Mois : février 2015

Gare 2

Une fille en veste rouge, employée à bal­ay­er les détri­tus sous les tables, pas jolie, le cheveu pau­vre et lui, cas­quette vis­sée sur des oreilles en feuilles de choux, mâchant bouche ouverte, les dents pointues et dérangées, gar­di­en de bar­rière, dont on devine qu’ils atten­dent tout le jour, et l’un et l’autre, le moment de se retrouver.

Mode de vie

Quant au mode de vie, la majorité des Thaï, est à mi-dis­tance entre le mod­èle tra­di­tion­nel, vil­la­geois, sim­ple et fer­mé et celui de la grande ville, de la moder­nité, offert par la télévi­sion, mod­èle qui sub­stituera comme ailleurs des rela­tions économiques aux rela­tions humaines. Pour l’in­stant, ce fran­chisse­ment d’é­tape et l’ad­ver­sité arti­fi­cielle qu’il impose, est affron­té avec élé­gance et mod­estie faute d’apercevoir qu’il ouvre sur un mode de vie sub­stantielle­ment autre.

Passion

Qu’à la suite de tant de péripéties, quelques unes dan­gereuses, menaçant l’in­tégrité physique, Gala et moi puis­sions entretenir, après qua­torze ans, sans s’ef­forcer, voire en la subis­sant, une telle pas­sion, a quelque chose d’extraordinaire.

Désenchantement

Désen­chante­ment d’une généra­tion européenne à qui n’a pas été don­né les moyens de l’en­chante­ment, celle de mes enfants et la précé­dente. La cri­tique, con­science de la médi­ocrité du vécu, ce dernier recours, est sub­til­isé der­rière les pom­pes du mar­ket­ing. L’hori­zon ain­si dégagé, on voit quel homme paraît: un être a‑minima, décon­te­nancé, dont les pré­da­teurs envis­agent d’ex­ploiter a leur prof­it la mai­gre résistance.

Gare

Ces vieilles dames, fon­da­tri­ces du stand, qui sont tou­jours là cinquante ans plus tard, raides sur leur tabouret, tan­dis que leur petite-file attend le client qui achètera un pot de miel de Chi­ang Mai, de la couenne de porc frit ou un filet de pois­son fumé.

Hôtels chinois

Degré d’in­tim­ité dans les hôtels chi­nois: on a l’im­pres­sion de couch­er avec la femme du voisin. Ce qui explique mieux cette capac­ité à rétré­cir l’e­space autour de soi. Dans la camion­nette qui nous emme­nait de Mae Hong Son à Chi­ang Mai, sept heures d’un voy­age chahuté, j’avais devant moi une mère et sa gamine. A un cer­tain moment, elle s’est réveil­lée, a vomi et s’est ren­dormie. Tout cela, sans mot de part ni d’autre.

Bus

Je viens de finir le livre de Pas­cal Nord­mann dont le sujet est un voy­age onirique à bord d’un bus. Sept heures plus tard, et mille lacets dans la mon­tagne, je suis à la gare routière de Chi­ang Mai et obligé d’y dormir. Instal­lé devant une table de gros bois, sous les ven­ti­la­teurs, entouré de stands d’a­muse-gueules thaï, je regarde les bus entr­er en lisse. Sur le fron­ton, en let­tres illu­minées, les prove­nances: Ayut­thaya, Phit­salunok, Chi­ang Rai. Plus ou moins impor­tants, iné­gale­ment lux­ueux. Ils marchent au pas lorsqu’ils roulent devant ma can­tine et une femme surgie de la pro­fondeur des cuisines tend des paque­ts de mou­choirs glacés à l’as­sis­tant du chauffeur.

Chambre

Descente de bus à Chi­ang Mai. Je vais dans les petites rues. Maisons ouvertes, tas de ciment, loca­tions de motos et des épiceries éclairées d’une ampoule. Devant un café qui porte une enseigne en anglais, un cou­ple blanc nerveux (comme je l’é­tais il y a vingt ans):
-Full! Oth­er one? Oth­er hotel?
Je m’ap­prête à sauter dans un taxi. Mais on con­naît leurs con­seils. La dernier fois que j’y ai eu recours, il le fal­lait, Gala et moi avons atter­ri dans une pièce gar­nie de moquette au par­fum de sperme. Donc je fais quelques pas. La rue s’as­sombrit. Sur la droite, en façade, un type met à dégout­ter des chaus­settes. Au-dessus du trot­toir, un néon en thaï. En cab­ine, au feu­tre sur un car­ton, Open. Une maman qui s’é­tonne que son fils de dix ans par­le si bien anglais (j’ai dit “room”, il a répon­du “yes”) m’ac­com­pa­gne dans les étages et me donne un cham­bre logée sur couloir, sans fenêtre extérieure, qui doit être la meilleure.

Mae Sai

Dans ce pays, pour autant que tu puiss­es rester assis tout le jour, tu es un homme qui a réussi.

Fern

Restau­rant Fern de Mae Hong Son. Je suis passé devant, dubi­tatif. Un peu plus loin sur la grande route, un autre restau­rant. Mais com­ment savoir lequel a recom­mandé Guy? A peine franchi le seuil, je sais que je fais une erreur. Et pour­tant je per­siste. S’ou­vre devant moi une salle de 120 tables. On dira que j’ex­agère. Y a‑t-il d’autres clients? Oui, mais je ne les vois pas. Ils man­gent cachés der­rière un rideau. D’ailleurs, ce ne sont peut-être pas des clients. La famille du maffieux qui gère l’étab­lisse­ment? Ses hommes de main? Une serveuse en habits fait un geste vague: laque­lle des 120 tables est-ce que je préfère? Elle me remet la carte. C’est un livre. Au pla­fond tour­nent de gros ven­ti­la­teurs, la lumière tamisée crée une atmo­sphère inquié­tante. Je choi­sis une table qui donne sur cour. Sait-on jamais? Je me con­cen­tre sur la liste des plats quand sonne une mélopée. Tout au fond de la sec­onde salle, sur une estrade pavoisée d’ors, un ado­les­cent squelet­tique en cos­tume cra­vate chante en s’ac­com­pa­g­nant à l’orgue élec­trique. Les sons vien­nent du fond de l’abysse. A un cer­tain moment, je crois recon­naître My way. Il me fau­dra atten­dre la fin des cou­plets et les deux mots, “my” et “way“pour véri­fi­er qu’il s’ag­it bien du titre de Frnk Sina­tra. Je com­mande. Aus­sitôt, je pense: je vais tomber malade. Sinon com­ment feraient-ils? Sept pages de menu, aucun client. Le maître d’hô­tel apporte un mélange d’algues, de champignons de caniveau (ou de basse-cour) et des pois, gru­au aug­men­té d’une sauce au piment à déviss­er les boulons. Je rajoute de la sauce. Quand je me libère enfin de la corvée de manger ce plat, dans ces con­di­tions, avec au clavier l’en­nuque chi­nois, je retrou­ve la grande rue, tra­verse et recom­mence mes spécu­la­tions: de quel restau­rant Guy voulait-il parler?