Mois : juillet 2013

A quatre heures

A qua­tre heures du matin, éveil­lé par des coups de langue et mis en posi­tion de foutre. Elle par­le ensuite du soleil de minu­it et se rendort.

Au musée

Au musée de l’his­toire d’Alle­magne, sec­tion République de Weimar, une affiche élec­torale authen­tique: Votez Hitler, Liste no 1. Curieuse sen­sa­tion devant cette feuille de papi­er noir et rouge déchaî­nant des pas­sions dont l’His­toire n’a pas fini de tir­er les conséquences.

Trois fois

Trois fois en quelques semaines, venant de pein­tres et de pho­tographes, j’en­tends cet aveu résigné devant l’é­touf­fe­ment mer­can­tile dont ils se dis­ent les vic­times: la quan­tité des œuvres en cir­cu­la­tion con­damne toute vis­i­bil­ité, durée, per­fec­tion. Je fais observ­er que du fait de la pro­duc­tion musi­cale assistée par ordi­na­teur, l’œuvre musi­cale est la pre­mière vic­time de ces don­nées nou­velles et que la lit­téra­ture, bien qu’elle ne soit pas épargnée (voir l’orches­tra­tion des Ren­trées) n’est pas dans un état qui me pousse à résig­na­tion, bien au con­traire: un tel acharne­ment à détru­ire par la quan­tité pour­rait con­train­dre la lit­téra­ture à renouer avec une clan­des­tinité de bon aloi (même si cela témoigne, sur le plan général, d’un abat­te­ment des libertés.)

Pusillanimité

Pusil­la­nim­ité de cette organ­isatrice genevoise de lec­tures à qui, après demande, j’en­voie le recueil poé­tique d’un écrivain en vue d’une invi­ta­tion et qui, vraisem­blable­ment embar­rassée par un juge­ment esthé­tique défa­vor­able qu’elle ne veut ren­dre pub­lic, garde le silence. Ou n’a-t-elle tout bon­nement pas les moyens du juge­ment, émoulue comme elle est de l’un de ces par­cours en ate­lier où l’on élève des écrivains hors-sol à la façon des tomates industrielles?

Un homme

- C’est un homme adorable.
Ce qui veut dire, dans la bouche de cette femme, gen­til. Plus exacte­ment, qui me soulage de toutes les tâch­es que je ne veux pas faire en plus de celles que je ne fais pas. 

La littérature

La lit­téra­ture est — et doit demeur­er, sauf à dis­paraître — un out­il de recherche.

En soirée

En soirée, au cours d’un bref échange, afin d’établir ce qui m’op­pose aux ten­ants naïfs du “tout cul­turel”, ce Sésame, cette abom­i­na­tion dont les cer­cles d’ar­gent se ser­vent pour embri­gad­er les bonnes — mais faibles — volon­tés, je dis­tingue “cul­ture” et “art” et défi­nis la pre­mière: ensem­ble des con­nais­sances qui me per­me­t­tent de porter un regard enrichi sur le monde.

Effondrement

Effon­drement de la capac­ité lan­gag­ière. Lorsque la vérité ne peut plus être con­testée ni admise, elle ne peut plus être trou­vée et n’ex­iste plus que sous une forme figée : alors com­mence le règne de la vérité morte, laque­lle n’a qu’une fonc­tion, se soumet­tre les existences.

Sur la grève le ressac déposa des indi­vidus dont le plus gros, qui ne mesurait guère qu’une dix­ième par­tie de l’in­dex que l’indigène gar­di­en de l’île tendait dans sa direc­tion, déclara:
- Enlève-toi de là!
Le rire de l’indigène fit frémir les palmiers et se propagea jusqu’au vil­lage. Ses con­génères accou­rurent. L’un des intrus s’a­vança et dit:
- Nous venons manger, nous ne vous fer­ons pas de mal.
Les indigènes, casqués et armés, rirent plus fort. Une sec­onde après les indi­vidus n’é­taient plus sur la plage. la sec­onde suiv­ante, ils étaient de retour.

Etrange quartier

Etrange quarti­er de Pren­zlauer­berg. Pop­u­la­tion blanche, d’âge moyen, de cul­ture ferme, poli­tique­ment soudée (et qui veut croire à la démoc­ra­tie). Plus que de la tolérance, je ressens une atti­tude de pro­pa­gande par le com­porte­ment qui invite à la tolérance. Il con­vient d’y adjoin­dre une sur­veil­lance spon­tanée de tout indi­vidu dont les car­ac­térisi­tiques, mal définies, seraient de nature à bous­culer l’har­monie générale. Cet effort louable de préser­va­tion d’un ter­rain de jeux social est-il le fruit du trau­ma­tisme vécu sous le social­isme inté­gral ou une con­science con­stru­ite de l’his­toire récente de l’Alle­magne? Quoiqu’il en soit, la vie appa­raît ici meilleure, et par con­tre­coup, d’une émou­vante fragilité. A titre de com­para­i­son, la France des villes est plongée dans le chaos et pré­pare la guerre. Quant à Genève, ce n’est rien de plus qu’une sorte de zoo tenu par des gar­di­en frus­trés et agres­sifs. L. qui vit depuis dix ans à Kreuzberg (où des fémin­istes hys­tériques côtoient des turques en tchador), me dit:
- Pren­zlauer­berg! C’est un peu mono­cul­turel, tu ne trou­ves pas?