Mois : octobre 2014

Faire

Aus­sitôt couché, je me demande ce que je pour­rais faire.

Imagination

Le plus triste est notre manque d’imag­i­na­tion. Une fois que l’on a mangé, qu’y a‑t-il d’autre pour rehauss­er la vie que l’imag­i­na­tion? Or, nous croyons qu’il existe des oblig­a­tions. Cette croy­ance est infer­nale. Elle brûle l’imag­i­na­tion. Si je vois bien l’é­tat de notre société occi­den­tale, je suis ten­té de dire que l’un des seuls domaines où l’imag­i­na­tion demeure une valeur con­quérante est la sci­ence: les savants ont certes hypothéqué leur quo­ti­di­en au point de le réduire à la rou­tine, mais c’est armés d’imag­i­na­tion que les meilleurs d’en­tre eux s’at­taque­nt à l’ob­scu­rité du monde.

Aimer

C’est une expéri­ence regret­table d’aimer par pitié.

Week-end

Week-end passé seul. Gala, tou­jours silen­cieuse, Aplo ren­tré à Genève, Tatlin à ses études. Le temps se dilate. J’ou­vre la fenêtre puis la referme. Mieux comme ça. D’ailleurs il pleut. J’hésite à aller courir. Deux fois le cir­cuit du Bour­guil­lon et des Gorges. Trente kilo­mètres. Je fais une excep­tion: je renonce. Et si j’al­lais au club répéter du Krav Maga? Je reste à la mai­son. Assis à ma table de tra­vail, voici le pro­gramme. Déci­sion payante: après avoir traîné les pieds tous ces mois, je reprends enfin Roman D.C. Les chapitres sur Der­borence me font rire, de même que les dia­logues dans le chalet de Corteza. Mais la fin est abrupte. La réécri­t­ure achevée, je retourne au pre­mier chapitre: l’ac­croche est faible. A tra­vailler. Mais il y a plus ennuyeux: je suis inca­pable de met­tre la main sur les notes pris­es pour le dia­logue final, cette ren­con­tre du per­son­nage prin­ci­pal, Bertrand, avec une petite fille, devant l’hor­loge fleurie de Genève. Un dia­logue dés­espéré, absurde, asymétrique entre une gamine aban­don­née et qui juge sa sit­u­a­tion sans com­plai­sance et un adulte à la dérive qui pro­gres­sive­ment, à l’é­coute des mal­heurs de la gamine, se juge bien­heureux. Je me vois encore rue Derech Shchem, sur la ter­rasse du Lega­cy Hotel, à Jerusalem, écrivant à toute vitesse dans mon cahi­er. Ou dans un car­net? Tout ce que je trou­ve en feuil­letant les brouil­lons est: “Bertrand vole un pot de fleur  et cela fait comme une ver­rue sur l’hor­loge. A la fin, la petite fille replace le pot de fleurs.” Mon inspi­ra­tion est dans Fran­ny and Zoey de Salinger, c’est ce ton-là que je cherche, celui du pre­mier dia­logue, au café, ou encore celui du mono­logue devant le miroir. Grande con­ver­sa­tion avec la petite fille, tel était le titre du livre avant qu’il ne devi­enne Roman D.C. Donc, grand dialogue.

Gauche

La lutte con­tre le com­mu­nau­tarisme et l’eth­ni­ci­sa­tion de la société est insé­para­ble de la lutte con­tre le cap­i­tal­isme. L’oblitéra­tion de toute con­struc­tion morale des rap­ports par l’im­po­si­tion de deux valeurs,  l’ar­gent et le droit, est à l’o­rig­ine du retour du religieux et de l’i­den­ti­taire. En prenant la défense de ces minorités car­i­cat­u­rales, la gauche par­ticipe à la destruc­tion de la nation et se met au ser­vice de l’élite financière.

Mimizan

L’été 2003 dans les Lan­des. Enfin le sen­ti­ment de tenir les rênes. Une mai­son de vacances con­tre la dune, deux enfants, Olof­so et cette excel­lente BMW grise où je fai­sais réson­ner l’al­bum de Blue Öys­ter Cult, Heav­en For­bid. Comme j’al­lais bien­tôt quit­ter Olof­so, je ne protes­tai plus, je me met­tais à son ser­vice. De l’aéro­port de Bor­deaux, je rame­nais sa maman venue en vis­ite. Une fois quit­tée l’au­toroute du lit­toral, j’empruntais la per­pen­dic­u­laire pour Escource. L’air puait le papi­er. Les fûts de pin défi­laient. Plan­ta­tion géométriques et raison­nées qui cor­re­spondaient bien à mon état d’e­sprit. Il ne restait qu’à basculer.

Vigilance

Dix heures du soir, fin de l’en­traîne­ment de Krav Maga. Réu­nis sur une ter­rasse de Kebap, en pull, en veste, nous sommes quelques uns à manger et boire. La rue de l’Hôpi­tal est déserte, passent des voitures. Je dis­cute avec B. Or, au moin­dre bruit, au plus petit mou­ve­ment, il se retourne, scrute, analyse, ne reprend l’é­coute que rassuré.

Pommes

Jour d’au­tomne à Chapelle. Lumière pure, feuilles tombées. Deux veaux nous regar­dent cueil­lir les pommes. Mon­té sur l’échelle, je n’at­teins que les branch­es bass­es. Le tronc tortueux exclu de grimper plus haut, et les plus belles pommes sont sur la frondai­son. Le paysan a con­seil­lé de ne pas les faire tomber: elles s’abî­ment. Pour finir, je sai­sis l’échelle, l’ap­puie con­tre les branch­es maîtresse et fais levi­er. Nous rem­plis­sons plusieurs car­tons. Il y a quelques années, Aplo assis dans un cageot jouait au bolide. Cette pho­to de lui enfant est l’une de celles que j’ai vu le plus sou­vent. Même automne jaune et vert, un temps doux, une herbe lourde de rosée. 

Tristeza

Dans Tris­teza, Ker­ouac retranché dans une cui­sine de Mex­i­co voit sur le frigidaire un chat qui la plu­part du temps n’est pas là, ce qui lui per­met de porter au plus haut degré son art de la spécu­la­tion nar­ra­tive (il ne pour­rait le faire sans croire que le chat est là).

Craies

Craie car­rée, craie ronde. Fri­able ou dure. Poudreuse ou sèche. Large ou pré­cise. Dos à la classe, c’est ce qui me tra­ver­sait l’e­sprit devant le tableau noir, façon comme une autre de lut­ter con­tre l’anx­iété qui précède la question.