Lorsqu’on se plaît à répéter qu’en Ecosse le temps est exécrable, c’est faute de vivre dans le pays: confronté à ces ciels sales, à cet horizon fermé, à ces bourrasques incessantes, l’habitant relève son col et se tait. En rajouter serait dommageable. Il faut tenir. Comment, je l’ignore. Je m’étonne. La nature entière est prise dans une sorte de mélasse. Quand le soleil paraît, c’est pour se fondre aussitôt dans les nuées. La grisaille l’emporte. Nous sommes en août: il fait douze degrés, les prés sont gorgé d’eau, les arbres tremblent et ruissellent. L’architecture est au diapason: maisonnettes couleur cendre posées sur le bord des routes, réverbères-couteaux, buis cultivés à la cisaille, une nécropole bien chauffée. Et l’habillement: pyjamas de coton, bottes de caoutchouc, bonnets de laine tirés sur les oreilles. Aucun passant excepté ceux qui promènent à la va-vite leurs chiens. Des automobilistes: ils ouvrent les parapluies à la sortie des voitures, se hâtent. Dans les magasins, la lumière est rare, les étalages en désordre, comme si la force manquait aux vendeurs. Cela se comprend: maigres ou gros, ils sont exsangues. Quand je quitte notre quartier, je débouche sur la route principale. Elle mène à Whitburn. J’ai alors le choix entre un parc de jeux à droite et des échoppes de nourriture à gauche. Le long du trottoir des maisonnettes avec leurs aplats de gazon et leurs fenêtres de bois (pas d’isolation, de la peinture blanche écaillée). Sous l’effet du vent, les pots de fleurs ont versé. Ils ont craché leur terre dans l’herbe. En face, un coiffeur annonce: mardi, deux pour le prix d’un. Dimanche, ouvert. La dernière maison de la rangée est construite dans la robe d’un pont. Son nom est peint sur une planchette clouée au-dessus de d’entrée: Bridgeview. Camions et voitures défilent (la bretelle d’autoroute est à 800 mètres). La famille est dans le salon. Des couvertures sur les jambes, elle regarde la télévision. Je descends au parc, j’installe mes cordages sur l’armature d’un jeu pour enfants. Je m’échauffe, j’entame une série d’exercices sous la pluie. Sur le trottoir que je viens de quitter, un couple. La dame porte le chapeau, l’homme va tête nue. Ils attendent un bus. Dix minutes (l’équivalent de trois exercices). Arrive une troisième personne. Les dames discutent. L’homme ramasse la pluie. Dix minutes plus tard, le bus. A nouveau seul. Au loin, le souffle de l’autoroute. Au-dessus du parc, le chuintement des pneus qui écrasent la route inondée. Un heure plus tard, je plie mon matériel, je me dirige vers le centre. Le village n’a pas de centre; les attractions sont alignées contre la route. Un Fish&Chips, une épicerie pakistanaise, une pizzeria rapide, un kebab, un fast-food chinois, une autre épicerie, un club de boxe, un pub, le giratoire — il marque la fin du village. Je traverse et reviens par le trottoir opposé. Ce sont les mêmes échoppes de nourriture, deux pubs, un salon de jeu et une salle de paris équestres (pas de club de boxe). J’oubliais: il y a un magasin de bonbons. Seul endroit lumineux à dix kilomètres à la ronde. Cent tiroirs remplis de sucreries dans une boutique au décor de salle de bains. Des adolescents boutonneux viennent en voiture, remplissent des sacs, retournent en campagne. Ils vont regarder la télévision, regarder la pluie tomber, jouer à papa et maman.