Bientôt, je soupçonne Pou de me croire homosexuel. Après tout, je ne lui parle pas de famille, comme font ici tous les hommes, je ne lui montre aucune photo (je n’en emporte pas) et je loue toute l’expédition. Que ne va-t-il pas imaginer? A moins que ce soit moi? Et puis, avant d’aller nager, il a fallut que je me montre cul nu : je retirais mon slip. Aussi lui dis-je:
Mois : février 2015
Humour 2
Jonction
Le vieillard de la jonction est un homme de quatre-vingt ans qui vit à l’intersection des deux rivières. Il cuisine dans un pot, dort sur une paillasse, possède quelques habits crasseux et un canot de plastique. Il gagne Fr. 60.- par mois. Sa tâche consiste à occuper le point de rencontre des rivières. Pou lui apporte nos restes de repas et une demie pastèque. Lui nous offre de la pâte d’estomac de poisson et de la couenne de daim.
Natation
Je nage dans l’eau calme. Le canoë avance seul. Il fait presque trente degrés. Les oiseaux chantent. Par endroits, le sable me racle le ventre. Je me lève, cherche un couloir d’eau, plonge. Mais nager est dangereux. La tête risque de buter à chaque instant contre une pierre. Le canoë est la solution de la rivière, pas la natation.
Poisson 2
Poisson tourné que ramasse Pou.
- Il est blanc.
Il se trompe, il est mort. Pou appuie sur le ventre de la bête. Le sang coule. Il évalue l’état de son oeil.
- Peut-être qu’il est encore bon?
- Est-ce que ça vaut la peine?
Il me dévisage sans comprendre.
- … de prendre le risque.
Dégoûté, il le rejette dans la rivière.
Poisson
-Stop! Arrière!
Pou a remarqué une ficelle. Elle pend au-dessus de la rive, au bout d’un branche sertie dans un rocher.
- Les pêcheurs sont paresseux. Ils renoncent à désamorcer.
Pou détache, enroule la ficelle autour de son poignet et l’empoche. A quelques mètres en aval, une autre ficelle, pareillement disposée.
- Le type ne doit pas être loin, fait Pou.
Autour de nous, une savane impénétrable. Soudain, une voix. Pou vire de bord. Deux pêcheurs, invisbles de la rivière, sont installés dans une niche de végétation. L’un des deux écarte le feuillage. Pou s’excuse et lui rend sa ficelle. Le pêcheur montre ses prises. Nous tirons à tour de rôle sur des ficelles. Sortent de l’eau un poisson-chat d’un mètre, puis un second spécimen plus gros. Je le tiens avec crainte.
Pou 5
Après quinze heures à ramer sous les ordres de Pou en position avant, le dos dans l’axe de la poupe, il s’assied sur le boudin gauche et me fait signe de prendre place sur celui de droite. Il plonge alors la rame à la verticale en veillant à ce que l’eau ne recouvre pas le manche et, majestueusement, tire.
- Comme ça, tu vois? Tu inspires, tu expires.
J’essaie. Encore. Et encore.
- Trop difficile. Je ne suis pas doué pour le yoga.
A nouveau en position axiale, je reviens à la technique que j’utilise depuis deux jours: pour faire avancer les choses, tirer de toutes ses forces.