Mois : octobre 2014

Bon sens

Bon sens d’Hen­ry Miller: “La con­di­tion sociale est mau­vaise, mais la vie elle-même est tou­jours bonne. C’est l’homme qui gâche tout. La vie est tout ce que nous avons, tout ce que nous con­nais­sons. Elle est tout, bonne ou mau­vaise, c’est la vie et on ne peut pas en dire plus. Nous devons la met­tre en con­traste avec cette vie sociale qui n’en est pas une — sauf dans les petites com­mu­nautés où il y a une idée de base [ ]”

Gormiti

L’an dernier je me don­nais pour tâche de par­ler dans un livre prochain du gor­mi­ti. Dans les dernières phras­es de Forde­troit, j’an­nonce ce texte, ou plutôt, l’analyse de cette mal­adie. J’en dis­cu­tais avec Aplo. Rien de tel pour fix­er l’idée. Je fais du skate depuis plus de trente ans, lui dis­ais-je, et je ne me sou­viens pas avoir heurté un pas­sant. Or, depuis peu, se fau­fil­er est devenu dif­fi­cile. Les pas­sants n’ont plus le sens de l’équili­bre. Ils ne marchent plus, ils flot­tent. Le ska­teur est à la mer­ci d’un mou­ve­ment soudain et imprévis­i­ble. Et cette perte de con­sis­tance des corps à son équiv­a­lent dans la langue: l’in­ter­locu­teur ne se situe plus. Dans ces entre­tiens de Pacif­ic Pal­isades réal­isés par Chris­t­ian de Bar­tillat en 1972, Hen­ry Miller dit: “En fait, nous sommes arrivés à un état de neu­tral­ité. Nous sommes neu­tres, nous ne sommes plus hommes ou femmes, furieux ou ten­dres. Tout est égal, dégon­flé. C’est le plus grand dan­ger auquel nous sommes con­fron­tés, et, en ce sens, nous per­dons notre humanité”.

Tapis

Tatlin, grande, belle, rieuse. J’ai oublié mon pan­talon, ma coquille, nous répé­tons des défens­es de Krav Maga, nous com­bat­tons. C’est dimanche après-midi, la salle de boxe est vide. Face aux miroirs nous entraînons les coups de pied, les étran­gle­ments, les parades con­tre couteau. Nous gar­dons le plus dif­fi­cile pour la fin, les chutes, les roulades. Je viens de dis­pos­er le mate­las au sol quand la porte s’ou­vre. Survient Mohammed, l’en­traîneur de boxe. Sur­pris, plus que cela, gêné. Il appelle der­rière lui. Trot­tin­nent deux femmes âgées en tchador. Il voulait mon­tr­er sa salle de tra­vail. Pour être dis­cret, il a choisi le dimanche et nous voici. Tatlin et moi sommes tous deux ses élèves. Lui est un excel­lent maître de boxe. Nous salu­ons, puis con­tin­uons nos exer­ci­ces. Du coin de l’œil, j’ob­serve Mohammed. Et je vois ce que c’est: il lève le rideau qui ferme la pièce latérale, mon­tre à ces grand-mères débar­quées du bled le tapis. Il n’a pas oublié, il est un bon musul­man. Il prie. Les dis­cours lénifi­ants n’y peu­vent rien: ni inté­gra­tion ni inclu­sion, le sens de la cul­ture démoc­ra­tique leur échappe, l’échec est programmé.

Lieux de départ

Je ne cesse de me dire, ce n’est pas là qu’il faut être, ce n’est pas cela qu’il faut faire (hormis l’écri­t­ure, qui est insé­para­ble). Où faut-il être? Nulle part. Il ne faut pas demeur­er, il faut tra­vers­er. Pass­er d’un lieu dans un autre. L’in­stal­la­tion n’a de sens que dans un lieu sans his­toire (ou du moins dont on ignore l’his­toire). Il appa­raît à mesure, selon les efforts engagés. Une fois con­sti­tué, il est temps de par­tir. Un lieu achevé, un lieu qui impose ses déter­mi­na­tions, quel intérêt? Dans la vieil­lesse, oui, mais aupar­a­vant? Mar­qué par un mys­ti­cisme sans doc­trine, je plaide pour le démi­urge: aux pris­es avec le néant, l’homme devient dieu en sus­ci­tant le monde. Aucune con­nais­sance n’est req­uise, pas de tal­ent spé­cial: échecs et réus­sites ont ici le même pou­voir créateur.

FED

Le pare-feu de la Banque cen­trale améri­caine (FED) bloque 3 mil­lions de cyber­at­taques par jour.

Journaliste

Phrase de jour­nal­iste: “Désor­mais elle se con­sacre entière­ment à l’écriture.”

Ambon

Hier je prends con­tact avec des gens qui vivent aux Moluques. Les images d’Am­bon, la cap­i­tale, mon­trent une épicerie, un marché, une mosquée. Aucun aperçu du pays. La carte ne me ren­seigne pas: com­bi­en d’autre local­ités, de quelle taille? Je ne vois pas de routes. Vol­cans, collines, forêts. L’archipel est trois fois plus éten­du que la Suisse. Voici donc ma représen­ta­tion des Moluques: un ville-porte, Ambon, puis un ter­ri­toire incon­nu. Mon rêve de cette nuit car­i­ca­ture ce sen­ti­ment. Je grimpe les bar­reaux d’une échelle. En haut et en bas, il n’y a rien: ni sol ni ciel. Un de mes con­tacts m’en­cour­age à pour­suiv­re l’as­cen­sion. Si je panique, je lâche, si je lâche je meurs. Il suf­fit de pani­quer et je suis mort. Cette idée me fait paniquer.

Pommes 2

- Ah les pommes, me dit Crausaz, chaque pomme que tu manges, tu gagnes un jour de vie! Moi je ronge tou­jours une pomme quand je vais aux champs. Mais l’an­née passée, on en avait plus. Françoise en a pris au super­marché. Hé bien six mois après elles avaient pas pour­ri! Dès qu’elle les a débal­lées, je lui ai dit: “elles sen­tent le vieux!”

Audace

Quand tu cries plus fort que les autres, la foule se retourne. Elle bavarde et se ren­seigne. Elle enreg­istre ton nom. Quoique tu fass­es ou dise par après, elle se sou­vien­dra de toi et con­servera une forme d’admiration.

Coup

Peu après mon arrivée en Fin­lande, à Helsin­ki, dans le préau de l’é­cole, un cama­rade m’a don­né une gifle. J’avais sept ans. Je suis ren­tré en classe, j’ai réfléchi.A la récréa­tion suiv­ante, la cloche sonne,  la maîtresse nous regroupe sous le cou­vert. Je sors du rang, je me place devant le cama­rade, je lui  rend sa gifle. Maîtresse comme élèves me fix­ent estom­aqués. J’y pen­sais ce ven­dre­di comme Aplo me dis­ait: j’ai pris un coup. La prochaine fois, je le rendrai.