Aujourd’hui servi par des hommes faibles, des amants de la vie dégénérée, le pouvoir propose au peuple, pour le sauver de l’angoisse et rassembler ses voix, une fausse guerre. L’envoi de machines à l’autre bout du monde pour battre des guerriers primitifs non seulement ne soulagera rien, mais excitera par des victoires faciles, jusqu’à la témérité, un courage absent. L’adhésion ainsi acquise au principe de la guerre permet d’exercer une ascendant psychologique sur des citoyens dupes afin de les enrôler à terme dans la seule bataille qui intéresse le pouvoir : celle qui vainc l’angoisse par la destruction des corps où elle est logée.
Mois : septembre 2013
Morges
Invité à Morges pour y présenter mes livres, je m’inquiète de savoir si H. sera présent. Et s’il devait occuper une table voisine? Je ne le connais pas et ne veux pas le connaître, car il me faudrait lui dire ce que je pense, et le dire sans détours, toute retenue équivalent à de l’hypocrisie. Le vexer n’est pas dans mon intention. Plus grave, il mettrait mon jugement littéraire sur le compte de la jalousie. Une réaction soutenu par l’avis général: nous avons enfin, en Suisse, un écrivain à succès.
Notes
Eonnante confession — j’utilise à dessein ce terme inapproprié — de Calaferte à propos de la prise de notes. Elle traduit le mystère dont il entoure par mesure d’enchantement des actes qui apparaîtraient moins secrets et ne s’en trouveraient pas dévalorisés s’il les donnait dans leur état naturel. Trait de caractère qui me rappelle certains livres de René Guénon, ou encore ce récit frustrant et boursouflé de Hermann Hesse, Le voyage en Orient, même si, dans le fond, je partage l’idée que le travail, incessant auquel contraint l’annotation (qu’on écrive ou pas), crée une tension d’esprit propre à modifier le rapport au monde.
“La joie que je retire à prendre ces notes à son secret, que je me garderai de dévoiler; que quelques autres rares écrivains, qu’on identifie comme entre initiés, ont dû connaître avant moi, que d’autres à venir connaîtront. S’il était révélé, sans doute serait-il dévalorisé par cette passion qu’a l’homme de notre temps d’être sans cesse dans son rôle utilitaire.”
Désordre
Gala avoue son découragement. Je ne supporte plus cette instabilité. Je sais. Olofso me l’avait déjà dit. V. y avait trouvé une raison pour ne pas emménager. Je regarde Gala et rit, je la vexe. Car c’est mon état habituel. Hélas, je suis indemne. Désordre, instabilité, je les vois et les sens, mais ils demeurent extérieurs. Je fais rempart, les tiens à distance. Il me suffit de regarder dans la rue pour être renvoyé à moi-même. Autour de ce noyau de convictions, peu importe le dérordre. L’organisation des mois à venir, sans parler des années, me laisserait indifférent n’était-ce mon devoir de père. Ce serait plutôt un objet de spéculation. D’ailleurs, jouer avec les possibilités, les placer au hasard des envies sur la ligne du temps, avec tout le sérieux de celui qui se donne la liberté d’agir, pourquoi s’en priver? Quant au rôle d’époux, je n’en tiens pas compte. D’un adulte j’attends la même certitude et la même spéculation opposés au désastre du quotidien.
Vertiges
Contre la mal, j’ai recours à l’excès. Hier dans la nuit, je suis pris de vertiges. Le sol se dérobe, les parois flottent. Je me couche. Le matin, le mal est inchangé. Je vaque. Assis, les vertiges s’estompent, mais que j’avance la tête, lève les yeux, me tourne, il est là. Je monte et descends les escaliers, pour me rassurer, j’émets des hypothèses. Tout effort est déconseillé. Que je me souvienne, il y a deux ans, même affecftion. A l’aube, seul dans la maison, à Lhôpital, je regardais tourner l’horloge et me demandais si conduire les enfants à leur école, sur soixante kilomètres, dans la nuit, ne serait pas dangereux. Tout à l’heure, je suis allé boxé. J’ai sauté, couru, donné et reçu des coups. Aussitôt les vertiges ont reculé A moins qu’il ne s’agisse d’une illusion. J’ai ajouté au régime trois litres de bière. Ils ont reculé. J’ai peu dormi. Ils ont presque disparu. Se soigner par l’excès, jusqu’au jour du soin définitif, qui est la mort.