D’où les gens tirent-ils toutes ces connaissances qu’ils ne savent pas?
Mois : septembre 2013
Parents
Au salon du livre de Morges, M. vient à ma rencontre.
- Mes parents sont morts. D’abord mon père, puis ma mère. Une période difficile.
- Et tu as dû débarrasser leur appartement de Lyon.
Elle me regarde sidérée.
- Comment le sais-tu?
J’ai vu les parents de M. une fois, il y a trois ans. Les gens partent de l’idée que vous n’écoutez pas.
White
L’honnête Nicolas Bouvier, le faiseur Kenneth White. Je les ai entendu de pair, lors d’une lecture donnée à la salle communale des Eaux-Vives en 1990. Bouvier, fatigué, bientôt mort, lisait avec attention un texte sobre et juste. White, intelligent, se tenait. Mais quelques années plus tard, lorsque je l’ai revu dans les bureaux de Métropolis à Champel, il était devenu un homme qui se donne en spectacle, qui existe à travers son public, qui rit de ses propres facéties, comportement d’ailleurs répandu chez les anglo-saxons.
Errants
Certains des couloirs de l’usine désaffectée où nous vivions étaient fréquentés par des dégénérés. J’en repérais deux. L’un, coiffé d’un bonnet de laine difforme, la mine épatée, pataugeait dans des baskets sans lacets, paraissait aphone. La police l’utilisait pour obtenir des renseignements sur les réseaux de squatters : on l’apercevait auprès des inspecteurs les jours d’évacuation. L’autre, exalté, dithyrambique, fou, semblait habité des démons. Il s’exprimait en français avec un accent allemand, mais trop vite et avec trop d’énergie pour ne pas laisser deviner un état modifié. Avec quelques clochards, la plupart jeunes, ils erraient dans la ville et dans l’usine. Lorsqu’ils étaient par trop désœuvrés, ils ‘enculaient les uns les autres.
Protection
Au guichet de la bibliothèque cantonale, comme je rapporte une livre fait pour durer (du moins je le souhaite et l’espère, Pascal Quignard, Les Désarçonnés), je m’aperçois que j’ai corné les pages. Discrètement, tandis que l’employé vérifie ma carte de lecteur, je lisse. Le volume est neuf. Je l’ai tenu sur moi quelques jours, l’ai manipulé sans excès. Or il a vieilli. Je me souviens que l’une des tâches qui m’étaient confiées au titre du travail des étudiants consistait à plastifier les livres du département de philosophie. Il semblerait que l’on choisit désormais de jeter et de remplacer.
Acablar
Acablar, que j’écris ces jours à Domeren, deux mil mètres, sous tente et sous la pluie. Même technique de composition qu’ Ogrorog mais sans le fil conducteur, trop évident, du voyage — plutôt, du déplacement. Ainsi, j’aurais souvent à passer par le chas de l’aiguille pour que tiennent ensemble des notes disparates. Dans l’immédiat, elles s’attachent à la nature et à l’histoire des idées, mais il va en venir d’autres et alors il faudra beaucoup de fil.