Mois : juillet 2013

Un des complexes

Un des com­plex­es les plus dan­gereux inscrit dans la nature humaine, mais désor­mais manip­ulé, est celui qui con­siste, lorsqu’on se fait par soi-même une opin­ion, de juger de sa recev­abil­ité en cher­chant à savoir ce qu’en pensera l’en­tourage (et aujour­d’hui la “société”, réal­ité sans con­tenu) avant que de la dire.

Nous

- Nous sommes telle­ment heureux, dit Lore.
Je m’en réjouis. Pour elle, pour eux. Mais aus­si, cela m’effraie.

A l’héroïsme

A l’héroïsme du noble de la Renais­sance devant l’in­con­nu répond aujour­d’hui l’héroïsme de l’homme du quo­ti­di­en devant le trop connu.

Dans le Crépuscule des idoles

Dans le Cré­pus­cule des idol­es, Niet­zsche fustige la con­som­ma­tion immod­érée de bière des Alle­mands, sen­tence que je pen­sais rhé­torique ou liée à son état de mal­adie chronique quand bien même il me sou­vient qu’il don­nait pour motif l’amol­lisse­ment de l’e­sprit que provoque les excès d’al­cool, or, cir­cu­lant depuis 15 jours dans Berlin, je vois qu’il s’ag­it d’un con­stat : les Alle­mands boivent de la bière à toute heure et partout, mamans berçant des pous­settes une bouteille à la main, jeunes en bande, ouvri­ers à la pause, familles au parc.

Les marins du Victoria

Les marins du Vic­to­ria, l’un des vais­seaux de Mag­el­lan, cou­vrent de cadeaux le Pata­gon puis, s’av­isant que Charles Quint leur a ordon­né de ramen­er des spéci­mens à Séville, déci­dent de le cap­tur­er. Ils prof­i­tent de la con­fi­ance gag­née en trois jours pour lui charg­er les mains de col­ifichets et, au moment où il veut quit­ter le bord, lui passent un dernier jou­et autour des chevilles, des entrav­es. Duplic­ité de l’homme blanc qui le rend étranger à la morale supérieure qui, dans cette affaire, est du côté du sauvage: celui-ci, une fois accordée sa con­fi­ance, ne saurait la recon­sid­ér­er par intérêt.

Tel ami

Tel ami, fort, grand, et beau, et fort, qui mange, court, nage, organ­ise, tra­vaille, quit­té de sa femme, est soudain égaré comme un enfant, perd ses couleurs, sa joie, l’ap­pétit et le som­meil. A l’époque, Gala et moi avons un peu aidé, con­seil­lant et con­solant. Or un an plus tard, le voici accom­pa­g­né de la même femme, revenu à lui-même, solide, droit, jovial; phénomène certes con­nu dont j’ai eu à faire la douloureuse expéri­ence lors de la sépa­ra­tion avec Gala mais qui dans son aspect car­i­cat­ur­al (ici, parce que cet ami que je vois peu offre un pré­cip­ité de la sit­u­a­tion) ouvre sur la dimen­sion mys­térieuse de la rela­tion d’amour.

Entretenir la crise

Entretenir la crise par une parole incan­ta­toire prou­ve sa con­struc­tion et son util­ité. C’est un effon­drement bru­tal des pos­si­bil­ités qui est néces­saire et serait peut-être, passé le cortège des drames, libéra­toire — un ven­dre­di noir. Alors se recon­stituerait selon des alliances neuves un pro­jet, au lieu de quoi les tech­nocrates qui ont con­fisqué l’idée d’Eu­rope s’emploient à détru­ire le par­lemen­tarisme pour s’ar­roger en tant que ges­tion­naires une respon­s­abil­ité qu’ils n’ont ni la capac­ité ni le pou­voir d’honor­er, mais qui leur per­met de péren­nis­er leur sit­u­a­tion de minorité priv­ilégiée sur  un temps long car non-démoc­ra­tique. Une sit­u­a­tion déjà vécue tant de fois et qui précède les moments révolutionnaires.

Samedi de juillet

Same­di de juil­let au Volkspark de Friederichshain. Groupes nom­breux, épars dans l’herbe rase, allumant des feux, jouant de la musique, sportifs tapant dans des bal­lons, d’autres à la grimpe sur un rocher arti­fi­ciel qui, nous apprend L., se nomme un “blok”, et des adultes tour­nant à ski à roulettes sur l’an­neau de glisse, d’autres amoureux, d’autres endormis, cuvant, rêveurs. Ambiance inimag­in­able en Suisse où les règles, bien digérées, oblig­ent; en Espagne où le manque de fan­taisie et un reste de déco­rum catholique for­cent à la tenue; en France où la frus­tra­tion impose l’a­gres­siv­ité comme mode d’ex­is­tence. Aplo dépose le brasero qu’il a porté depuis l’ap­parte­ment, j’al­lume le char­bon, nous buvons de la bière, du vin blanc et rouge, et tard dans la nuit nous ren­trons en famille par Danzigstrasse. Aux portes des Stübe des étu­di­ants cherchent leur équili­bre, les trams jaunes filent éclairés de l’intérieur.

Agréable projet

Agréable pro­jet que je me pro­pose de réalis­er, si les fac­teurs extérieures le per­me­t­tent, dans le calme: regarder le spec­ta­cle social avec sym­pa­thie, pitié, dégoût et autant de dis­tance qu’il se peut, pré­par­er un plan d’é­vac­u­a­tion, écrire pour me représen­ter ce qui est vis­i­ble et que nul ne con­sent à voir, cela en me promet­tant, quand bien même s’ef­fon­dr­erait le minus­cule avan­tage financier qui me sert de via­tique pour réus­sir cette tra­ver­sée latérale, de ne pas revenir sur mes pas.

La presse

La presse a pour tâche de trans­met­tre à tra­vers mille faits divers et poli­tiques nar­rés dans un style télé­graphique exclu­ant la réflex­ion une infor­ma­tion: il ne se passe rien. Avec une con­séquence dou­ble: privé de saisie, l’e­sprit se délite, privé de guide, le corps s’en remet à l’impulsion.