Mois : mars 2014

Soleil

Lim­pid­ité de l’air, douceur. Un moment je me tiens sur la colline du Guintzet, face à la ligne des Préalpes. Un soleil vif découpe les sil­hou­ettes des arbres, des clô­tures, des manèges d’en­fants et sculpte leurs cris de joie. Devant les étab­lisse­ments béton­nés de la rue Gam­bach, les ado­les­cents sont affalés sur les march­es blanch­es des escaliers. Corps chauds, tran­quilles et ralen­tis, clairsemés devant de vastes bâti­ments qui sem­blent voués au vide. Je ne me réjouirais jamais assez de fray­er des chemins dépourvus de vis­i­bil­ité et qui cer­taine­ment ne mènent nulle part. Voilà un des motifs du bon­heur. C’est ce que je souhaite de mieux à ces enfants que leur par­ents font tourn­er à bord des manèges de la colline et qui devi­en­nent les années suiv­antes ces ado­les­cents affalés sur des march­es d’escaliers, de fauss­er com­pag­nie au monde oblig­a­toire et de se mir­er sans esprit de sérieux sur un banc un jour de vif soleil.

Marfil

Fini de réécrire Marfil. Pour la cinquième, la six­ième fois depuis 2004? Et tou­jours ce sen­ti­ment de médi­ocrité. Bon pour le panier. Ce que je ne fais pas. Faib­lesse hon­teuse et cepen­dant naturelle: per­son­ne n’aime tra­vailler en pure perte, la vie est effort et l’ef­fort est pour­voyeur de sens. Mais non, panier!

Corps

Extrême fatigue. Reçu trop de coups.

Quand j’avais dix-sept ans

Enten­du avec con­tente­ment le texte Quand j’avais dix-sept ans enreg­istré par Roland Vouil­loz pour l’émis­sion Entre les lignes. Vraisem­blable­ment ce que j’ai écrit de mieux, à moins que ce sen­ti­ment tienne à la qual­ité d’in­ter­pré­ta­tion du comé­di­en. Cela voudrait dire que seul l’in­time donne son poids et son sens au texte lit­téraire. Mais alors, force est de juger en bon pes­simiste que si j’écrivais une dizaine de textes de cet acabit, cha­cun d’une longueur égale, soit de quelques six pages, j’au­rai don­né le meilleur de moi et qu’il n’y aurait aucun sens à écrire ne serait-ce qu’une ligne supplémentaire.

Devoir d’allégeance

La cul­ture d’en­tre­prise, ce mal­heur épou­vantable qui s’a­bat sur les employés, men­ace leur équili­bre et brise les résis­tances de car­ac­tère, a son équiv­a­lent autrement néfaste dans les rangs de la fonc­tion publique: le devoir d’al­légeance à l’idéolo­gie la plus per­ni­cieuse qu’ait créé le cap­i­tal­isme, le poli­tique­ment correct.

Promenade

Ce dimanche prom­e­nade avec les enfants sur les berges de la Sarine à portée de l’ab­baye d’Hau­terives. Nous pas­sons le pont où j’ai racon­té en géomètre la ren­con­tre de B. avec Jésus, c’é­tait en 1994 je crois, puis gagnons le bois par le sen­tier. A leur habi­tude, les enfants ont râlé et main­tenant ils s’a­musent, tour­nant des galets, tail­lant des branch­es. Le bois dont un pan­neau nous explique qu’il est pro­tégé finit con­tre un bloc de gran­it som­bre. Je m’in­stalle sur un tronc pour regarder couler la riv­ière, Gala con­tin­ue et par un chemin détourné décou­vre le tem­ple votif niché dans une anfrac­tu­osité de la pierre au pied d’une stat­ue de la vierge. Un cou­ple fait la même prom­e­nade. L’homme se couche, ne dit plus un mot, tan­dis que les femmes der­rière le bloc par­lent. Plus tard Gala m’ap­pren­dra ce qu’elles se sont dit, les con­seils qu’elles ont échangé et comme tou­jours, van­tera l’ex­tra­or­di­naire de la ren­con­tre pour l’ou­bli­er aus­sitôt. Nous revenons ensuite par les flancs de la colline de Marly dont un pan de molasse s’est écroulé, quand les moines appa­rais­sent à la hau­teur du pont et à grands pas lon­gent la berge. Tout aus­si brusque­ment ils piv­o­tent et repren­nent la direc­tion de l’ab­baye. Aplo demande que j’ex­plique leur régime quo­ti­di­en et leur vie. Lorsque nous atteignons l’église, la cloche sonne. Les moines par­tis trop tard en prom­e­nade ont rebroussé chemin pour appel­er à l’of­fice de Nonnes. Nous les écou­tons chanter, pour moi, avec le sen­ti­ment que cette liturgie va dis­paraître et que le monde, aujour­d’hui plus encore qu’il y a vingt-cinq ans lorsque je fai­sais mes pre­mières retraites à l’hostel­lerie, est résol­u­ment étranger à la notion de soli­tude méditative.

