Magie révolutionnaire

A l’époque je me pas­sion­nais pour les textes d’I­van Illich, notam­ment La con­vivi­al­ité et Une société sans école. J’habitais encore la colonie Hip­po­drome dans le cen­tre de Mex­i­co quand j’ap­pris qu’il restait à Cuer­nava­ca des héri­tiers du Cen­tre de Doc­u­men­ta­tion Inter­na­tion­al, cette uni­ver­sité — au sens de réu­nion des esprits — qu’avait fondée et dirigée ce prêtre génial entre 1966 et 1976. Jamais je ne conçus le pro­jet d’aller y voir de plus près. Pour­tant, je pas­sais régulière­ment des week-ends à Cuer­nava­ca, ville de province où les bour­geois de la cap­i­tale avaient des rési­dences sec­ondaires. Avec le recul, il me sem­ble qu’un des traits car­ac­téris­tiques de l’âge adulte, sou­vent attribué à tort à l’ado­les­cence, est de pos­er en principe que tout est pos­si­ble. Ain­si, lorsque je lisais les textes d’Il­lich (il est mort au début des années 2000), je ne me représen­tais nulle­ment ce penseur comme un être de chair et d’os. Même quand j’ap­pris la présence de dis­ci­ples à quelque 90 kilo­mètre de la cham­bre où je lisais, il ne me vint pas à l’idée qu’on pou­vait les ren­con­tr­er, les touch­er, échang­er avec eux. Au fond, le sen­ti­ment que l’on pou­vait, en sautant dans un train ou dans un avion, par­ticiper à l’his­toire m’est venu très tard (quand le mur de Berlin est tombé, je suis sor­ti écouter un con­cert de rock à Genève plutôt que de rejoin­dre l’Alle­magne). Mais si j’évoque Illich, c’est avant tout pour par­ler du pou­voir mag­ique des mots. Comme cha­cun sait, le Par­ti Révo­lu­tion­naire Insti­tu­tion­nel, struc­ture semi-dic­ta­to­ri­ale issue de la révo­lu­tion de 1910, a dirigé le Mex­ique pen­dant sep­tante ans. La dimen­sion révo­lu­tion­naire de ce par­ti tenait du mythe et de la pro­pa­gande. En réal­ité, il s’agis­sait d’un sys­tème admin­is­tratif com­plexe et cor­rompu qui exerçait un con­trôle sur les mass­es. Et pour­tant, la référence à ce moment fon­da­teur de la con­science mod­erne des Mex­i­cains, la “révo­lu­tion”, ame­nait les dirigeants les moins éclairés à con­sid­ér­er comme naturel des ten­ta­tives révo­lu­tion­naires authen­tiques comme celle d’I­van Illich ou, de façon plus inquié­tante, celle de la com­mu­nauté expéri­men­tale de Los Hor­cones inspirée des thès­es com­porte­men­tal­istes de Skin­ner réu­nies dans Walden 2. C’est d’ailleurs le même esprit révo­lu­tion­naire (man­i­festé ici sous son aspect new-âge de vie morale dédou­blant la vie indus­trielle et bour­geoise) qui ani­mait mon ami Tol­do lorsqu’il me con­fia un bureau et me paya un salaire en 1999 pour établir les plans de la future de com­mu­nauté holiste de Xala­pa (qu’il a fini par met­tre sur pied).