Les Berlinois annoncent arriver à Lhôpital ce vendredi, or j’ai constaté la semaine dernière que la maison n’a pas l’eau chaude. Trois cent soixante kilomètres aller-retour. Nous prenons la route. A l’approche de la frontière française, changement de conducteur. Gala prend le volant, je coiffe une casquette, je passe des lunettes à miroir. Sur place j’aurai dix minutes pour régler le problème. La veille, j’ai écrit en Belgique pour avoir des informations techniques, appelé la centrale en Suisse, téléchargé le mode d’emploi sur la tablette et recopié les contacts des dépanneurs de la région (dont il n’y a rien à attendre). Miracle, mes manipulations sur le clavier de commande électronique relancent aussitôt le brûleur. Je monte dans les étages, vérifie les lits, Gala nettoie le congélateur. Avant de quitter la maison, par acquis de conscience, je vérifie la marche de la chaudière: arrêtée. L’écran affiche: Défaut. Le miracle n’a pas eu lieu. J’allume la tablette, trouve le chapitre Dérangements. Premier conseil, relancer le brûleur. Option à écarter, c’est fait. Deuxième option: avez-vous vérifier l’état de votre cuve de fioul? Je me retourne: elle est vide. Alors toute la scène me vient en mémoire: Il y a quelques mois je l’ai vécue dans un rêve prémonitoire. Pas de cette façon évanescente qui fait la qualité particulière des prémonitions mais sous une forme durable qui me permet de dire à Gala: je sais exactement ce qui va se passer, j’ai déjà vécu la situation! Le citerne est vide, je commande du fioul, la livraison, échoue, je répète la commande, la livraison a lieu au début du séjour des Allemands. La chaudière ne redémarre pas. Les Allemands remontent sur Berlin trois jours après leur arrivée, nos vacances berlinoises avortent. Ou, ne voyant pas d’inconvénient à se doucher à l’eau froide pendant le séjour, ils restent. Cette dernière alternative limitant la dimension informative du rêve, ce qui m’oblige dès le lendemain, de retour à Fribourg, à prendre contact avec un livreur, qui — selon l’habitude française — peut peut-être, ou plutôt ne peut pas, mais… à moins que…
- Attendez, ne quittez pas!
Mois : juillet 2013
Les Berlinois
Serré la main tout à l’heure à l’homme fort de Fribourg.
Serré la main tout à l’heure à l’homme fort de Fribourg. Haut deux mètres, une poitrine en acier, blond a mâchoire carrée, des mains à saisir des ballons. En comparaison Richard Kiel, l’homme qui mord James Bond dans L’Espion qui m’aimait, a un gabarit de collégienne. Nous avons sympathisé à la première rencontre. Quand il se déhanchait pour cultiver ses abdominaux, je pensais: comment est-ce possible? A quoi peut ressembler sa maman? Dans les vestiaires du club il projette une ombre si lourde que la température baisse de quelques degrés. Tandis que nous échangeons quelques mots mon instinct de survie délivre une information: tant que tu l’auras de ton côté tu ne craindras rien. Or je remarque ceci tout-à-l’heure, ses yeux bleus, petits dans les orbites, sont timides et comme fuyants. Dans ce monde qui n’est pas à sa mesure, ils semblent chercher une solution de fuite.
Défilé
Défilé homosexuel dans les rues de Fribourg. Danseurs à demi-nus sur des camions qui rappellent le tour de montre des cirques en campagne. Le long des trottoirs, mélange grotesque des physiques et des tenues, des attitudes et des races, assemblés là par une sorte d’inquiétante inertie en attente d’une spectacle sans promesse. Je me réfugie chez le militaire qui tient boutique sous gare. Avec son accent yankee il m’entreprend sur les recommandations de Lucas.
- Tu vois, Lucas se jette à terre comme ça et si tu te mets dans une autre position, il te relève et te jette à terre, tu vois? Déjà quand j’étais Ranger…
- Qui est Lucas?
