Mois : octobre 2014

Gala

Gala ne répond jamais aux ques­tions. Si je me tenais devant une porte et que je lui demande, “est-elle ouverte?”, elle n’hésit­erait as à dire:
- Là, n’est pas la ques­tion.
Avant d’emmancher un dis­cours lon­gi­tu­di­nale et infi­ni. Pour un ratio­nal­iste, un angois­sé, un mani­aque, pour l’homme que je suis, c’est un cauchemar, mais les hommes vivent — c’est bien con­nu —  aux dépends des cauchemars qu’imag­i­nent les femmes dont ils sont les amoureux. Et à l’avenir — lequel dure et brusque­ment s’in­ter­rompt — elle n’hésit­era pas à m’ob­jecter, morte:
- Enfin, que veux-tu dire? Tu vois bien que je suis là!

Second couteau

Ce ban­quier avec qui je fais des exer­ci­ces en soirée. Deux ans de fréquen­ta­tion en ves­ti­aire. Et les douch­es après l’ef­fort: cen­sées rap­procher les hommes. Ce soir nous ban­dions nos poignets et nos pha­langes dans le souter­rain avant de cogn­er. Il est fuyant. A la lim­ite de l’in­quié­tude. Ma cour­toisie comme ma famil­iar­ité nient ses repères. J’ig­nore quels sont les siens — je les devine. Imag­i­nons qu’il soit pein­tre. Imag­i­nons qu’il soit démi­urge, que le monde un instant lui soit à charge — et il est jeune, beau, solide, sérieux — nous procéde­ri­ons tous, en lita­nies, vers un hori­zon figé (mais peut-être est-il au meilleur de son expres­sion dans ce rôle de sec­ond couteau…) 

Pathos

Cet échafaudage que forme la société tient du mir­a­cle et de la médi­ocrité. Mais les parts sont iné­gales. Le mir­a­cle est de l’or­dre du rachat, de la dig­nité volon­taire, une sorte de honte noble:  les plus braves d’en­tre nous s’oc­cu­pent de sauver les apparences… Quant à la médi­ocrité, elle est réelle, ter­restre, humaine, elle a un nom: inféo­da­tion. Ce qui est dit vrai est vrai et s’y con­former c’est embranch­er pour la vie un chemin vertueux.

Prospective

Quand je ne pour­rai plus rap­porter ce que je fais ni dire ce que je pense, ce sera le signe que ma lib­erté aug­mente. Elle aug­mente. Après quoi, écrire devien­dra un devoir.

Régles et tricherie

Sup­primé.

Outils

Chaque matin et chaque soir, à la même heure, passe un camion d’ou­vri­ers. Les out­ils posés sur le pont saut­ent au pas­sage du gen­darme couché. Même son, même vitesse, heures iden­tiques. Inquiétant.

Verracos miniatures

Je marche dans Sala­manque à la recherche d’un coif­feur. Un salon pour hommes du périphérique pour­rait con­venir, mais deux clients atten­dent leur tour. J’en cherche un autre. N’en trou­ve pas. Je reviens sur mes pas. Si j’ai de la chance les deux clients ont été servis et le coif­feur m’at­tend. Je ne  retrou­ve plus le salon. Or, nous devons rejoin­dre Madrid où l’avion pour la Suisse décolle en soirée. Après le repas, halte à Ávi­la. Les enfants par­courent la muraille avec ma mère, nous allons à la bou­tique des touristes. Depuis mon dernier pas­sage, il n’y a que deux nou­veaux ver­ra­cos minia­tures à l’é­ta­lage. Je fais remar­quer à Mon­frère que quand le vieux sculp­teur qui crée ces fig­urines mour­ra, nous n’en trou­verons plus. Qui voudrait tailler dans le gran­it des répliques d’une ani­mal dont les gens ignorent tout?  Mon­frère achète un ver­ra­co cochon. De nuit, dans les halles du ter­mi­nal 1 de Bara­jas, les écrans télévi­sion dif­fusent les images de man­i­fes­ta­tions en Ukraine: des émeu­tiers sai­sis­sent par le col­let des hommes d’af­faire en cos­tume et cra­vate et les bal­an­cent dans des bennes.
- Ils jet­tent des gens impor­tants, dit Aplo.

Castillo de Buen Amor 2

Con­tre un mur du château, entre la récep­tion de l’hô­tel et la salle des tableaux, une cein­ture de chasteté. Tri­an­gle avant et arrière en métal dédoré, jeu de clefs, ouver­ture pour les besoins naturels, dou­blure intérieur de feu­tre rouge. 

Castillo de Buen Amor

Castil­lo de Buen Amor, aux portes de Sala­manque. Mon­frère et moi y avons passé la nuit il y a trois ans au mois de juin alors que nous roulions à vélo d’Oviedo à Mala­ga. Château for­ti­fié du XVème qui tient son nom de deux cou­ples d’a­mants, l’archevêque de San­ti­a­go et sa maîtresse Doña María de Ulloa et plus tard l’évêque de Cuen­ca et sa maîtresse Doña Tere­sa de las Cuevas. Ironie de l’his­toire, l’archevêque et l’évêque por­taient le même nom: Don Alon­so de Fon­se­ca Qui­ja­da. En grande par­tie intacte, on y accède par un pont ten­du sur les dou­ves et les salles comme les cham­bres, dont cer­taines dans les tourelles de guet, ont été con­servées dans leur état orig­i­nal: blocs de pierre jaunes, pla­fonds-voûtes, march­es d’un ten­ant. Nous par­tons courir une douzaine de kilo­mètres sur la route de terre qui mène au proche vil­lage de Topas où les vieil­lards nous con­sid­èrent effarés. Sur une petite place, un vieil­lard  en jaque­tte de laine et bleu de tra­vail, canne en main, béret sur la tête fait les cent pas. Il va et vient entre un pré où pais­sent des mou­tons et le porche de sa mai­son où sa femme tri­cote. Plus loin, il y a une dis­cothèque. Bâti­ment imposant, néon brisé, pein­ture effacée. Au sol, de la bouse. Ce vil­lage invis­i­ble depuis la N630, la route qui relie les Asturies à l’An­dalousie. , est mar­qué par une telle soli­tude qu’on en vient à se deman­der si ses habi­tants savent que Fran­co est mort. Nous filons dans les champs, puis sur le chemin de retour pas­sons une nou­velle fois par le cen­tre de Topas. Une dame nous crie des mots que nous ne com­prenons pas. Nous répon­dons ami­cale­ment avec des mots qu’el­lene peut com­pren­dre. Ce qui me rap­pelle cette scène, en 1991, un matin, alors que nous pre­nions le départ de notre étape du jour le long du chemin de Saint-jacques, quelque part sur la place d’un vil­lage de la Rio­ja: Mon­frère et moi, les mains appuyées con­tre un mur, faisons des étire­ments. Une paysanne se place dans notre dos, observe et s’in­quiète. Elle appelle un voisin. Celui-ci pour la ras­sur­er explique que nous ne sommes pas des fous en lib­erté: nous faisons du stretching. 

Economie

Au petit-déje­uner, dans la salle de l’Hô­tel Corazón de Arribes, sous l’écran de télévi­sion qui dif­fuse les chiffres du chô­mage (en hausse) et l’é­tat de la cor­rup­tion des milieux dirigeants (con­stant), cet homme de soix­ante ans qui déclare à ses amis:
- Pour dur­er, il faut manger cor­recte­ment. Moi, ma maman me pré­pare un en-cas sur le coup des onze heures. Et puis, c’est le plus impor­tant, il faut tra­vailler le moins possible.