Mois : février 2015

Stewart

Le juif améri­cain, bon gars, ent­hou­si­aste. Après trente ans passés à réé­du­quer des Noirs d’Harlem dans des écoles de quarti­er, quand il ne les emme­nait pas au kib­boutz, dans le Nord d’Is­raël, il a acheté un ter­rain grand comme un can­ton suisse dans le Min­neso­ta et y a con­stru­it, de ses mains, sa mai­son. Quand ses amis, plus jeunes, par­tent marcher dans la mon­tagne, il les attend, il vient d’être opéré.
- Et puis j’ai 72 ans…
Ensuite, il con­fie: “Je suis resté chez cette femme, une guide. Son mari est mort a trente-trois ans. Une veuve for­mi­da­ble. Elle m’a tout de suite fait con­fi­ance. C’est extra­or­di­naire cette rela­tion émo­tion­nelle! Entre des car­ac­tères cul­turelle­ment si dif­férents! Une femme qui par­le anglais, dans un coin per­du, et qui vend des dia­mants. Fig­ure-toi qu’elle m’en a don­né un bon nom­bre. Je con­nais un peu l’af­faire. Des pièces mag­nifiques. Il y en a pour plus de 1000 dol­lars. Et elle me les donne! Je les ai cachés dans mes boîtes de pilules. Alors il fal­lait bien que je fasse quelque chose pour elle, ou plutôt pour son père qui est malade. J’ai dit à ma femme de faire un virement.

Agence de voyage

Les Israéliens pré­ten­dent qu’au New Hotel, on peut acheter des bil­lets d’avion et que le réseau inter­net fonc­tionne. Ce qui résoudrait mon prob­lème. En effet, il me faut m’as­sur­er que je peux repar­tir de Man­dalay sur Bangkok par l’avion avant de m’y ren­dre et cela ne peut se faire qu’en ligne. A la récep­tion, je demande l’a­gence de voy­age. Je pré­cise que l’hô­tel se présente comme un palace avec sa galerie marchande et son offre de ser­vices.
-Trav­el agency?
La récep­tion­niste me désigne un fond de couloir. J’aboutis dans un cagibi adossé à une salle de con­férence. Il s’ag­it du Food and drink office. La récep­tion­niste quitte son guichet et m’ac­com­pa­gne aux toi­lettes. Elle a com­pris WC. Je mime un avion. Elle rit. Je mime des bil­lets d’avion (plus dif­fi­cile). Les col­lègues rap­pliquent. Ce la les fait rire. Soudain, l’une des filles com­prend:
- Hap­py new year, yes, we have!

Tribus

La Cal­i­forni­enne, au pied du New Hotel, trois cent cham­bres, une piscine vide et les draps qui sèchent sur la pelouse:
- Com­ment? Vous n’allez pas voir les tribus? Mais que faites-vous ici? Nous sommes en pays Mong! Mon mari et moi avons vis­ité treize vil­lages! Des cos­tumes, des dans­es, des couleurs!
- Et com­ment avez-vous décou­vert ces vil­lages?
- Nous avons pris une agence aux Etats-Unis qui a un guide à Ran­goon lequel prend un guide local pour chaque destination.

Kyaing Tung 2

Sur des chais­es bass­es, minus­cules, col­orées, pour enfants, devant un plat de riz et une bière Myan­mar. La ter­rasse, organ­isée sur chape brute, éclairée par des néons sus­pendus aux arbres, donne sur le lac. Un restau­rant chic. Les con­som­ma­teurs arrê­tent leur voiture avec osten­ta­tion, font jouer les phares. Puis toute la scène rep­longe dans le noir. Le ser­vice est assuré par une Chi­noise au faciès de papi­er mâchée con­va­in­cue d’avoir décroché le meilleur boulot de la place. Passent alors sur le quai de pous­sière un paysan et ses deux filles. Les gamines ne sont pas plus gross­es que des pastèques. Le panier de rotin que porte le père est san­glé à son front. Les trois vont pieds nus, l’air hir­sute. Le paysan regarde devant lui, l’at­ti­tude crain­tive. Si je pas­sais en san­dales devant le Ritz lorsque les chauf­feurs met­tent le con­tact aux lim­ou­sines, j’au­rais la même attitude.

