Mois : juillet 2013

Les Berlinois

Les Berli­nois annon­cent arriv­er à Lhôpi­tal ce ven­dre­di, or j’ai con­staté la semaine dernière que la mai­son n’a pas l’eau chaude. Trois cent soix­ante kilo­mètres aller-retour. Nous prenons la route. A l’ap­proche de la fron­tière française, change­ment de con­duc­teur. Gala prend le volant, je coiffe une cas­quette, je passe des lunettes à miroir. Sur place j’au­rai dix min­utes pour régler le prob­lème. La veille, j’ai écrit en Bel­gique pour avoir des infor­ma­tions tech­niques, appelé la cen­trale en Suisse, téléchargé le mode d’emploi sur la tablette et recopié les con­tacts des dépan­neurs de la région (dont il n’y a rien à atten­dre). Mir­a­cle, mes manip­u­la­tions sur le clavier de com­mande élec­tron­ique relan­cent aus­sitôt le brûleur. Je monte dans les étages, véri­fie les lits, Gala net­toie le con­géla­teur. Avant de quit­ter la mai­son, par acquis de con­science, je véri­fie la marche de la chaudière: arrêtée. L’écran affiche: Défaut. Le mir­a­cle n’a pas eu lieu. J’al­lume la tablette, trou­ve le chapitre Dérange­ments. Pre­mier con­seil, relancer le brûleur. Option à écarter, c’est fait. Deux­ième option: avez-vous véri­fi­er l’é­tat de votre cuve de fioul? Je me retourne: elle est vide. Alors toute la scène me vient en mémoire: Il y a quelques mois je l’ai vécue dans un rêve pré­moni­toire. Pas de cette façon évanes­cente qui fait la qual­ité par­ti­c­ulière des pré­mo­ni­tions mais sous une forme durable qui me per­met de dire à Gala: je sais exacte­ment ce qui va se pass­er, j’ai déjà vécu la sit­u­a­tion! Le citerne est vide, je com­mande du fioul, la livrai­son, échoue, je répète la com­mande, la livrai­son a lieu au début du séjour des Alle­mands. La chaudière ne redé­marre pas. Les Alle­mands remon­tent sur Berlin trois jours après leur arrivée, nos vacances berli­nois­es avor­tent. Ou, ne voy­ant pas d’in­con­vénient à se douch­er à l’eau froide pen­dant le séjour, ils restent. Cette dernière alter­na­tive lim­i­tant la dimen­sion infor­ma­tive du rêve, ce qui m’oblige dès le lende­main, de retour à Fri­bourg, à pren­dre con­tact avec un livreur, qui — selon l’habi­tude française — peut peut-être, ou plutôt ne peut pas, mais… à moins que…
- Atten­dez, ne quit­tez pas!

Serré la main tout à l’heure à l’homme fort de Fribourg.

Ser­ré la main tout à l’heure à l’homme fort de Fri­bourg. Haut deux mètres, une poitrine en aci­er, blond a mâchoire car­rée, des mains à saisir des bal­lons. En com­para­i­son Richard Kiel, l’homme qui mord James Bond dans L’Es­pi­on qui m’aimait, a un gabar­it de col­légi­en­ne. Nous avons sym­pa­thisé à la pre­mière ren­con­tre. Quand il se déhan­chait pour cul­tiv­er ses abdom­inaux, je pen­sais: com­ment est-ce pos­si­ble? A quoi peut ressem­bler sa maman?  Dans les ves­ti­aires du club il pro­jette une ombre si lourde que la tem­péra­ture baisse de quelques degrés. Tan­dis que nous échangeons quelques mots  mon instinct de survie délivre une infor­ma­tion: tant que tu l’auras de ton côté tu ne crain­dras rien. Or je remar­que ceci tout-à-l’heure, ses yeux bleus, petits dans les orbites, sont timides et comme fuyants. Dans ce monde qui n’est pas à sa mesure, ils sem­blent chercher une solu­tion de fuite. 

Défilé

Défilé homo­sex­uel dans les rues de Fri­bourg. Danseurs à demi-nus sur des camions qui rap­pel­lent le tour de mon­tre des cirques en cam­pagne. Le long des trot­toirs, mélange grotesque des physiques et des tenues, des atti­tudes et des races, assem­blés là par une sorte d’in­quié­tante iner­tie en attente d’une spec­ta­cle sans promesse. Je me réfugie chez le mil­i­taire qui tient bou­tique sous gare. Avec son accent yan­kee il m’en­tre­prend sur les recom­man­da­tions de Lucas.
- Tu vois, Lucas se jette à terre comme ça et si tu te mets dans une autre posi­tion, il te relève et te jette à terre, tu vois? Déjà quand j’é­tais Ranger…
- Qui est Lucas?
- Lucas? Je ne sais pas.

