Orage

L’or­age men­ace lorsque nous enfour­chons les vélos pour nous ren­dre à l’Au­gustin­er Keller. Au pas­sage, les fenêtres de l’U­ni­ver­sité écla­tent. Le verre se brise sur la chaussée. Les pié­tons courent, les para­pluies flam­bent. Des gouttes s’écrasent sur nos épaules. Au Bier­garten, nous rejoignons des buveurs ser­rés sous un para­sol. D’autres, ivres ou fatal­istes, boivent à décou­vert. Les serveurs, et cer­tains clients, por­tent la culotte de cuir à bretelles et la chemise à car­reaux rouges. Au menu de la bière, avec cette mise en garde: nous ne ser­vons en verre d’un demi-litre que de 9h00 à 17h00. En effet, tout le monde boit son litre. Der­rière moi, une ado­les­cent à peine plus âgé qu’Ap­lo trinque avec son grand-père, à mon côté un viel­lard.
- Savez-vous son âge? Il a 85 ans.
Nous buvons notre pre­mier verre et la pluie se déchaîne. Gala veut vis­iter les salles. Elle me laisse sous le para­sol. L’alle­mand par­lé à Munich est dif­fi­cile. Il est vrai que je ne fais pas grand effort.
- C’est votre femme? demande le vieil­lard.
- Oui.
- Com­ment?
- Oui, c’est ma femme.
Il réflé­chit. Regard fixe, lent. Boit. Se penche vers son ami. L’a­mi plus jeune :
- Il a tou­jours eu des femmes qui avaient 40 ans de moins que lui.
Le vieil­lard approu­ve.
- Au min­i­mum!
Puis l’or­age redou­ble et nous gagnons les salles à boire. Dans la plus grande, qua­tre cent per­son­nes et autant de chopes. Une famille instal­lée dans un ton­neau, des com­pagnons sur la scène, devant des fresques cham­pêtres, dans les couloirs, les escaliers, les cuisines, les salles, partout un fra­cas étour­dis­sant. Les serveuses en jupe verte et rouge courent. Elles por­tent qua­tre chopes dans chaque main. Gala empoigne un bret­zel de la taille d’un volant de tracteur.