Envie de m’occuper d’animaux de ferme puis de m’asseoir dans un fauteuil, à l’air libre, pour regarder la journée finir.
Mois : août 2013
Orage
L’orage menace lorsque nous enfourchons les vélos pour nous rendre à l’Augustiner Keller. Au passage, les fenêtres de l’Université éclatent. Le verre se brise sur la chaussée. Les piétons courent, les parapluies flambent. Des gouttes s’écrasent sur nos épaules. Au Biergarten, nous rejoignons des buveurs serrés sous un parasol. D’autres, ivres ou fatalistes, boivent à découvert. Les serveurs, et certains clients, portent la culotte de cuir à bretelles et la chemise à carreaux rouges. Au menu de la bière, avec cette mise en garde: nous ne servons en verre d’un demi-litre que de 9h00 à 17h00. En effet, tout le monde boit son litre. Derrière moi, une adolescent à peine plus âgé qu’Aplo trinque avec son grand-père, à mon côté un viellard.
- Savez-vous son âge? Il a 85 ans.
Nous buvons notre premier verre et la pluie se déchaîne. Gala veut visiter les salles. Elle me laisse sous le parasol. L’allemand parlé à Munich est difficile. Il est vrai que je ne fais pas grand effort.
- C’est votre femme? demande le vieillard.
- Oui.
- Comment?
- Oui, c’est ma femme.
Il réfléchit. Regard fixe, lent. Boit. Se penche vers son ami. L’ami plus jeune :
- Il a toujours eu des femmes qui avaient 40 ans de moins que lui.
Le vieillard approuve.
- Au minimum!
Puis l’orage redouble et nous gagnons les salles à boire. Dans la plus grande, quatre cent personnes et autant de chopes. Une famille installée dans un tonneau, des compagnons sur la scène, devant des fresques champêtres, dans les couloirs, les escaliers, les cuisines, les salles, partout un fracas étourdissant. Les serveuses en jupe verte et rouge courent. Elles portent quatre chopes dans chaque main. Gala empoigne un bretzel de la taille d’un volant de tracteur.
Englisher Garten
Englisher Garten à vélo. Parc agencé avec soin, mais sans excès. Un des plus vastes que j’aie vu au centre d’une ville européenne. Sentiment de sérénité. Aucun rapport avec ces tristes rues de l’ancien bloc de l’est, Budapest, Zagreb… Je me trompais. Ma première impression était due à la traversée d’une banlieue sans charme proche de la bretelle d’autoroute pour Dessau. Des oies par dizaines se dandinent aux abords du lac, plus loin des gosses jouent nus dans un ruisseau d’eau claire. Vers l’université, des étudiants sous les saules. Nous émergeons sur la place de l’Odéon. Au marché, éventaires magnifiques, monceaux de charcuterie, étalages de fruits, meules de fromage, et entre les marchands, des tables où boire et manger des bretzels. Ensuite, promenade dans les rues commerçantes. Ici comme ailleurs les enseignes planétaires ont colonisé. Je regarde les façades, les gens, mais comment éviter les Gap, Esprit, H&M, Zara? Dans la cathédrale, fortes colonnes le long de la nef, toit à des hauteurs vertigineuses, murs blancs, et dans les chapelles, des tableaux. Le tout sans grand effet. Ambiance peu spirituelle. En revanche, maçonnées contre la façade extérieure, les pierres tombales d’un ancien cimetière. Inscriptions en latin et gothique, sculptures de vanités. Nous mangeons de la saucisse devant le Dom. A la pause, les ouvriers descendent des échafaudages et commandent des canettes d’un litre. Parmi eux, un vietnamien. Il boit comme les autres. Gala est ravie
- Je ne voulais pas d’autre cadeau d’anniversaire.
Routes
Routes étroites, encombrées, semée de panneaux, coupées de chantiers. Cinq cent kilomètres par Saint-Gall, la frontière autrichienne, Bregenz et Memmingen. Je n’aime pas la voiture. Ni conduire. D’ailleurs, conduire, on ne peut pas. Acheter une voiture, y mettre de l’essence, acquitter des impôts, payer des amendes, des frais d’entretien, prendre une vignette (dans ce cas-là, deux), mais pas conduire, rouler. L’histoire littéraire, particulièrement américaine, fait place belle à la voiture. Le mythe a vécu. Dans son roman Comme le temps passe… publié en 1937, Brasillach raconte un voyage en voiture dans les alentours de Paris. Aucun lecteur naïf n’irait imaginer qu’il relate ce qu’il voit. Trente ans plus tard, les grandes traversées est-ouest des Beats. Une liberté exaltée, dont il y aurait beaucoup à dire. Il y a deux ans j’ai roulé dans l’Utah. Le cinéma hollywoodien est à vocation thérapeutique. Aux Etats-unis, l’automobiliste est aujourd’hui traité comme un handicapé. Ma seule expérience d’espace ( je ne dis pas liberté) à bord d’une voiture remonte à une visite de Cuba en 1990. Sur l’autoroute, je klaxonnais pour que se lèvent les pique-niqueurs installés sur la piste.
