La vie des groupes m’est inconnue ou si je l’ai sue, je l’ai oubliée.
Lorsqu’il s’agit de penser, de s’opposer, de se défouler, j’utilise des mots qui réfèrent à des grands ensembles, lesquels sont par définition abstraits, c’est-à-dire sans membres sinon statistiques: société, population, politiciens, nation. Cela donne une illusion de préhension et n’engage pas. Cela donne aussi une illusion de solitude.
Ma dernière expérience du groupe remonte, comme pour bien des gens j’imagine, à l’adolescence. A cet âge-là, il y a le groupe d’amis. Par la suite l’entreprise remplace peut-être ce type de groupe, je n’en sais rien.
Quoiqu’il en soit, j’ai constaté hier, alors que je participais à un entraînement de Krav Maga (activité individuelle dont l’apprentissage se fait en groupe et qu’il convient de distinguer du sport d’équipe qui requiert un esprit d’équipe), que bon nombre des personnes présentes multiplient, dans leur usage quotidien de la vie, les groupes. Cela consiste à faire des choses ensemble (ce que nous faisons tous), mais ici, selon une prescription admise par chacun des membres du groupe et à date et heure arrêtées, sans quoi, pas de groupe. Etrange régime des loisirs.
Il n’est plus commandé par l’envie, la spontanéité, la rencontre, le désir, mais par la régularité, l’ordre donné et l’insertion dans le mouvement général. La notion de progrès peut-être?
Lorsque des gamins traînent dans la rue, s’ennuient et que l’un d’eux propose de faire un match de foot, il n’a pas à l’idée le progrès mais le loisir. Si progrès il devait y avoir, les gamins tomberaient d’accord pour organiser un match tous les jours, en tel lieu et à telle heure. C’est l’idée du “groupe de rock”.
Que cette volonté de progresser s’applique au sport ou d’ailleurs à toute activité qui vise à l’acquisition d’un savoir, je comprends, mais qu’advient-il quand tout le temps libre est dévolu à la participation à des groupes?
Imaginons: j’ai un entraînement de football; je danse dans une discothèque, tel jour, avec telles personnes, sur telle musique, à heure fixe; le dimanche, je vais en forêt avec un groupe de randonneurs selon un programme thématique connu pour toute l’année; au marché le samedi, entre onze heures et treize heures, je me réunis dans un café où je sais pourvoir trouver des personnes précises; pour mes vacances, n’étant pas un touriste idiot, je voyage accompagné d’un connaisseur de la Grèce qui se charge de lire pour moi le paysage et les monuments.
Que s’ensuit-il? Est-ce que la notion de membre du groupe n’est pas un formidable hybride? Ni copain ni ami? Et qu’advient-il du hasard? Certes, destitué par le fait de l’extériorisation des règles qui fonde le groupe, il ne tarde pas à se reconstituer (à un niveau supraadditif donc moins risqué, celui du groupe en tant que personne morale). Mais sur une scène plus petite, moins riche, plus protégée.
Ainsi hier, discutant avec des personnes qui toutes me faisaient part des activités qui les lient à différents groupes et évoquant par la même occasion les personnes qui avaient des appartenances multiples (je vois également Jan à l’atelier de peinture et à la Salsa..), je m’amusais à représenter la société à travers de la théorie des ensembles.