Devenir le maître d’un animal domestique. Que cherche-t-on à se prouver qui ne l’est déjà? Enfant, j’avais, comme ont les enfants, une affection enchantée pour le berger allemand que mes parents m’avaient donné. Puis un jour que j’étais en vacances en Suisse, de bon matin ma grand-mère décroche le téléphone. J’entends parler à mi-voix. Prononcé en français dans une conversation en bernois, le mot “mort”. Ainsi distingué il atteint mon oreille de dormeur à cette époque déjà sensible au moindre bruit. Je me souviens d’avoir aussitôt pensé: papa est mort. Au petit-déjeuner, ma grand-mère ne dit rien. Je bois le café au lait, je mange le Gruyères, j’attends. Quand j’ai fini, elle parle.
- Il est arrivé quelque chose à Ulysse.
Que je me souvienne cela ne m’a pas autrement affecté. Certes, j’ai regretté pour le chien que celui-ci soit mort en tant que chien, mais j’avais, et j’ai toujours dans l’idée, qu’il s’agit d’un règne différent, sans mesure commune, présenté comme tel du fait de l’empathie absurde de quelques hommes qui faute de trouver une réception humaine à leurs sentiments les déplacent dans une bête dont ils font une partie d’eux-mêmes.
Mois : juillet 2013
Devenir le maître d’un animal
La constance
La constance, étrange qualité qui dénote l’obéissance, l’imbécillité ou le volontarisme. Dans le premier cas le fidèle s’accomplit en Dieu et s’épuise en tant que créature ou se sacrifie à une principe supérieur, en général politique. Dans le second la nature informe et pourvoit. Pour le volontariste, c’est un peu la théorie de la grâce protestante: faute d’y atteindre, on se détermine de façon arbitraire et on tient le cap.
Alexandertplatz
Alexandertplatz; nous étions tantôt au pied de l’Hôtel de ville de Berlin-est. Les fonctionnaires de l’Allemagne démocratique de Honecker croisent-ils dans la ville réunifiée leurs anciens administrés? Les arrestations, vexations, poursuites sont-elles pardonnées? Le sentiment de la liberté reconquise a d’abord dû favoriser l’oubli de la dette, mais ensuite, au moment de l’obligatoire et coûteuse installation dans le réel? Prétendre que les circonstances expliquent les comportements est une lâcheté. Elles ne les expliquent ni les ne les justifient. J’incline plutôt à croire que les caractères néfastes trouvent à s’exprimer lorsque les circonstances historiques leur fournissent un cadre légal. Or si les caractères sont pérennes, il y a dans la foule qui m’entoure des hommes et des femmes qui n’hésiteraient pas à se mettre dans l’instant au service d’une nouvelle entreprise. Caractères dormants qu’un meneur habile pourrait éveiller. Inquiétante alchimie qui plaide en faveur d’une histoire cyclique.
Alain Veinstein
D’après Etan, Alain Veinstein aurait dit à Peter Stamm qu’il comptait de radio parmi les quatre écrivains qu’il avait eu le plus de plaisir à recevoir dans son émission les Nuits magnétiques. J’aime Veinstein, sa justesse de ton, son talent critique, ses circonlocutions, j’achète Agnès de Peter Stamm. Petit roman, mal traduit, dont le seul mérite est de paraître raconter une histoire vraie. Absence de style, de profondeur, de recherche, texte sans poids. Ecriture en mode mineur qui agace. Naïveté de la phrase qui confine à la pose. Et si Veinstein avait voulu dire qu’il rêvait d’écrire un ainsi, lui chez qui une intelligence excessive condamne toute tentative romanesque?
Plaisantes habitudes
Plaisantes habitudes du quartier de Prenzlauerberg; les habitants qui vivent autour du Wasserturm park descendent sur le trottoir fauteuils et livres, enfants et braseros, et pendant des heures discutent, mangent, somnolent. Le temps le permet — 35 degrés — et l’hiver sera rude. Ambiance bon enfant garantie par une homogénéité sociale que je n’avais constatée nulle part en Europe, sauf quand elle n’existe par défaut, comme en Espagne, où, tout le monde, et avec joie, se ressemble. Dans le carré de terre où sont plantés les arbres municipaux, les voisins jardinent et l’on trouve pêle-mêle chardons, marguerites, fraises, fougères et tomates-cerises.
Repas indien
Repas indien sur une terrasse de la rue Kollwitz. Courtoisie jouée des serveurs qui en ce mois de juillet attirent le chaland, mais aussi trait de caractère de l’immigré qui insiste sur sa correction et ses bonnes mœurs afin d’échapper au statut servile auquel, de son point vue, le rabaisse le pays d’accueil.
Le couple
Le couple dont nous ne connaissons les visages que par les photographies qui décorent les murs de l’appartement a posé sur la table de la cuisine une bouteille de vin, des limonades, des fruits secs, des chips. Avant de partir pour Lhôpital, il a envoyé une page de conseils sur Berlin. A propos de Prenzlauerberg Paul écrit, cet ancien quartier de Berlin-est est aussi un peu notre histoire puisque Franka et moi sommes nés à l’est. Nous vivons ainsi dans deux appartements traversants que relie un escalier de bois. Au niveau supérieur, la chambre à coucher ouvre sur une terrasse qui supporte un arbre. De là, on domine des cours intérieures remplies de vélos. D’autres jardins sont aménagés sur les avant-toits. Les habitants sortent des chaises longues par les fenêtres et paressent dans l’ombre. Au milieu du quadrilatère que forme la réunion des quatre bâtiments un marronnier de trente mètres monte au ciel.
Les commentaires manquent
Les commentaires manquent, ou du moins je ne les connais pas, qui justifient le nom de peinture métaphysique attribué par la critique (a qui rien ne peut échapper) à l’œuvre de Giorgio de Chirico première façon et je le soupçonne d’avoir changer d’esthétique par simple provocation envers le monde savant. Mais si le jeu pseudo-architectural des colonnades grecques, les statues célébrant le vide et les têtes brisées expliquent l’emploi imagé de l’épithète métaphysique il trouve pour moi son application idoine au moment de décrire l’ambiance qui fond sur les villages de la Manche espagnole après le repas de la mi-journée (vers 16h00), lorsque les mangeurs engourdis de sommeil se retirent, que le soleil brûle des rues aux perspectives élargies et qu’il suffit de battre le pavé sur un ou deux kilomètres pour aboutir au pied d’une colline que coiffe un moulin. Une image d’Epinal. Oui, mais aussi l’expérience d’étés anciens à Valdepenas, Soria, Mascaraque, Majadahonda ou Avila lorsque mû par une velléité spirituelle, sorte de mise en scène volontariste du corps solitaire, je me mettais en marche par quarante degrés, et quittai la ville, bientôt récompensé, comme ce fut le cas en 1987, par la rencontre d’un paria de la poésie, hélas quelque peu malmené des drogues, qui instinctivement prisait ces mêmes heures au talent marginal.