Au milieu de l’après-midi, nous atteignons Munich. Sans plan, difficile de trouver l’hôtel. Gala se penche à la fenêtre, parle aux piétons. Ce sont des touristes. Nous contournons le Musée des Beaux-arts, débouchons sur Leopoldstrasse. Sentiment d’avoir sous les yeux une ville de l’est. Coloration des trams, façades droites et claires, avenues dégagées, sans apparat. A l’hôtel la réceptionniste m’indique un parking en sous-sol. J’entends le mot “lift”, n’y prête pas attention. Une fois la voiture acheminée en sous-sol, je vois ce que c’est: des rails de métal pentus fixés contre le mur. Il s’agit d’y faire monter la voiture, de bloquer le frein à main et de sauter à terre. Un système plus poussé consiste à superposer deux voitures. Dans ce cas, une fois la voiture en place, on appuie sur un bouton qui la fait remonter de sorte que le suivant puisse glisser la sienne en partie basse. Avec cette conséquence: voulant un jour récupérer ma voiture dans un parking que je louais à Genève, une autre voiture dont le frein n’était pas bloquée m’est passée sous le nez. Nous voici donc Gala et moi dans un parking souterrain de Schwabing. Je renonce. Voilà ce que je dis. Mieux vaut payer une amende en surface que risquer l’accident. J’essaie de reculer. Difficile. Je persévère. En un dizaine de manœuvres je tourne la voiture. Je gravis la rampe de sortie. Rideau de fer abaissé. Je croise un turc dans les souterrains. Il ne sait pas. A la réception, on me tend une carte magnétique.
- Vous avez trouvé une alternative?
Le prisonnier
Croisé le prisonnier au bas de l’immeuble. Soit qu’il ait changé de coupe de cheveux soit qu’il soit méconnaissable, je ne le reconnais pas. Il se dirige sur moi, j’écarquille les yeux :
- Zut. le prisonnier!
Jovial mais quelque peu suppliant, il prend ma main, la serre, l’agite.
- Quand boit-on un café?
- Vous m’aviez donné votre numéro de téléphone?
- Allons‑y maintenant!
- Vous ne m’aviez pas donné votre numéro?
- Non.
- Je pars à Munich dans un quart d’heure.
- Comment faire?
- Eh bien, glisser votre numéro dans ma boîte à lettres, juste là.
Au retour de Munich, j’ouvre la boîte. Entre les publicités, du courrier. Je jette le tout.
Dialogue
Dialogue entre représentants de la Libre pensée quant aux rapports entre arianisme et islam. L’histoire des religions dénouerait bien des passions inutiles. Reste, le retour du religieux est une calamité. Malraux, qui à mon sens était plus calculateur que clairvoyant, a vu juste lorsqu’il prophétisait une siècle spirituel. Mais à quel forme d’esprit a‑t-on affaire? Un enrôlement des égarés sous des bannières?
Banalité
Banalité considérable dont on s’étonne qu’elle puisse demeurer obscure au commun et soit niée par les intellectuels. Le capitalisme n’a qu’une visée, l’argent. Faute de poursuivre son programme au moyen de la guerre dans les ensembles démocratiques, il a judicieusement compris qu’il pouvait instrumentaliser au nom des Droits de l’homme une gauche en déshérence depuis la fin des blocs afin d’accélérer la destruction de la culture en ouvrant nos territoires à des population illettrées dont l’idéal est l’esclavage économique.
Je me demande
Je me demande si les obsessions du père, d’abord rejetées, rejetées parce que connues à l’envi, comme autant d’expressions assommantes du pouvoir, ne deviennent pas, à mi-course, je veux dire à l’âge mûr, une position reprise simplement parce que, une fois jaugé par réflexion tout ce qui est donné et dit, parmi les positions figées, ces obsessions n’apparaissent pas plus absurdes que les autres et plus avant, au moment du choix, en raison d’une certaine familiarité musicale, prennent le pas sur leurs concurrentes.