Mois : juillet 2013

Devenir le maître d’un animal

Devenir le maître d’un ani­mal domes­tique. Que cherche-t-on à se prou­ver qui ne l’est déjà? Enfant, j’avais, comme ont les enfants, une affec­tion enchan­tée pour le berg­er alle­mand que mes par­ents m’avaient don­né. Puis un jour que j’é­tais en vacances en Suisse, de bon matin ma grand-mère décroche le télé­phone. J’en­tends par­ler à mi-voix. Pronon­cé en français dans une con­ver­sa­tion en bernois, le mot “mort”. Ain­si dis­tin­gué il atteint mon oreille de dormeur à cette époque déjà sen­si­ble au moin­dre bruit. Je me sou­viens d’avoir aus­sitôt pen­sé: papa est mort. Au petit-déje­uner, ma grand-mère ne dit rien. Je bois le café au lait, je mange le Gruyères, j’at­tends. Quand j’ai fini, elle  par­le.
- Il est arrivé quelque chose à Ulysse.
Que je me sou­vi­enne cela ne m’a pas autrement affec­té. Certes, j’ai regret­té pour le chien que celui-ci soit mort en tant que chien, mais j’avais, et j’ai tou­jours dans l’idée, qu’il s’ag­it d’un règne dif­férent, sans mesure com­mune, présen­té comme tel du fait de l’empathie absurde de quelques hommes qui faute de trou­ver une récep­tion humaine à leurs sen­ti­ments les dépla­cent dans une bête dont ils font une par­tie d’eux-mêmes.

La noblesse d’esprit

La noblesse d’e­sprit; ce que le siè­cle précé­dent à ban­ni dans les faits et qui bien­tôt devait oblig­er le résis­tant à s’in­car­n­er dans la fig­ure du héros, le XXI ème siè­cle  l’in­ter­dit au nom de l’é­gal­i­tarisme et con­damne les meilleurs à l’ignominie.

La constance

La con­stance, étrange qual­ité qui dénote l’obéis­sance, l’im­bé­cil­lité ou le volon­tarisme. Dans le pre­mier cas le fidèle s’ac­com­plit en Dieu et s’épuise en tant que créa­ture ou se sac­ri­fie à une principe supérieur, en général poli­tique. Dans le sec­ond la nature informe et pour­voit. Pour le volon­tariste, c’est un peu la théorie de la grâce protes­tante: faute d’y attein­dre, on se déter­mine de façon arbi­traire et on tient le cap.

Alexandertplatz

Alexan­dert­platz; nous étions tan­tôt au pied de l’Hô­tel de ville de Berlin-est. Les fonc­tion­naires de l’Alle­magne démoc­ra­tique de Honeck­er croisent-ils dans la ville réu­nifiée leurs anciens admin­istrés? Les arresta­tions, vex­a­tions, pour­suites sont-elles par­don­nées? Le sen­ti­ment de la lib­erté recon­quise a d’abord dû favoris­er l’ou­bli de la dette, mais ensuite, au moment de l’oblig­a­toire et coû­teuse instal­la­tion dans le réel? Pré­ten­dre que les cir­con­stances expliquent les com­porte­ments est une lâcheté. Elles ne les expliquent ni les ne les jus­ti­fient. J’in­cline plutôt à croire que les car­ac­tères néfastes trou­vent à s’ex­primer lorsque les cir­con­stances his­toriques leur four­nissent un cadre légal. Or si les car­ac­tères sont pérennes, il y a dans la foule qui m’en­toure des hommes et des femmes qui n’hésit­eraient pas à se met­tre dans l’in­stant au ser­vice d’une nou­velle entre­prise. Car­ac­tères dor­mants qu’un meneur habile pour­rait éveiller. Inquié­tante alchimie qui plaide en faveur d’une his­toire cyclique.

Alain Veinstein

D’après Etan, Alain Vein­stein aurait dit à Peter Stamm qu’il comp­tait de radio par­mi les qua­tre écrivains qu’il avait eu le plus de plaisir à recevoir dans son émis­sion les Nuits mag­né­tiques. J’aime Vein­stein, sa justesse de ton, son tal­ent cri­tique, ses cir­con­lo­cu­tions, j’achète Agnès de Peter Stamm. Petit roman, mal traduit, dont le seul mérite est de paraître racon­ter une his­toire vraie. Absence de style, de pro­fondeur, de recherche, texte sans poids. Ecri­t­ure en mode mineur qui agace. Naïveté de la phrase qui con­fine à la pose. Et si Vein­stein avait voulu dire qu’il rêvait d’écrire un ain­si, lui chez qui une intel­li­gence exces­sive con­damne toute ten­ta­tive romanesque?

