Le mari de Gala vient vendre des barbes postiches dans notre salon. Je me cache derrière la canapé. Je suis mal caché. C’est la nuit. Il avance une lampe-torche à la main. Il me trouve. Je l’étrangle puis arrache la tringle à rideau et le blesse à l’abdomen. Il tombe et saigne. J’éponge. Ne sais pas faire. L’annuaire, vite! Puis je ralentis: il va mourir si je ne trouve pas le numéro de l’ambulance mais c’est lui qui va mourir, pas moi. Puis je change d’avis et à nouveau je cherche vite, conformément à cette idée: une fois que j’aurais lancé l’appel, je ne pourrai plus rien pour lui, l’ambulance sera en route, l’affaire ne sera plus de ma responsabilité.
Mois : juillet 2013
Spectacle comique dont je suis la vedette.
Spectacle comique dont je suis la vedette. Assis en hauteur dans une chaise de rotin je tourne au-dessus du public de cirque. J’ignore si cela fait rire. D’ailleurs je ne me souviens plus de la suite de mon jeu. Je me penche. Têtes immobiles, en bas. Et si la chaise cédait? Et si je criais? Et si je me jetais dans le vide?
C’est parce qu’il n’y a rien à faire que j’agis sans relâche.
C’est parce qu’il n’y a rien à faire que j’agis sans relâche. La situation est à ce point que se débattre (en soi et contre soi, les lois ayant confisqué l’honneur) est le seul moyen de se sentir vivant, ceci au détriment de la poursuite intérieure qu’autoriserait une position morale accueillant une juste recherche du bonheur.
On sait par certains témoignages
On sait par certains témoignages, plus rarement par certains brusques renoncements, que parmi les hommes d’action les moins inintelligents quelques-uns ont eu conscience du fait que leur dynamisme d’expansion s’opposait à leur épanouissement intérieur. La question de la réintégration se pose alors dans son évidence psychologique et, au-delà, métaphysique. Nous n’obtenons pas ce que nous méritons, mais ce que nous sommes. Calaferte, Carnets V.
Avec cette nuance que la dernière phrase me semble rechercher la litote. Nous obtenons ce que nous méritons, et ce que nous avons mérité ne forme ni ne déforme ce que nous sommes mais s’y ajoute.
Au hasard d’une recherche
Au hasard d’une recherche sur internet je découvre que ma pièce L’homme qui attendait l’homme qui a inventé l’homme vient d’être donnée en Bretagne. Photographie de la troupe, résumé de l’action (il n’y en a pas, mais ce n’est pas ce que semble croire le metteur en scène). A Gala je demande son avis. N’est-ce pas extraordinaire? Un auteur inconnu est là, disponible, et nul ne se préoccupe de lui dire que son oeuvre intéresse. Gala m’incite à réclamer mes droits. Je hausse les épaules. Je ne pensais pas à l’argent. Et voilà qu’hier, la société perceptrice m’annonce un versement. Situation pour moi incompréhensible comme le fut, mais autrement choquante, le fait que cette fille que j’invitais à prendre un verre chez nous, en compagnie de Gala, il y a quelques six mois, assistant la semaine suivante au vernissage d’un de mes livres, ne me saluât pas.
Bloc
Bloc — dans la nuit fermée puis dans le matin orageux, mot qui s’impose à l’esprit. Je cherche ce que je peux en faire. Rien. L’idée de n’en rien pouvoir faire me ravit. Je peux devenir bloc. Morceau après morceau, me déposséder de moi-même pour m’inscrire dans cet état brutal affronté au temps telle les choses qui faute d’avoir la vie résistent.
Sur le quai de Genève
Sur le quai de Genève, nous attendons le train pour Fribourg. Aplo demande la permission d’aller acheter une boisson. Je consulte ma montre. Tu as 7 minutes. Il file. Trois minutes avant le départ, Luv et moi nous installons dans la rame. Quand le train s’ébranle, pas d’Aplo. J’appelle sur le portable. Il répond en larmes. Il n’a pas d’argent, il ne sait pas l’horaire. Je lui dis de se débrouiller. Il arrive à l’appartement avec une heure de retard. Un dame m’a donné de l’argent, dit-il. Je le fais asseoir devant un cahier. A droite il écrit ce qu’il s’est passé. A gauche ce qu’il aurait dû faire. J’apprends alors qu’il est montée à temps dans le train puis, ne nous trouvant pas, en est ressorti. Il écrit, j’étais en T‑shirt sur le quai et j’ai pleuré. A son âge, jamais je n’aurais consenti à avouer que j’avais pleuré. D’ailleurs — n’est-ce pas terrible? — je ne pleurais pas.