur­veil­lant, Vicente (celui qui nous cor­rige avec un fou­et en boy­au de cochon), la nour­rit de bouil­lie à la petite cuil­lère. Maria avait raté un atter­ris­sage sur un par­cours de motocross. Elle avait treize ans. Dès ce jour je n’ai cessé de harcel­er Mon­père: je voulais une Mon­te­sa. De retour dans la ferme famil­iale de Fri­bourg, il m’a acheté une SWM de 175 cm cubes. Si haute que pour mon­ter sur le siège, il fal­lait dis­pos­er deux caiss­es sur les côtés de l’en­gin. La plu­part du temps, je ratais mon démar­rage et la roue avant mon­tait au ciel. N’ayant pas la moin­dre notion de la pro­priété, je roulais dans les blés, dans les potagers, sur les allées privées et en forêt. Un paysan m’a pour­suivi la faux à la main. J’ai semé le polici­er de Palézieux alerté par le fait que je roulais sans plaques. Au début de l’été, à Mala­ga, je vois pass­er un mod­èle Cota: mais bien sûr, ais-je pen­sé, Mon­te­sa vient de Monte‑s.a. A l’in­stant je vois que ces motos cata­lanes ont été rachetées par les Japonais.

Philtre

Nous sommes enfer­més dans un monde qui n’ex­iste pas.

Converge

Con­verge: exprime ce que je pense en musique.

Magie révolutionnaire

A l’époque je me pas­sion­nais pour les textes d’I­van Illich, notam­ment La con­vivi­al­ité et Une société sans école. J’habitais encore la colonie Hip­po­drome dans le cen­tre de Mex­i­co quand j’ap­pris qu’il restait à Cuer­nava­ca des héri­tiers du Cen­tre de Doc­u­men­ta­tion Inter­na­tion­al, cette uni­ver­sité — au sens de réu­nion des esprits — qu’avait fondée et dirigée ce prêtre génial entre 1966 et 1976. Jamais je ne conçus le pro­jet d’aller y voir de plus près. Pour­tant, je pas­sais régulière­ment des week-ends à Cuer­nava­ca, ville de province où les bour­geois de la cap­i­tale avaient des rési­dences sec­ondaires. Avec le recul, il me sem­ble qu’un des traits car­ac­téris­tiques de l’âge adulte, sou­vent attribué à tort à l’ado­les­cence, est de pos­er en principe que tout est pos­si­ble. Ain­si, lorsque je lisais les textes d’Il­lich (il est mort au début des années 2000), je ne me représen­tais nulle­ment ce penseur comme un être de chair et d’os. Même quand j’ap­pris la présence de dis­ci­ples à quelque 90 kilo­mètre de la cham­bre où je lisais, il ne me vint pas à l’idée qu’on pou­vait les ren­con­tr­er, les touch­er, échang­er avec eux. Au fond, le sen­ti­ment que l’on pou­vait, en sautant dans un train ou dans un avion, par­ticiper à l’his­toire m’est venu très tard (quand le mur de Berlin est tombé, je suis sor­ti écouter un con­cert de rock à Genève plutôt que de rejoin­dre l’Alle­magne). Mais si j’évoque Illich, c’est avant tout pour par­ler du pou­voir mag­ique des mots. Comme cha­cun sait, le Par­ti Révo­lu­tion­naire Insti­tu­tion­nel, struc­ture semi-dic­ta­to­ri­ale issue de la révo­lu­tion de 1910, a dirigé le Mex­ique pen­dant sep­tante ans. La dimen­sion révo­lu­tion­naire de ce par­ti tenait du mythe et de la pro­pa­gande. En réal­ité, il s’agis­sait d’un sys­tème admin­is­tratif com­plexe et cor­rompu qui exerçait un con­trôle sur les mass­es. Et pour­tant, la référence à ce moment fon­da­teur de la con­science mod­erne des Mex­i­cains, la “révo­lu­tion”, ame­nait les dirigeants les moins éclairés à con­sid­ér­er comme naturel des ten­ta­tives révo­lu­tion­naires authen­tiques comme celle d’I­van Illich ou, de façon plus inquié­tante, celle de la com­mu­nauté expéri­men­tale de Los Hor­cones inspirée des thès­es com­porte­men­tal­istes de Skin­ner réu­nies dans Walden 2. C’est d’ailleurs le même esprit révo­lu­tion­naire (man­i­festé ici sous son aspect new-âge de vie morale dédou­blant la vie indus­trielle et bour­geoise) qui ani­mait mon ami Tol­do lorsqu’il me con­fia un bureau et me paya un salaire en 1999 pour établir les plans de la future de com­mu­nauté holiste de Xala­pa (qu’il a fini par met­tre sur pied).

