Extraordinaire Peter Liechti dans ce film intimiste sur ses parents, “Meine Eltern”. Le couple vit dans un appartement de banlieue, près des voies de chemin de fer. Le père loue un potager dans un jardin public, la mère participe à des groupes de prière. Ils regardent la télévision, jouent au loto. Ils n’ont jamais quitté la Suisse. Pour déplacer un meuble, ils discutent un mois. Leur conception de la vie est montrée à travers les détails du quotidien. Ils n’en ont pas d’autre. Deux fois la mère est tombée en sortant de la baignoire. Il faudrait installer une poignée. Le père, au fils: “J’ai dit à Mutti, tu te rends compte de ce que penserait le propriétaire? Nous n’avons plus que quelques années à vivre, nous n’allons pas trouer un carrelage qui est encore en bon état!”
Mois : janvier 2015
Arraisonnement
Gala au téléphone. Bonjour, tu vas bien… Bref, l’habituel. Puis aussitôt, une discussion sur le potentiel de l’homme, son arraisonnement, l’effet des routines, la mainmise des grands ensembles sur les destins, Nietzsche, la pesanteur sociale, son effet simplificateur et la cassure psychologique que requiert tout comportement vrai. Nous n’avons encore rien dit, vingt minutes sont écoulées. Elle raccroche sur ce mot: “nous en reparlerons”.
Technique
En promenade sur le quai d’Ouchy ma mère rencontre une dame avec qui elle parle de la grippe. Celle-ci lui explique comment se moucher. “Un doigt sur la narine gauche, expirez trois fois par la droite et inversement!”
-Ça marche, dit ma mère.
Sept milliards d’individus se mouchent et l’un d’entre eux possède une technique. N’est-ce pas merveilleux?
Fièvres
Fièvres lancinantes. Les longues plages de sommeil n’y font rien. Pourtant, j’insiste. Hier, pris de vertiges, il fallut s’arrêter de boxer quelques secondes. A l’autre bout de la salle, la Russe manquait s’évanouir. A la fin de l’entraînement, le policier, paternaliste, la morigène: “tu aurais pu tomber, te briser le nez…”. Puis la troupe s’égaye. Aussitôt rentré, je me mets au four. Aplo couché, je profite de la soirée et, malgré un corps vermoulu, retrouve mes énergies. La bière y contribue. Mais en temps normal, je peux encore lire, écrire ou voir un film; là, je me contente de regarder par la fenêtre la neige qui tombe sur Fribourg.
Vie2
Commencé voilà trois jours Ecriture, bière, combat. Seul point de repère, les lumières étranges aperçues autour de la Lagune noire, dans la région de Soria, un certain soir de l’année 1990. Or, l’incident tient en quelques lignes. Je l’annonce au début du texte, puis je m’en éloigne. Il est prévu ensuite de s’en rapprocher et enfin de compte de le dévoiler. Le récit se déroule dans ce temps. Encore s’agirait-il de savoir ce que je veux raconter. Et ici survient un paradoxe: je veux parler d’écriture, de bière et de combat, mais en rapportant des faits. Dès lors, je me perds en tergiversations. Une phrase d’amorce m’a coûté cet après-midi plus d’une demi-heure de réflexion. Ensuite, guidé par les possibles, j’ai mieux travaillé. Je fais ce que je peux, me dis-je. Signe que, cette fois, toute liberté m’est refusée. A cela s’ajoute un autre facteur. J’ai commencé l’écriture de ce texte le 22 janvier. Le 13 janvier, je m’envole pour l’Asie. Si je devais poursuivre son écriture là-bas, je ne profiterais plus du voyage. D’autre part, si je plante là mon texte, je ne pourrai peut-être jamais le reprendre. Trois obstacles donc: je sais mes quelles vues j’aimerais exprimer, d’où ce titre qui vaut programme , mais ne puis le faire sans fabriquer un récit; le rapport entre ce propos et La lagune noire où s’est déroulé l’incident n’est pas constitué; enfin, un compte à rebours étant engagé, je manque temps, mais, tenu de respecter le développement organique du récit, n’ai aucunement le choix de la vitesse d’exécution.
Honte
Est-ce que je m’amuse? Je n’ai pas cessé de répondre, oui. Et puis, il y a trois ans, quelque chose s’est brisé. Aujourd’hui, j’évite de poser la question. Quand je la pose, je suis perplexe. Je suis tenté de dire que je m’emmerde. J’ai un peu honte. Ce n’est pas de l’ennui, je ne m’ennuie aucunement, c’est bien de la merde — je m’emmerde.
Fumiers
Le combat est intérieur et il n’a qu’une visée: la tranquillité. Celui qui use de violence afin de porter atteinte à la tranquillité est un mécréant. Son geste trahit une incapacité fondamentale à situer le combat dans son ordre. La mécréance à un terreau: l’inculture. Et pendant ce temps, le personnel d’Etat répand du fumier.