Minimalisme

Soudain éveil­lé, j’ai sous les yeux un par­al­lélépipède noir de Don Judd dont j’ad­mire la perfection.

Bêtes

Rapi­des et ryth­mées, elle avançaient en dévo­rant les cités reje­tant par l’ar­rière-train des boulets calori­fiques dont les hommes encore en vie se ser­vaient pour bâtir de nou­velles cités.

Groupes

La vie des groupes m’est incon­nue ou si je l’ai sue, je l’ai oubliée.
Lorsqu’il s’ag­it de penser, de s’op­pos­er, de se défouler, j’u­tilise des mots qui réfèrent à des grands ensem­bles, lesquels sont par déf­i­ni­tion abstraits, c’est-à-dire sans mem­bres sinon sta­tis­tiques: société, pop­u­la­tion, politi­ciens, nation. Cela donne une illu­sion de préhen­sion et n’en­gage pas. Cela donne aus­si une illu­sion de soli­tude.
Ma dernière expéri­ence du groupe remonte, comme pour bien des gens j’imag­ine, à l’ado­les­cence. A cet âge-là, il y a le groupe d’amis. Par la suite l’en­tre­prise rem­place peut-être ce type de groupe, je n’en sais rien.
Quoiqu’il en soit, j’ai con­staté hier, alors que je par­tic­i­pais à un entraîne­ment de Krav Maga (activ­ité indi­vidu­elle dont l’ap­pren­tis­sage se fait en groupe et qu’il con­vient de dis­tinguer du sport d’équipe qui requiert un esprit d’équipe), que bon nom­bre des per­son­nes présentes mul­ti­plient, dans leur usage quo­ti­di­en de la vie, les groupes. Cela con­siste à faire des choses ensem­ble (ce que nous faisons tous), mais ici, selon une pre­scrip­tion admise par cha­cun des mem­bres du groupe et à date et heure arrêtées, sans quoi, pas de groupe. Etrange régime des loisirs.
Il n’est plus com­mandé par l’en­vie, la spon­tanéité, la ren­con­tre, le désir, mais par la régu­lar­ité, l’or­dre don­né et l’in­ser­tion dans le mou­ve­ment général. La notion de pro­grès peut-être?
Lorsque des gamins traî­nent dans la rue, s’en­nuient et que l’un d’eux pro­pose de faire un match de foot, il n’a pas à l’idée le pro­grès mais le loisir. Si pro­grès il devait y avoir, les gamins tomberaient d’ac­cord pour organ­is­er un match tous les jours, en tel lieu et à telle heure. C’est l’idée du “groupe de rock”.
Que cette volon­té de pro­gress­er s’ap­plique au sport ou d’ailleurs à toute activ­ité qui vise à l’ac­qui­si­tion d’un savoir, je com­prends, mais qu’ad­vient-il quand tout le temps libre est dévolu à la par­tic­i­pa­tion à des groupes?
Imag­i­nons: j’ai un entraîne­ment de foot­ball; je danse dans une dis­cothèque, tel jour, avec telles per­son­nes, sur telle musique, à heure fixe; le dimanche, je vais en forêt avec un groupe de ran­don­neurs selon un pro­gramme thé­ma­tique con­nu pour toute l’an­née; au marché le same­di, entre onze heures et treize heures, je me réu­nis dans un café où je sais pour­voir trou­ver des per­son­nes pré­cis­es; pour mes vacances, n’é­tant pas un touriste idiot, je voy­age accom­pa­g­né d’un con­nais­seur de la Grèce qui se charge de lire pour moi le paysage et les mon­u­ments.
Que s’en­suit-il? Est-ce que la notion de mem­bre du groupe n’est pas un for­mi­da­ble hybride? Ni copain ni ami? Et qu’ad­vient-il du hasard? Certes, des­ti­tué par le fait de l’ex­téri­or­i­sa­tion des règles qui fonde le groupe, il ne tarde pas à se recon­stituer (à un niveau supraad­di­tif donc moins risqué, celui du groupe en tant que per­son­ne morale). Mais sur une scène plus petite, moins riche, plus pro­tégée.
Ain­si hier, dis­cu­tant avec des per­son­nes qui toutes me fai­saient part des activ­ités qui les lient à dif­férents groupes et évo­quant par la même occa­sion les per­son­nes qui avaient des appar­te­nances mul­ti­ples (je vois égale­ment Jan à l’ate­lier de pein­ture et à la Sal­sa..), je m’a­mu­sais à représen­ter la société à tra­vers de la théorie des ensembles.

Tsunami

Petite méta­physique des tsunamis de Jean-Pierre Dupuy, qui au-delà d’un titre bril­lant, pro­pose une spécu­la­tion boi­teuse sur la récep­tion, l’analyse et la préven­tion des cat­a­stro­phe mod­ernes à tra­vers Rousseau, Voltaire, Leib­nitz et plus près de nous, Gün­ther Anders. En revanche, je lis pour la deux­ième fois que la raz de marée de 2004 était un risque con­nu et qu’en Thaï­lande les autorités auraient tu les rap­ports des sis­mo­logues pour ne pas faire fuir les touristes.