Mois : février 2015

Kyaing Tung

Ce ven­dre­di, au couch­er du soleil, seul touriste dans la ville. Sur les collines, des tem­ples avec leur stu­pas, devant ma table de fer, un quai de pous­sière puis l’eau pais­i­ble d’un lac dont on fait le tour en un quart d’heure. Je com­mande une Gar de Myan­mar. La serveuse apporte un litre de bière. Il fal­lait com­pren­dre “jarre”. Les enfants me dis­ent bon­jour et rient; les adultes voudraient se retourn­er; ils passent, le port de tête droit.

Territoire

Hameaux de bois et de paille le long d’une riv­ière. La plu­part, dis­tribués con­tre la route. Un seul, pen­dant les cinq heures passées a tra­vers­er la cam­pagne, étagé sur des riz­ières en ter­rasse avec au som­met un tem­ple. A l’é­tape, deux heures après le départ, je demande où nous allons à un étu­di­ant qui baragouine l’anglais. A Kyaing Tung. Avec un dol­lar, j’achète de la pastèque et de l’ananas. J’ai oublié de chang­er de l’argent.

Frontière birmane

Muni de mon tam­pon de sor­tie des douanes thaï, j’emprunte une passerelle béton­née. Au-dessous, dans un val­lon, un casi­no, des étals de fruits et des bil­lets de loterie. A mi-dis­tance, sur la passerelle, un local annonçant: office tourist. Je jette un oeil. Table basse, de bois, un fonc­tion­naire, une carte au mur. Devant moi, le cou­ple danois qui hési­tait devant les guichets côté thaï. Tou­jours aus­si per­du, ils inter­ro­gent du regard du désem­paré tout ce qui porte l’u­ni­forme. Dans les par­ages, cela ne manque pas. J’en prof­ite, je passe tout droit. Au bout de la passerelle, un tourni­quet et des règle­ments en bir­man. Un grand mai­gre attrape mon passe­port et sig­nale à un cou­ple furieux le tam­pon qu’il leur manque:
- Need, this!
Il s’ex­cuse de brandir ain­si mon passe­port pour preuve et le bran­dit encore devant la femme qui monte le ton.
- Need this, you no this!
Preuve étant faite, il me rend mon doc­u­ment et me tourne le dos. J’en prof­ite. Je passe. Me voici de l’autre côté, par­mi les con­duc­teurs de tuk-tuk. Mais le grand mai­gre me rat­trape. Les Danois n’ont pas avancé. Moi si, mais nous en sommes au même point. Les trou­vant pareille­ment effrayés, je leur dis: — Ce n’est pas comme au Dane­mark ici! Il n’y a pas de méchants musul­mans (un atten­tat inté­griste a fait un mort quelques jours plus tôt à Copen­h­ague)!
Le grand mai­gre prend dix dol­lars à cha­cun des Danois, tam­ponne mon passe­port et nous ordonne de sor­tir. Les Danois ne bougent pas. J’emprunte pour la deux­ième fois la passerelle. Et si je demandais au fonc­tion­naire qui tient l’of­fice tourist? Mau­vaise idée. Je le sais. Il ne faut jamais deman­der. Je demande. A peine ai-je fini d’ar­tic­uler ma ques­tion, le type se lève et agite les bras:
- No bus Taungyi, no! You plane!
Je le remer­cie comme s’il venait de me ren­dre un grand ser­vice et je file le long de la passerelle tan­dis qu’il con­tin­ue de crier: “plane! plane!“
Et voici mes con­duc­teurs de tuk-tuk. Ils agi­tent des pan­car­tes sous mon nez. Une pagode, une stu­pa, un étang, les mer­veilles qu’of­frent la ville frontal­ière de Tachileik. J’ex­plique que je veux aller à la gare routière. Il me fait répéter. Tan­dis qu’il réflé­chit, j’en­tends un guide expli­quer à vingt touristes réu­nis au pied d’un dra­peau jaune: “nous nous retrou­vons ici même dans une heure! Tout le monde a com­pris? Ici, dans une heure”. Cepen­dant, mon con­duc­teur a pris sa réso­lu­tion. Il file en référ­er au grand mai­gre. Je m’é­clipse. Dans la rue suiv­ante, je trou­ve d’autres con­duc­teurs de tuk-tuk. L’un d’en­tre eux m’in­stalle et démarre. Au milieu d’une cour, à trous quartiers du poste fron­tière un bus entouré de caiss­es de bois, de bal­lots, de sacs de légumes et d’un moteur de tracteur. Une splen­dide bir­mane en habit de soie assise en plein air déchire un coupon de papier.No 2.Je monte dans le bus. A l’heure dite, il démarre. Pour l’in­stant, peu importe sa destination.

