Mois : janvier 2015

Aliénation

Con­cept d’al­ié­na­tion. Le point de vue cri­tique le plus rad­i­cal que l’on puisse adopter aura pour lim­ites celles qu’im­posent l’ob­jet visé. Celui-ci est à la fois source d’in­for­ma­tion et lim­ite de la critique.

Pacotille

La dif­férence entre Le Clézio et Cas­tane­da est que l’un croit alors que l’autre fait accroire. Autrement dit: l’un est européen, l’autre américain.

Humain

Se vouloir excep­tion­nel ne sert à rien, mais se vouloir excep­tion­nel est humain et être humain est nécessaire.

Mike Horn

Dans l’est de la Sibérie, au milieu des glaces, une cabane et trois hommes autour d’un feu. Mike Horn filme. Il vient de marcher huit milles kilo­mètres en soli­taire et partage un repas sous ce toit. Ces vis­ages sont les pre­miers qu’il ren­con­tre depuis six mois. Un petit poêle chauffe l’u­nique pièce, alen­tour rugit un vent glacé. Les éten­dues sont blanch­es et infinies. Ce que le film ne dit pas, c’est que Mike Horn va repar­tir le lende­main pour la suite de son périple, tan­dis que ces hommes vont rester. J’es­saie d’imag­in­er leur vie. Pas leur exis­tence, leur vie. La mort doit être une con­tin­u­a­tion de la vie. Toutes deux sont des moments. Naturelle­ment liés. Il n’y a pas de rup­ture. Ain­si les gestes du quo­ti­di­en s’in­scrivent-ils dans un régime dou­ble: à la fois quo­ti­di­en, triv­ial et sacré. Réal­ité que nos con­sciences hys­tériques ne peu­vent plus appréhen­der. Avec pour résul­tat cette con­séquence para­doxale: nous mar­quons à chaque minute nos vies de l’empreinte de la mort. Cepen­dant, tout en étant, plus que tout autre, inca­pable de déroger à cet état, au point d’en souf­frir, je crois que cette hys­térie est la con­di­tion de la civilisation.

Sébastien

Temps féérique. Les flo­cons de neige volent dans la lumière. D’habi­tude, ils tombent. Aujour­d’hui, les vents sont gredins. Les flo­cons dansent, mon­tent, descen­dent et remon­tent. Nous inter­rompons notre repas de midi pour regarder par la fenêtre. Plus tard, Aplo part pour l’é­cole. Il neige. Entre deux avers­es, le soleil éclaire la ville. Les voitures roulent au pas. Le long des trot­toirs épais, les goss­es organ­isent des batailles de boules de neige. Vient la nuit. Il con­tin­ue de neiger. A huit heures, je pars pour l’en­traîne­ment de Krav Maga. Pour une fois, à pied. A la hau­teur du café Le Mon­di­al, j’aperçois Sébastien. La tête basse, il télé­phone. Je lui adresse un signe et emprunte la rue Joseph-Piller. Je m’équipe dans le ves­ti­aire, coquille, jam­bières, pro­tège-dents, linge, salue les autres mem­bres du club qui atten­dant de pénétr­er dans la salle, me rend aux toi­lettes pour rem­plir d’eau mon bidon. Sébastien est là, télé­phone en main, il bal­bu­tie dans le noir. J’al­lume. Ressors. L’en­traîne­ment com­mence. Après l’échauf­fe­ment, nous répé­tons des tech­niques. Sébastien, s’as­soit. Il se relève. S’as­soit encore. Je vois: sa femme vient de lui annon­cer qu’elle le quit­tait. Vient le moment de com­bat­tre. Après deux parte­naires, je suis opposé à Sébastien. Il encaisse les coups comme s’il avait déjà per­du, recule, sem­ble aban­don­ner, puis ses yeux s’ou­vrent, un regain d’én­ergie, toute de rage, l’agite. Il remonte sur une série de coups, frappe avec véhé­mence et à nou­veau se tasse, baisse la garde, se recro­queville… A la fin, il s’as­soit. Le maître s’in­quiète. Depuis les derniers évanouisse­ments, à la moin­dre défail­lance, il inter­roge et prévient.
- Ça va, c’est pas physique, c’est moral.


Bonne nouvelle

Ecri­t­ure de Vie2. Démar­rage pénible, lorsque je prend place devant les car­nets et y cherche une amorce. Vingt min­utes, une demi-heure pour trou­ver la parade. Entre-temps, un va et vient: lignes écrites, lignes effacées, lignes réécrites, mod­i­fiées et à nou­veau effacées… Retour à la feuille blanche. Quand l’amorce est trou­vée, je prends un rythme. Alors le réc­it se déroule. Trois, qua­tre heures d’af­filées coupées de balades dans l’ap­parte­ment durant lesquelles je cherche une issue au texte. Puis je reprends place devant les car­nets et tra­vaille à la suite. Désor­mais, bon espoir de clore ce tra­vail avant le départ en Asie. Enfin, bonne nou­velle: n’est pas ce que je voulais écrire.

Droits d’auteur

Un incon­nu m’of­frait une album de bande-dess­inée. Son titre: De la phar­ma­colo­gie. “Quoi, me dis­ais-je à haute voix, ils ont osé! Les minables! La tête que va faire Bernard Stiegler en apprenant le plagiat!”.

Originalité

Que ferai-je de neuf cette année? Que ferai-je de neuf demain? Et tout de suite? Quelle impor­tance? A quoi bon pos­er la ques­tion? Dans les cour­ri­ers ami­caux qui accom­pa­g­nent la venue de l’an nou­veau, quelques uns de mes inter­locu­teurs la posent: que feras-tu de neuf cette année? Ce devoir d’o­rig­i­nal­ité! Une prise d’o­tage. Ne serait-il pas heureux celui qui, con­tem­plant les jours à venir, les ver­rait, pour son con­tente­ment, tous pareils et tous prof­ita­bles? Cette révo­lu­tion con­stante des inten­tions traduit-elle autre chose que l’in­scrip­tion au cœur du quo­ti­di­en d’une demande qui démo­bilise le présent?

Soucis

Con­fron­tés aux soucis et craig­nant secrète­ment leur fin.

Argent

Dés­in­térêt com­plet pour le tra­vail rémunéré. Les efforts des dix dernières années sont payants, le salaire tombe. Dans les années 1990, occupé pour la pre­mière fois dans un bureau, je cher­chais le rap­port entre mes tâch­es (pass­er des fax, class­er des doc­u­ments, répon­dre au télé­phone) et l’en­veloppe que me remet­tait le patron à la fin du mois. Je n’en trou­vais pas. Plus tard, la réflex­ion autour de l’or­gan­i­sa­tion de la société d’af­fichage me fai­sait le même effet. Aujour­d’hui, le décou­plage est encore vrai et pour­tant je suis passé du statut d’employé au statut, pour­rait-on dire, de ren­tier. Le rap­port tra­vail-argent n’a été con­cret que pen­dant une dizaine d’an­nées, lorsque je posais des affich­es la nuit dans Genève. Quand un client refu­sait de pay­er, je mon­tais au créneau. L’ar­gent m’in­téresse avant tout sous la forme du jeu: con­cevoir une affaire, la mon­ter, la faire aboutir. Il est au principe et à la fin de l’af­faire, mais c’est l’ef­fort et l’ingéniosité qui con­stituent le cœur de la motivation.