Fern

Restau­rant Fern de Mae Hong Son. Je suis passé devant, dubi­tatif. Un peu plus loin sur la grande route, un autre restau­rant. Mais com­ment savoir lequel a recom­mandé Guy? A peine franchi le seuil, je sais que je fais une erreur. Et pour­tant je per­siste. S’ou­vre devant moi une salle de 120 tables. On dira que j’ex­agère. Y a‑t-il d’autres clients? Oui, mais je ne les vois pas. Ils man­gent cachés der­rière un rideau. D’ailleurs, ce ne sont peut-être pas des clients. La famille du maffieux qui gère l’étab­lisse­ment? Ses hommes de main? Une serveuse en habits fait un geste vague: laque­lle des 120 tables est-ce que je préfère? Elle me remet la carte. C’est un livre. Au pla­fond tour­nent de gros ven­ti­la­teurs, la lumière tamisée crée une atmo­sphère inquié­tante. Je choi­sis une table qui donne sur cour. Sait-on jamais? Je me con­cen­tre sur la liste des plats quand sonne une mélopée. Tout au fond de la sec­onde salle, sur une estrade pavoisée d’ors, un ado­les­cent squelet­tique en cos­tume cra­vate chante en s’ac­com­pa­g­nant à l’orgue élec­trique. Les sons vien­nent du fond de l’abysse. A un cer­tain moment, je crois recon­naître My way. Il me fau­dra atten­dre la fin des cou­plets et les deux mots, “my” et “way“pour véri­fi­er qu’il s’ag­it bien du titre de Frnk Sina­tra. Je com­mande. Aus­sitôt, je pense: je vais tomber malade. Sinon com­ment feraient-ils? Sept pages de menu, aucun client. Le maître d’hô­tel apporte un mélange d’algues, de champignons de caniveau (ou de basse-cour) et des pois, gru­au aug­men­té d’une sauce au piment à déviss­er les boulons. Je rajoute de la sauce. Quand je me libère enfin de la corvée de manger ce plat, dans ces con­di­tions, avec au clavier l’en­nuque chi­nois, je retrou­ve la grande rue, tra­verse et recom­mence mes spécu­la­tions: de quel restau­rant Guy voulait-il parler?