Mois : janvier 2015

Dimanche

Lumière écla­tante ce dimanche. A l’heure où les cloches des églis­es appel­lent à la messe, des panach­es de fumée mon­tent dans l’air glacé au-dessus des toits de l’Al­bert­inum. Au pied de l’im­meu­ble, l’herbe est car­ton­née de givre et, saisi par le froid, les vit­res de l’abri vélo sont opaques. Gala a repris le train pour Genève hier. Elle entre en clin­ique aujour­d’hui pour une sec­onde opération.

Sagesse

La sagesse est d’a­juster ses pen­sées à ses réflex­es. Drieu La Rochelle, Jour­nal 1939–1945.

Chongqi

Une carte sous les yeux, je cherche quel itinéraire je pour­rais suiv­re pour me ren­dre en Chine depuis Bangkok. J’af­fiche sur l’or­di­na­teur des pho­togra­phies des villes de Kun­ming et de Chongqi. Cette dernière est bâtie sur une presqu’île. Son cen­tre pos­sède de hauts build­ings qui évo­quent les cen­tres des cap­i­tales améri­caines. Toute­fois, les formes et les rap­ports sont dif­férents. La con­struc­tion la plus osten­ta­toire est com­posée de plusieurs tours sur­mon­tées d’une barre hor­i­zon­tale qui rap­pelle les portes célestes des tem­ples. De même pour les vues de nuit: les tracés lumineux sont plus organiques qu’en Occi­dent. Or, je suis assis dans mon bureau, au pre­mier étage de l’im­meu­ble de la rue Jean-Gam­bach, sur la colline du Guintzet et je dis­pose d’une vue sur la colline du Schöneberg et une par­tie de la forêt du Bour­guil­lon. Bien­tôt la nuit tombe et le quarti­er du Schöneberg s’il­lu­mine. Du  pont de Zaehrin­gen que me cache la pointe de la cathé­drale les voitures mon­tent dans deux direc­tions, à l’as­saut des collines que sépar­ent les gorges du Got­téron. Se détachant sur le noir, elles sem­blent sus­pendues dans le vide. La géo­gra­phie est abrupte dans cette par­tie de Fri­bourg et d’autres phares de véhicules bal­aient le ciel en hau­teur puis plon­gent dans l’a­mas lumineux, pro­duisant ce même effet organique qui, sur la pho­togra­phie noc­turne de Chongqi, donne à la ville son aspect ori­en­tal. Con­statant qu’il existe une voie de chemin de fer datant de l’époque colo­niale qui relie Chongqi à Hanoï, je m’oc­cupe de résoudre l’autre par­tie du prob­lème et prend con­tact dans la ville thaï­landaise de Mae Hon Song, avec un cer­tain Li, qui annonce pou­voir me faire nav­iguer sur une riv­ière à tra­vers la jun­gle pour rejoin­dre en trois jours la fron­tière bir­mane. je lui donne mes dates et il s’ex­cuse: à la mi-févri­er, le niveau de eaux sera trop bas. Me voici donc en face du Schöneberg, de Kun­ming et de Chongqi, cher­chant à com­pléter une chaîne de trans­ports à laque­lle manque pour l’in­stant plusieurs maillons.

Exaspération

C’est ce qui n’est pas l’homme autour de lui qui rend l’homme humain; plus sur terre il y a d’hommes, plus il y a d’ex­as­péra­tion. Hen­ri Michaux.

Joie

Coups de ton­nerre dans le ciel. Les enfants chantent à tue-tête. Les nuages craque­nt et une pluie drue s’a­bat sur les trot­toirs. D’autres coups font trem­bler les vit­res de l’im­meu­ble, mais ce n’est plus le ciel: les enfants frap­pent du pied con­tre la palis­sade de planch­es jaunes qui lim­ite leur préau. Puis vient la grêle, accom­pa­g­née de cris de joie.

Religion de l’argent

L’in­tel­li­gence inal­ién­able de la bour­geoisie est d’avoir con­fig­uré en un sys­tème de valeurs les lim­ites néces­saires de l’homme dans son expéri­ence heureuse du quo­ti­di­en. Gestes, paroles, pro­jets, ambi­tion, dans une bour­geoisie bien con­for­mée, c’est-à-dire con­sciente d’elle-même (ce qui implique qu’elle s’op­pose à d’autres class­es, vers le bas ou vers le haut de l’échelle sociale) relèvent de la tem­pérance. De fait, tout dépasse­ment de la mesure dans la jouis­sance des pas­sions banales con­damne à ne pou­voir les répéter. Le bour­geois soigne son corps et son esprit. La perte de la mesure est con­comi­tante de la perte de la con­science de classe. L’as­cen­sion de la bour­geoisie au rang de classe dom­i­nante puis unique s’ac­com­pa­gne d’un glisse­ment dans la nihilisme (effon­drement de toute valeur et reli­gion de l’argent).

Désordre

Désor­dre excep­tion­nel dans la mai­son, lequel finit en débauche, alcool, rire et ren­verse. Ceci — crois-je com­pren­dre — parce que j’ai fait excep­tion: je ne me suis pas absen­té ce soir, comme je le devais et, demeu­rant là, Gala s’en est trou­vé ravie, prof­i­tant avec grâce de ce temps débridé.

Egalité

L’é­gal­i­tarisme n’est réal­is­able que dans une total­ité et implique donc la sor­tie de démoc­ra­tie. Quant à l’é­gal­ité en tant que jus­tice sociale, bien qu’im­par­faite, elle est déjà réal­isée. Les reven­di­ca­tions d’é­gal­ité que font val­oir les par­ti­sans de l’é­gal­i­tarisme sont le fait d’in­di­vidus qui craig­nent de ne pas être à la hau­teur de leur ambi­tion. Sous cou­vert d’idéolo­gie, ils résol­vent une prob­lème psychanalytique.Ce dont la société a besoin avant tout est d’un sché­ma de trans­mis­sion: du passé vers le présent, des anciens vers les jeunes et des meilleures vers les moins bons.

Piolet

Avant de com­man­der, il posait son pio­let en vue sur le banc de la salle à boire. Nul ne l’avait jamais vu escalad­er. Le jour où il perdit son pio­let et, faute de moyens, ne put en acquérir un neuf, il ces­sa de fréquenter le café. Boire dans cet état, sans pio­let, sans que fut vis­i­ble le motif de son ivrogner­ie, lui sem­blait indé­cent. Il se sen­tait nu.

Bel argent

Vision récur­rente d’une terre sans qual­ité mais plan­tée d’ar­bres où méditer, assis à même le sol, avec, autour de soi, quelques out­ils sim­ples. Je ne vois guère image plus juste de la réap­pro­pri­a­tion. Ce qui m’amène à con­sid­ér­er la mis­ère qu’en­tre­tient en nous le bel argent (que je n’ai cepen­dant cess­er d’ap­pel­er de mes vœux et de mon tra­vail, répé­tant aux têtes brûlées qu’on ne peut lut­ter con­tre l’ar­gent qu’au moyen de l’ar­gent — ce que je ne crois plus).