Hôtel Top North 3

Top North. Je me couche tôt, c’est-à-dire bien plus tard que les marchands de rue. Dès six heures, ceux-ci jet­tent des étoffes sur leurs char­i­ots. Ma cham­bre est à l’é­tage, au-dessus du canal, cloi­son­née de pan­neaux de car­ton. Une voix fémi­nine me tire du som­meil. Une femme hurle dans un télé­phone, juste là, sur le palier. Du bir­man. En tout cas, ce ni du chi­nois ni du thaï, langues que je recon­nais désor­mais sans peine. La dis­cus­sion se pro­longe. Dix min­utes, vingt min­utes. D’après le ton, je dirais que la femme se fait larguer. Je pousse une brail­lée. En français pour être plus effi­cace: ce qui est incom­préhen­si­ble effraie. La dis­cus­sion con­tin­ue. La voix s’est éloignée, mais le ton est le même. Inutile d’e­spér­er dormir. Sort de sa pièce un Mon­gol à face de lune. Je le regarde entre les lamelles de mon store. Il crie. Il tient un dis­cours. La femme, dis­paraît dans le couloir, dans l’escalier, dans le canal. Peu après, l’oc­cu­pant de la cham­bre voi­sine me réveille. Il est au télé­phone. Je tape con­tre la cloi­son. Lâche une bor­dée de jurons en français. Cela s’ar­rête. A sept heures, toutes ces bonnes gens ont quit­té l’hô­tel, les femmes de ménage dépla­cent des meubles.

Hôtel Top North 2

Hôtel Top North. La patronne chi­noise caresse son chat. Elle n’ar­rête de le caress­er que pour encaiss­er de l’ar­gent ou ren­dre de la mon­naie. Quoi que vous fassiez ou disiez, pas une expres­sion ne passe sur son vis­age. Je demande les toi­lettes. Sans arrêter de caress­er le chat ni détourn­er le vis­age, elle dit:
- Der­rière.
Et je jur­erais que ses lèvres n’ont pas remuées.
Je tra­verse un salon où trô­nent les por­traits des ancêtres, puis un pont qui enjambe un canal. Les toi­lettes font par­tie de l’im­meu­ble, le canal coule donc sous l’hô­tel.
L’Anglais me ren­seigne:
- Des touristes passent par­fois, mais en général, la police impose la présence d’un guide. D’ailleurs, c’est plus facile dans l’autre sens, en venant de Man­dalay.
- Pourquoi?
- La route est ouverte dans un sens un jour, dans l’autre sens le lende­main. Et il y a plus de traf­ic en direc­tion de Tachileik.

Hôtel Top North

Hôtel Top North. Ce qui sig­ni­fie que l’on ne peut aller plus loin. Sauf à quit­ter la Thaï­lande, mais un Anglais, instal­lé comme dia­man­taire en ville, me dit que c’est impos­si­ble.
- Et ces touristes?
- Visa d’un jour, ils font des emplettes de l’autre côté, à Tachileik et ren­trent le soir.

Moine

Un moine avec une grosse moustache.

Route de Mae Sai

A bord d’un vieux bus. Quant à la date de fab­ri­ca­tion, je pari­erais pour 1950. Mais il faut voir qu’en un demi-siè­cle, il a roulé. Il ahane sur la qua­tre pistes qui relie Chi­ang Rai à Mae Sai. Ce qui est d’au­tant plus frus­trant que les autres véhicules sont flam­bants neufs. Minibus blancs aux ver­res fumés, cars plats par­tis de Bangkok. Il faut dire qu’à compter de la dix­ième heure de bus, les nerfs sont agacés. Et puis les arrêts. Six pas­sagers: cha­cun est déjà descen­du deux ou trois fois, à moins que je con­fonde. Enfin, nous atteignons la des­ti­na­tion. C’est-à-dire une gare de périphérie. Comme d’habi­tude, je ne sais pas où je vais. Je monte sur le pont d’un camion. Trois-quart d’heures plus tard, appa­raît enfin ce que je cher­chais, la porte blanche, un stuc, du poste-fron­tière avec la Birmanie.

Saucisson

Il vous arrive deux ou trois choses, le plus sou­vent anec­do­tiques, dont vous aimeriez tenir l’ex­pli­ca­tion même des années après qu’elles soient sur­v­enues. Je me demande par exem­ple, com­ment m’é­tant arrêté en Ital­ie, dans une épicerie en bord de route, alors que je roulais à vélo de Genève à Damas, afin de deman­der s’il exis­tait une auberge au vil­lage, la com­merçante a embal­lé un saucis­son, me l’a four­ré sous le bras et m’a mis à la porte. Un peu plus tard, j’ar­pen­tais les pièces d’une mai­son privée, cher­chant la récep­tion puisqu’on m’avait indiqué un hôtel dans cette direc­tion avant de me résoudre à con­sid­ér­er qu’il s’agis­sait d’une mai­son privée.

Minimum

Ne pas se mon­tr­er agres­sif lorsqu’on détru­it sous vos yeux et votre société et votre pays!