- Lucas? Je ne sais pas.
Tournée
Tournée de formation du nouvel employé. Un vieux monsieur portant bretelles sur son dos voûté nous apostrophe au sommet de la montée de Varis.
- C’est le tour de France!
- Et on vient d’arriver!
- Vous avez de beaux vélos. C’est cher! Moi, je ne peux plus me payer des choses aussi chères.
Etonnante remarque qui lie mécaniquement l’argent disponible au travail consenti.
Non seulement la violence n’offre pas de durable solution
Non seulement la violence n’offre pas de durable solution mais elle déchaîne des forces néfastes dont le roulement bouleverse sans limite paysage et destin. Pourtant lorsque le médiocre triomphe par esprit de système et que la dévaluation liquide notre quotidien la mise à l’écart — juste retournement de la violence — des plus cyniques est une tentation et peut-être une issue.
Couple ami
Couple ami qui demande ce que j’ai écrit ces derniers mois. Intérêt sympathique mais formel qui demande une réponse courte. Aussitôt évocation par les mêmes de ce roman primé en France et vanté par la presse publicitaire, dépourvu de tout art mais donné aux lecteurs crédibles comme un parangon de réussite. Tristes boîtes à écho.
Difficulté à trouver un jardinier pour mettre en ordre le jardin
Difficulté à trouver un jardinier pour mettre en ordre le jardin de Lhôpital avant la venue des Berlinois. Le voisin m’écrit que la commune a dépêché des ouvriers nettoyer les alentours de l’église, l’un d’entre eux serait près à débroussailler mon terrain pour cent euros. Ces ouvriers je les connais. Assignés aux travaux d’intérêt public ils sautent d’un pont de camion, baillent, fauchent, fument une cigarette et attendent la pause. L’an dernier, comme ils partent dîner, je leurs souhaite bon appétit et à tout à l’heure.
- Oh, non, c’est fini pour nous.
- Et l’herbe?
- Personne nous a dit de ramasser.
Considérant qu’il faut une heure pour débroussailler, 100 euros est une demande de salaire présidentiel, formulée j’imagine, comme font souvent ces gens-là lorsqu’ils ont affaire à un Suisse, à la manière d’un pari: s’il refuse, je suis quitte, s’il accepte, je saurai pourquoi je m’efforce.
Je refuse. Seulement le jardin doit être fait et si j’entreprends le travail moi-même le bruit des machines alertera le maire qui dénoncera ensuite ma présence à la gendarmerie.
J’appelle L‑M. Il demande un rendez-vous. J’explique que je suis en Espagne. Et d’ailleurs c’est inutile, lui dis-je, je t’explique à l’oral puis je t’envoie un mail. Il insiste. Rendez-vous sur le quai de la gare de Cornavin un dimanche. Vingt minutes d’explication. Mieux vaut que tu me mettes cela par écrit, me dit-il. De retour à Fribourg je lui adresse un plan de la propriété, un plan d’accès, une liste des travaux, je nomme les outils, informe mon voisin, calcule qu’il lui faudra à son rythme, qui n’est pas le mien, 13 heures et suggère de les répartir ainsi, demi-journée puis journée complète, il pourra passer la nuit sur place. L‑M annonce qu’il va emprunter une voiture. Annonce qu’il n’en trouve pas. Change la date. J’offrais Fr. 400.- pour que le travail soit fait dans les meilleurs délais, me voici contraint de maintenir l’offre pour une date ultérieure. Une semaine passe. L‑M annonce qu’il a trouvé une voiture. Le jour dit, pas d’appel. Ou plutôt si, à 21h00, pour me dire qu’il vient d’arriver dans la maison, qu’il fait nuit, qu’il a eu de la peine à trouver, qu’un accident s’est produit aux alentours de Coppet (il habite Genève, Lhôpital est en direction de Lyon). Le lendemain, il appelle.
