Sébastien

Temps féérique. Les flo­cons de neige volent dans la lumière. D’habi­tude, ils tombent. Aujour­d’hui, les vents sont gredins. Les flo­cons dansent, mon­tent, descen­dent et remon­tent. Nous inter­rompons notre repas de midi pour regarder par la fenêtre. Plus tard, Aplo part pour l’é­cole. Il neige. Entre deux avers­es, le soleil éclaire la ville. Les voitures roulent au pas. Le long des trot­toirs épais, les goss­es organ­isent des batailles de boules de neige. Vient la nuit. Il con­tin­ue de neiger. A huit heures, je pars pour l’en­traîne­ment de Krav Maga. Pour une fois, à pied. A la hau­teur du café Le Mon­di­al, j’aperçois Sébastien. La tête basse, il télé­phone. Je lui adresse un signe et emprunte la rue Joseph-Piller. Je m’équipe dans le ves­ti­aire, coquille, jam­bières, pro­tège-dents, linge, salue les autres mem­bres du club qui atten­dant de pénétr­er dans la salle, me rend aux toi­lettes pour rem­plir d’eau mon bidon. Sébastien est là, télé­phone en main, il bal­bu­tie dans le noir. J’al­lume. Ressors. L’en­traîne­ment com­mence. Après l’échauf­fe­ment, nous répé­tons des tech­niques. Sébastien, s’as­soit. Il se relève. S’as­soit encore. Je vois: sa femme vient de lui annon­cer qu’elle le quit­tait. Vient le moment de com­bat­tre. Après deux parte­naires, je suis opposé à Sébastien. Il encaisse les coups comme s’il avait déjà per­du, recule, sem­ble aban­don­ner, puis ses yeux s’ou­vrent, un regain d’én­ergie, toute de rage, l’agite. Il remonte sur une série de coups, frappe avec véhé­mence et à nou­veau se tasse, baisse la garde, se recro­queville… A la fin, il s’as­soit. Le maître s’in­quiète. Depuis les derniers évanouisse­ments, à la moin­dre défail­lance, il inter­roge et prévient.
- Ça va, c’est pas physique, c’est moral.