Discuter une position que l’on sait fausse est impossible. Il ne reste qu’à la durcir. Et ainsi à chaque attaque. Réalité du socialisme à la française. Car enfin les hommes qui gouvernent sont intelligents: ils ont payé de leur personne pour atteindre à ces postes et veulent un retour sur investissement, pas une débat qui minerait leur position.
Mois : janvier 2014
Chez Emmaüs
Chez Emmaüs. Mais il n’y a ni sommier ni cadre de lit. Au rayon livre, je m’intéresse aux auteurs suisses. Ouvrages d’amis. Comment ne pas penser: un tel n’a pas été lu, aussitôt expédié chez Emmaüs. Puis les enfants choisissent un divan. Il est mauve, petit, taché, mais il est transformable en lit et il leur plaît. Optimiste, j’annonce que je vais le charger dans la BMW. Les enfants regardent les adultes qui gèrent la brocante: un homme au faciès couperosé, une fraise à la place du nez, un autre voûté et malingre, un troisième, manchot. C’est lui qui s’occupe des meubles. J’avance la voiture, demande à Aplo de m’aider à transporter le canapé. Le manchot vient en renfort. Son handicap devient alors évident. Un bras ne suffit pas. Sans l’effet de symétrie, tout portage est voué à l’échec. Dure condition.
Air du temps
Vu Le Corniaud avec les enfants. Dans ce film de 1958, le calme et la bienveillance des rapports humains, quand bien même ils organisent des intérêts opposées, ceux des brigands et des policiers par exemple, frappe. C’est une fiction, mais une fiction qui aujourd’hui représenterait de tels rapports est impensable.
Tortue
A deux mille mètres, sur les Moléson, les raquettes au pied, Aplo qui a quatorze ans demande s’il peut me poser une question importante.
- Pourquoi les cellules des tortues vieillissent-elles moins vite que celles des hommes et que peuvent faire les nanotechnologies dans ce domaine?
Un peu plus, loin, dans une pente, tandis que Luv essoufflée nous fait signe de l’attendre.
- Quand je pense à mon lit, et que je suis là, avec toi, et que je marche, est-ce qu’il est normal que j’oublie que je marche?
Guide des îles et des plages
Commandé hier le guide des îles et plages de Thaïlande. Une opération de quelques secondes. Le temps de rejoindre Gala au salon, je consulte sur la tablette la section Mer d’Andaman. A ma grande stupéfaction, pas un lieu que je ne connaisse. Et bientôt, je m’écrie:
- Mais c’est quoi ce truc? J’aurais pu l’écrire d’une main distraite!
Je lis des passages: les formules sont ampoulées, les adjectifs au service d’un exotisme kitsch, les verdicts surfaits, les conseils d’un affligeante pauvreté. Je poursuis la lecture. Passe les chapitres un après l’autre. Cela se confirme. Rien que je ne sache. Le public serait-il de moins en moins exigeant? Car enfin, je ne peux pas imaginer avoir épuisé les richesses du territoire. Et si après quelques trente visites, j’étais arrivé au bout des surprises? Alors je me rassure: pas besoin d’endroits neufs, les surprises viendront des lieux connus. Et puis: pas besoin de surprises.
Se couper
Si, n’usant plus de la boisson pour me couper de moi-même, j’écrivais tout le jour, la réalité s’effondrerait. Le monde que l’écriture suscite prendrait sa place. Substitution redoutable de la folie à la raison, de l’imagination au réel. Mais pour R. qui a franchi il y a plus de dix ans ce cap, la question se pose autrement: il use de la boisson pour se couper de la folie.
Hip-hop
Un musicien classique dans un monde que le rock envahit. Un musicien, même médiocre, dans une monde que le hip-hop envahit. Lorsqu’on est passé du latin classique au latin vulgaire sous l’influence de la rue, on est passé de cinq cas à deux cas. Puis sont venues les langues romandes. En bouquet. Que quelque chose puisse venir du hip-hop paraît plus que douteux.
Parole
A Malaga au mois de novembre nous sympathisons dans un restaurant de poisson avec un homme d’affaires à la retraite. Il est Français, volubile, intelligent, péremptoire, rieur. A son habitude, Gala propose de se revoir. Le lendemain nous sortons, les bouteilles défilent, la conversation dure. Nous écoutons plus que nous parlons, l’homme ayant une présence affirmée. Peu importe, il en sait long et j’apprends. Au moment de la séparation, promesse est faite de se revoir. Plutôt que de rester dans le vague (nous sommes les uns et les autres à 1500 km de notre domicile), l’homme suggère une date, confirme qu’il appellera. Sceptique, je pense: nous ne le reverrons pas.
- Toi alors, toujours à généraliser, dit Gala.
A deux heures du matin, le téléphone sonne. Sa femme. Elle demande où il est passé. Gala explique que nous venons de le quitter. C’est faux. Nous l’avons quitté devant son immeuble vers minuit. La date prévue pour la rencontre en Suisse passe. Je laisse passer. Entre temps, et pour d’autres motifs, Gala répète: cesse de généraliser! Je lui fais remarquer que l’an dernier, à Dortmund, lorsque je me suis retrouvé de nuit, déjà passablement ivre, dans ce bar fermé au public en compagnie d’un petit groupe de buveurs, des habitués, à descendre de la bière et de la liqueur, et que me levant après trois bonnes heures de mon tabouret pour rentrer, deux de mes interlocuteurs ont annoncé qu’ils souhaitaient se revoir. Or, l’un s’est présenté à mon hôtel, avant même que nous ayons dessaoulé, le lendemain matin, l’autre m’a écrit comme il avait promis de le faire. Quant au Français de Malaga, plus de nouvelles, ce qui pour moi est réductible à la généralisation, en France dire c’est faire et pour Gala, relève vraisemblablement d’un incident tragique voire de l’enquête policière sur la disparition d’un homme: a‑t-il succombé à une crise cardiaque? a‑t-il été enlevé?