Triangle

Tri­an­gle d’or; sur deux cent kilo­mètres car­rés, il est 10h30 en Thaï­lande, 10h00 en Bir­manie et 11h30 en Chine.

Solitude

Drôle de voy­age; je ne me sens seul que lorsque je par­le à quelqu’un.

Nouveaux venus

Deux Israéliens et un Améri­cain, qui à l’air encore plus juif que ses deux amis, sont arrivés aujour­d’hui en ville.

Eau frite

Cartes de menu traduites du bir­man: que peut bien être ce Fried Water Convolvalus?

Terrestre ( suite)

Alors, le Malais com­pose un numéro sur son télé­phone.
- Un de mes amis va venir vous voir.
Et tout le monde se dis­perse. Un quart d’heure plus tard, un homme coif­fé d’un casque bleu fait son entrée dans le vestibule. Il me demande où je veux aller.
- Je paierai.
Alors, il com­pose un numéro sur son télé­phone et me met en con­ver­sa­tion. A l’autre bout de la ligne, dans un anglais irréprochable, une femme me dit:
- Je suis sur la route, je vous rap­pelle.
Elle rap­pelle. Et sur un ton qui n’ad­met pas la réplique, elle déclare:
- Il faut pren­dre l’avion.
- Vous êtes sûre?
- Deman­dez au bureau de l’im­mi­gra­tion.
- Je la soupçonne d’être le bureau de l’im­mi­gra­tion.
Pour le sport, je la relance une dernière fois:
- Où est-ce?
- Mais où êtes-vous? Vous n’êtes pas à la frontière?

Terrestre

Le buf­fet du petit-déje­uner. Des toasts crus, du café refroidis­sant, du beurre fon­du: il n’y a pas d’élec­tric­ité. Il y a la wi-fi. Dans tous les hotels, il y a la wi-fi. Elle ne marche pas. Ce n’est pas un prob­lème tech­nique. Je retrou­ve dans le vestibule des voyageurs que j’ai croisé sur la route hier. Une famille de neuf per­son­nes. Des Chi­nois de Kuala Lumpur. Ils ont dû laiss­er leurs passe­ports au poste de Taichilekh. Ils ren­dent vis­ite à un par­ent. Ils ont dû dépos­er de l’ar­gent.
- Nous quit­terons le pays par le même chemin, explique fatal­iste le père de famille.
J’évoque mes vis­ites de la Malaysie. Nous sym­pa­thisons. Prof­i­tant de ce qu’il par­le la langue du chauf­feur, un local, je me ren­seigne sur la route pour Man­dalay. Quelques min­utes plus tard, dix per­son­nes dis­cu­tent l’af­faire. Le Malais ques­tionne le chauf­feur qui appelle la récep­tion­niste. Celle-ci appelle sa col­lègue qui va chercher le cuisinier (celui qui s’oc­cupe des toasts). Tous ont la même réponse:
- Par la route?
J’in­siste: pas d’avion, à Man­dalay par Taungyi.
Les expli­ca­tions vien­nent peu à peu: il n’y a pas de route. Il y a une route mais elle est dif­fi­cile. Elle est fer­mée. Per­son­ne pour dire: c’est inter­dit aux touristes. Je con­tin­ue d’in­sis­ter, puis je donne une infor­ma­tion.
- Il y a un bus.
Voici le cuisinier et les récep­tion­nistes soudain silen­cieux.
- C’est très long.
- Peu importe.
- Très très long.
- Oui (cepen­dant, je fais un rapi­de cal­cul de ce qui m’at­tend, le bus ayant roulé entre Tachileik et Kyang Tung à une vitesse moyenne de 30km/h).
- Au moins dix heures de route.
- Par­fait.