New-âge 2

Prévenants, nos hôtes écos­sais ont apposé des dizaines de post-it à tra­vers la mai­son pour com­mu­ni­quer les instruc­tions d’usage. “Dans l’ar­moire, papi­er de toi­lettes” ou encore “si l’eau de la douche est trop chaude/froide, régler ici. Chercher *. Voir auto­col­lant”. Ain­si, chaque inter­rup­teur com­porte une indi­ca­tion de ce qu’il com­mande et inter­rompt. La mai­son rel­e­vant du brico­lage d’a­ma­teur, cet aide n’est pas super­flu. A l’é­tage, il y a un inter­rup­teur à trois bou­tons. Le post-it dit: “Lumière. Ven­ti­la­tion. Atter­ris­sage (land­ing)”. Chaque fois que je regarde par la fenêtre, je me demande com­ment nous avons atter­ri en Écosse.

Etat-Unis

Un tiers des Améri­cains sans tra­vail. La destruc­tion accélérée de notre cul­ture s’ex­plique en par­tie par ce fait dramatique.

Justice

Qu’est-ce qu’une jus­tice admin­is­tra­tive? Une jus­tice dont les représen­tants tranchent sans ambages les cas rel­e­vant de la faute obvie, c’est-à-dire ceux où la faute con­statée cor­re­spond à la faute théorisée. Lorsqu’il s’ag­it de tranch­er des cas impli­quant un juge­ment moral, la sus­pen­sion du juge­ment est priv­ilégiée et la tolérance devient un paramètre essen­tiel dans la déter­mi­na­tion de la sanc­tion. Cette tech­ni­ci­sa­tion de la jus­tice, désor­mais générale dans les sociétés européennes, témoigne sym­bol­ique­ment de l’aboutisse­ment du proces­sus de destruc­tion des valeurs entamée à la fin du XXème siè­cle. Con­crète­ment, elle favorise l’es­sor de la crim­i­nal­ité. Finan­cière­ment, elle ponc­tionne les citoyens inté­grés en vue d’un pro­gramme de con­struc­tivisme social por­teur d’un niv­elle­ment lib­er­ti­cide. Une telle jus­tice est l’en­ne­mie de la paix sociale.

Camus 2

Lorsque j’habitais Gim­brède dans le Gers, Renaud Camus vivait dans le château de Plieux, un vil­lage de colline où j’al­lais me promen­er. Dans son Jour­nal de 1998 inti­t­ulé Graal-Plieux, il évoque la région, les fêtes, les voisins que je con­nais­sais. Nous rénovions tous deux une pro­priété. J’ai ri de ses démêlés avec des arti­sans qui étaient aus­si à mon ser­vice. A l’époque, je n’avais lu que quelques-uns de ces textes et rien pub­lié. Trop timide pour me présen­ter à sa porte, je déam­bu­lais autour du château en lev­ant les yeux sur les hautes fenêtres. Je l’imag­i­nais se bal­adant en grand homo­sex­uel hiéra­tique avec des chiens de chas­se noirs. Cette péri­ode cor­re­spond au procès pour anti-sémitisme que lui fit France-Cul­ture. Dans ces cir­con­stances, il parais­sait incon­venant de le déranger. Vu sa stature d’écrivain (plus encore que ses idées poli­tiques) et la qual­ité de sa langue, je regrette de n’avoir pas fait sa connaissance.

Camus

Renaud Camus vient d’en­reg­istr­er et de dif­fuser sur inter­net une con­férence. Il par­le, anone, pousse des cris d’an­i­maux. Que fait-il? Est-il fou? Comme Sade tra­vail­lant la notion de Moder­nité à la veille de la Révo­lu­tion, il pousse la logique de nos sociétés dans ses retranche­ments. Le lan­gage n’est plus qu’un brico­lage de bor­bo­rygmes, de phras­es toutes faites, d’ab­sur­dités. Il singe la mort de l’occident.

Temps

Chaque jour je me lève avec l’e­spoir de voir le soleil, que dis-je, de béné­fici­er de quelque lumière — en vain, une pluie bat­tante arrose le vil­lage, un ciel d’en­cre glisse sur les toits, le vent ter­rasse la végé­ta­tion. A part en Laponie où j’ai marché entre lacs et forêts à l’été 1989, je ne me sou­viens pas d’un cli­mat aus­si mau­vais. Et chaque jour mon éton­nement se trans­forme en inter­ro­ga­tion: com­ment les Écos­sais font-ils pour tenir toute l’an­née? Je cherche les avan­tages, je n’en vois pas. Je cherche que faire? Boire? Dormir? Boire pour  dormir? Nous irons à la piscine. En voiture. Piscine couverte.