Parce qu’elle est orpheline

Parce qu’elle est orphe­line l’Amérique a réus­si ce tour de force de nous couper de notre héritage. Ce que je peine à com­pren­dre c’est pour quoi les Juifs, peu­ple du Livre et de la trans­mis­sion, a mis Hol­ly­wood au ser­vice de cette machine de guerre.

Plaisantes habitudes

Plaisantes habi­tudes du quarti­er de Pren­zlauer­berg; les habi­tants qui vivent autour du Wasser­turm park descen­dent sur le trot­toir fau­teuils et livres, enfants et braseros, et pen­dant des heures dis­cu­tent, man­gent, som­no­lent. Le temps le per­met — 35 degrés — et l’hiv­er sera rude. Ambiance bon enfant garantie  par une homogénéité sociale que je n’avais con­statée nulle part en Europe, sauf quand elle n’ex­iste par défaut, comme en Espagne, où, tout le monde, et avec joie, se ressem­ble. Dans le car­ré de terre où sont plan­tés les arbres munic­i­paux, les voisins jar­di­nent et l’on trou­ve pêle-mêle chardons, mar­guerites, frais­es, fougères et tomates-cerises.

Repas indien

Repas indi­en sur une ter­rasse de la rue Koll­witz. Cour­toisie jouée des serveurs qui en ce mois de juil­let attirent le cha­land, mais aus­si trait de car­ac­tère de l’im­mi­gré qui insiste sur sa cor­rec­tion et ses bonnes mœurs afin d’échap­per au statut servile auquel, de son point vue, le rabaisse le pays d’accueil.

Le couple

Le cou­ple dont nous ne con­nais­sons les vis­ages que par les pho­togra­phies qui décorent les murs de l’ap­parte­ment a posé sur la table de la cui­sine une bouteille de vin, des limon­ades, des fruits secs, des chips. Avant de par­tir pour Lhôpi­tal, il a envoyé une page de con­seils sur Berlin. A pro­pos de Pren­zlauer­berg Paul écrit, cet ancien quarti­er de Berlin-est est aus­si un peu notre his­toire puisque Fran­ka et moi sommes nés à l’est. Nous vivons ain­si dans deux apparte­ments tra­ver­sants que relie un escalier de bois. Au niveau supérieur, la cham­bre à couch­er ouvre sur une ter­rasse qui sup­porte un arbre. De là, on domine des cours intérieures rem­plies de vélos. D’autres jardins sont amé­nagés sur les avant-toits. Les habi­tants sor­tent des chais­es longues par les fenêtres et paressent dans l’om­bre. Au milieu du quadri­latère que forme la réu­nion des qua­tre bâti­ments un mar­ronnier de trente mètres monte au ciel.

Les commentaires manquent

Les com­men­taires man­quent, ou du moins je ne les con­nais pas, qui jus­ti­fient le nom de pein­ture méta­physique attribué par la cri­tique (a qui rien ne peut échap­per) à l’œuvre de Gior­gio de Chiri­co pre­mière façon et je le soupçonne d’avoir chang­er d’esthé­tique par sim­ple provo­ca­tion envers le  monde savant. Mais si le jeu pseu­do-archi­tec­tur­al des colon­nades grec­ques, les stat­ues célébrant le vide et les têtes brisées expliquent l’emploi imagé de l’ép­ithète méta­physique il trou­ve pour moi son appli­ca­tion idoine au moment de décrire l’am­biance qui fond sur les vil­lages de la Manche espag­nole après le repas de la mi-journée (vers 16h00), lorsque les mangeurs engour­dis de som­meil se retirent, que le soleil brûle des rues aux per­spec­tives élar­gies et qu’il suf­fit de bat­tre le pavé sur un ou deux kilo­mètres pour aboutir au pied d’une colline que coiffe un moulin. Une image d’Epinal. Oui, mais aus­si l’ex­péri­ence d’étés anciens à Valde­pe­nas, Soria, Mas­caraque, Majada­hon­da ou Avi­la lorsque mû par une vel­léité spir­ituelle, sorte de mise en scène volon­tariste du corps soli­taire, je me met­tais en marche par quar­ante degrés, et quit­tai la ville, bien­tôt récom­pen­sé, comme ce fut le cas en 1987, par la ren­con­tre d’un paria de la poésie, hélas quelque peu mal­mené des drogues, qui instinc­tive­ment pri­sait ces mêmes heures au tal­ent marginal.