Comment ne pas s’apercevoir que le peuple béat

Com­ment ne pas s’apercevoir que le peu­ple béat qui s’é­gare dans les fes­tiv­ités qu’or­donne l’E­tat afin d’é­tour­dir et de capter le temps libre va bien­tôt être achem­iné vers l’abattoir?

Tournée

Tournée de for­ma­tion du nou­v­el employé. Un vieux mon­sieur por­tant bretelles sur son dos voûté nous apos­tro­phe au som­met de la mon­tée de Varis.
- C’est le tour de France!
- Et on vient d’ar­riv­er!
- Vous avez de beaux vélos. C’est cher! Moi, je ne peux plus me pay­er des choses aus­si chères.
Eton­nante remar­que qui lie mécanique­ment l’ar­gent disponible au tra­vail consenti.

Non seulement la violence n’offre pas de durable solution

Non seule­ment la vio­lence n’of­fre pas de durable solu­tion mais elle déchaîne des forces néfastes dont le roule­ment boule­verse sans lim­ite paysage et des­tin. Pour­tant lorsque le médiocre tri­om­phe par esprit de sys­tème et que la déval­u­a­tion liq­uide notre quo­ti­di­en la mise à l’é­cart —  juste retourne­ment de la vio­lence — des plus cyniques est une ten­ta­tion et peut-être une issue.

Couple ami

Cou­ple ami qui demande ce que j’ai écrit ces derniers mois. Intérêt sym­pa­thique mais formel qui demande une réponse courte. Aus­sitôt évo­ca­tion par les mêmes de ce roman primé en France et van­té par la presse pub­lic­i­taire, dépourvu de tout art mais don­né aux lecteurs crédi­bles comme un parangon de réus­site. Tristes boîtes à écho.