- Je ne trouve pas… comment dit-on… le rateau et…las tijeras gandes.. mais… aalô?… je n’ai pas d’unités, tu peux me téléphoner?
Peu après, un message. STP, demande à ta femme de m’acheter une carte de téléphone. Gala se rendait sur place ce second jour des travaux, afin de veiller à leur bonne marche, or ceux-ci n’ont pas commencés et elle ne peut déplacer sa venue, elle prend le train pour la Côte d’Azur dans l’après-midi. Je l’embrasse, elle quitte Fribourg sans carte pour L‑M, descend à Genève, emprunte la voiture du bureau, fait route vers Lhôpital. Nouveau message de L‑M: je trouve pas de couteau.
J’écris à mon voisin qui travaille dans les souterrain des organisations internationales. C’est moi qui ai tes outils, répond-il. Je l’avais pourtant averti. Le soir le voisin de retour de Genève apporte les outils. Message de L‑M: c’est la jungla. Et m’avertit qu’il doit rendre la voiture à 17h00 à Genève. Avant de monter dans le TGV pour Nice, Gala me téléphone: c’est dans un état…! J’explique que si j’envoie un jardinier, le paie Fr. 400.- c’est que je sais de quel état est le jardin. Le lendemain je demande par mail à L‑M quand il compte retourner à Lhôpital. Il dit qu’il ne sait pas encore quand il sera disponible et demande une rallonge. Je refuse. Il m’explique alors qu’il est un homme consciencieux et que je connais sa capacité de travail: il finira. J’écris au voisin pour m’assurer qu’il déposera mes outils et lui demande de prêter sa tondeuse à L‑M. Le jour venu, le voisin m’envoie par mail des recommandations sur la façon de procéder au démarrage. Je transmets à L‑M. Puis plus de nouvelles. Deux jours plus tard, je demande au voisin si le travail a été fait. Il ne répond ni oui ni non. J’appelle L‑M : c’était dans un état… et me communique son numéro de compte.
- Tu lis mal, un numéro de compte de poste ne s’énumère pas ainsi.
Il recommence.
- Il doit y a voir des tirets entre les chiffres, regarde bien!
Il recommence.
Lorsque j’introduis le numéro de compte dans le système de paiement en ligne de la poste l’ordinateur me le refuse: le numéro est incorrect.
Le lendemain, ma mère m’emmène à Lhôpital. A l’approche de la maison je me couche sur la banquette arrière. Elle gare la voiture derrière la pile de bois. Je sors, sors la clef de sa cachette. Et découvre l’état du jardin. Acacias brulé, mauvaises herbes sur le seuil, noisetier pendant, rosiers en travers de la porte, puits mal dégagé. Et sur le plateau de cuisine, assiette a demi-lavée, casserole remplie d’eau trouble, outils en vrac, et le comble, la paire de gants de jardinage: l’un dans la véranda, l’autre dans l’herbe.
A Gimbrède
A Gimbrède, bonne humeur bravache du postier sur sa tournée. Alors, il va faire chaud! Et ce repas de la chasse? Comment ça va là-dedans? Jusqu’au jour où je souligne son caractère sympathique.
- Oh, me répond le voisin, il ne faut rien en croire! Son fils est mort en Thaïlande et tout ce qu’il a dit c’est: bien fait, il n’avait qu’à pas aller si loin!
De mon ami d’adolescence sa mère
De mon ami d’adolescence sa mère que je rencontrais un jour à la maison de la radio me dit, je crois qu’il a souffert lorsqu’il vivait à Bruxelles, d’ailleurs il a fini à la soupe populaire. Gala de même, à propos de son fils, m’expliquait, c’est quelqu’un de fragile, quelqu’un… Manière dans les deux cas de parler de son enfant comme d’un autre qui surprennent mais ont peut-être pour but de se prémunir contre l’impact émotionnel que susciterait l’évocation directe.