Difficulté à trouver un jardinier pour mettre en ordre le jardin

Dif­fi­culté à trou­ver un jar­dinier pour met­tre en ordre le jardin de Lhôpi­tal avant la venue des Berli­nois. Le voisin m’écrit que la com­mune  a dépêché des ouvri­ers net­toy­er les alen­tours de l’église, l’un d’en­tre eux serait près à débrous­sailler mon ter­rain pour cent euros. Ces ouvri­ers je les con­nais. Assignés aux travaux d’in­térêt pub­lic ils saut­ent d’un pont de camion, bail­lent, fauchent, fument une cig­a­rette et atten­dent  la pause. L’an dernier, comme ils par­tent dîn­er, je leurs souhaite bon appétit et à tout à l’heure.
- Oh, non, c’est fini pour nous.
- Et  l’herbe?
- Per­son­ne nous a dit de ramass­er.
Con­sid­érant qu’il faut  une heure pour débrous­sailler, 100 euros est une demande de salaire prési­den­tiel, for­mulée j’imag­ine, comme font sou­vent ces gens-là lorsqu’ils ont affaire à un Suisse, à la manière d’un pari: s’il refuse, je suis quitte, s’il accepte, je saurai pourquoi je m’ef­force.
Je refuse. Seule­ment le jardin doit être fait et si j’en­tre­prends le tra­vail moi-même le bruit des machines alert­era le maire qui dénon­cera ensuite ma présence à la gen­darmerie.
J’ap­pelle L‑M. Il demande un ren­dez-vous. J’ex­plique que je suis en Espagne. Et d’ailleurs c’est inutile, lui dis-je, je t’ex­plique à l’o­ral puis je t’en­voie un mail. Il insiste. Ren­dez-vous sur le quai de la gare de Cor­navin un dimanche. Vingt min­utes d’ex­pli­ca­tion. Mieux vaut que tu me mettes cela par écrit, me dit-il. De retour à Fri­bourg je lui adresse un plan de la pro­priété, un plan d’ac­cès, une liste des travaux, je nomme les out­ils, informe mon voisin, cal­cule qu’il lui fau­dra à son rythme, qui n’est pas le mien, 13 heures et sug­gère de les répar­tir ain­si, demi-journée puis journée com­plète, il pour­ra pass­er la nuit sur place. L‑M annonce qu’il va emprunter une voiture. Annonce qu’il n’en trou­ve pas. Change la date. J’of­frais Fr. 400.- pour que le tra­vail soit fait dans les meilleurs délais, me voici con­traint de main­tenir l’of­fre pour une date ultérieure. Une semaine passe. L‑M annonce qu’il a trou­vé une voiture. Le jour dit, pas d’ap­pel. Ou plutôt si, à 21h00, pour me dire qu’il vient d’ar­riv­er dans la mai­son, qu’il fait nuit, qu’il a eu de la peine à trou­ver, qu’un acci­dent s’est pro­duit aux alen­tours de Cop­pet (il habite Genève, Lhôpi­tal est en direc­tion de Lyon). Le lende­main, il appelle.
- Je ne trou­ve pas… com­ment dit-on… le rateau et…las tijeras gandes.. mais… aalô?… je n’ai pas d’u­nités, tu peux me télé­phon­er?
Peu après, un mes­sage. STP, demande à ta femme de m’a­cheter une carte de télé­phone. Gala se rendait sur place ce sec­ond jour des travaux, afin de veiller à leur bonne marche, or ceux-ci n’ont pas com­mencés et elle ne peut déplac­er sa venue, elle prend le train pour la Côte d’Azur dans l’après-midi. Je l’embrasse, elle quitte Fri­bourg sans carte pour L‑M, descend à Genève, emprunte la voiture du bureau, fait route vers Lhôpi­tal. Nou­veau mes­sage de L‑M: je trou­ve pas de couteau.
J’écris à mon voisin qui tra­vaille dans les souter­rain des organ­i­sa­tions inter­na­tionales. C’est moi qui ai tes out­ils, répond-il. Je l’avais pour­tant aver­ti. Le soir le voisin de retour de Genève apporte les out­ils. Mes­sage de L‑M: c’est la jungla. Et m’aver­tit qu’il doit ren­dre la voiture à 17h00 à Genève. Avant de mon­ter dans le TGV pour Nice, Gala me télé­phone: c’est dans un état…! J’ex­plique que si j’en­voie un jar­dinier, le paie Fr. 400.- c’est que je sais de quel état est le jardin. Le lende­main je demande par mail à L‑M quand il compte retourn­er à Lhôpi­tal. Il dit qu’il ne sait pas encore quand il sera disponible et demande une ral­longe. Je refuse. Il m’ex­plique alors qu’il est un homme con­scien­cieux et que je con­nais sa capac­ité de tra­vail: il fini­ra. J’écris au voisin pour m’as­sur­er qu’il déposera mes out­ils et lui demande de prêter sa ton­deuse à L‑M. Le jour venu, le voisin m’en­voie par mail des recom­man­da­tions sur la façon de procéder au démar­rage. Je trans­mets à L‑M. Puis plus de nou­velles. Deux jours plus tard, je demande au voisin si le tra­vail a été fait. Il ne répond ni oui ni non. J’ap­pelle L‑M : c’é­tait dans un état… et me com­mu­nique son numéro de compte.
- Tu lis mal, un numéro de compte de poste ne s’énumère pas ain­si.
Il recom­mence.
- Il doit y a voir des tirets entre les chiffres, regarde bien!
Il recom­mence.
Lorsque j’in­tro­duis le numéro de compte dans le sys­tème de paiement en ligne de la poste l’or­di­na­teur me le refuse: le numéro est incor­rect.
Le lende­main, ma mère m’emmène à Lhôpi­tal. A l’ap­proche de la mai­son je me couche sur la ban­quette arrière. Elle gare la voiture der­rière la pile de bois. Je sors, sors la clef de sa cachette. Et décou­vre l’é­tat du jardin. Aca­cias brulé, mau­vais­es herbes sur le seuil, noiseti­er pen­dant, rosiers en tra­vers de la porte, puits mal dégagé. Et sur le plateau de cui­sine, assi­ette a demi-lavée, casse­role rem­plie d’eau trou­ble, out­ils en vrac, et le comble, la paire de gants de jar­di­nage: l’un dans la véran­da, l’autre dans l’herbe. 

A Gimbrède

A Gim­brède, bonne humeur bravache du posti­er sur sa tournée. Alors, il va faire chaud! Et ce repas de la chas­se? Com­ment ça va là-dedans? Jusqu’au jour où je souligne son car­ac­tère sym­pa­thique.
- Oh, me répond le voisin, il ne faut rien en croire! Son fils est mort en Thaï­lande et tout ce qu’il a dit c’est: bien fait, il n’avait qu’à pas aller si loin!

De mon ami d’adolescence sa mère

De mon ami d’ado­les­cence sa mère que je ren­con­trais un jour à la mai­son de la radio me dit, je crois qu’il a souf­fert lorsqu’il vivait à Brux­elles, d’ailleurs il a fini à la soupe pop­u­laire. Gala de même, à pro­pos de son fils, m’ex­pli­quait, c’est quelqu’un de frag­ile, quelqu’un… Manière dans les deux cas de par­ler de son enfant comme d’un autre qui sur­pren­nent mais ont peut-être pour but de se pré­mu­nir con­tre l’im­pact émo­tion­nel que sus­cit­erait l’évo­ca­tion directe.