Difficulté à trouver un jardinier pour mettre en ordre le jardin de Lhôpital avant la venue des Berlinois. Le voisin m’écrit que la commune a dépêché des ouvriers nettoyer les alentours de l’église, l’un d’entre eux serait près à débroussailler mon terrain pour cent euros. Ces ouvriers je les connais. Assignés aux travaux d’intérêt public ils sautent d’un pont de camion, baillent, fauchent, fument une cigarette et attendent la pause. L’an dernier, comme ils partent dîner, je leurs souhaite bon appétit et à tout à l’heure.
- Oh, non, c’est fini pour nous.
- Et l’herbe?
- Personne nous a dit de ramasser.
Considérant qu’il faut une heure pour débroussailler, 100 euros est une demande de salaire présidentiel, formulée j’imagine, comme font souvent ces gens-là lorsqu’ils ont affaire à un Suisse, à la manière d’un pari: s’il refuse, je suis quitte, s’il accepte, je saurai pourquoi je m’efforce.
Je refuse. Seulement le jardin doit être fait et si j’entreprends le travail moi-même le bruit des machines alertera le maire qui dénoncera ensuite ma présence à la gendarmerie.
J’appelle L‑M. Il demande un rendez-vous. J’explique que je suis en Espagne. Et d’ailleurs c’est inutile, lui dis-je, je t’explique à l’oral puis je t’envoie un mail. Il insiste. Rendez-vous sur le quai de la gare de Cornavin un dimanche. Vingt minutes d’explication. Mieux vaut que tu me mettes cela par écrit, me dit-il. De retour à Fribourg je lui adresse un plan de la propriété, un plan d’accès, une liste des travaux, je nomme les outils, informe mon voisin, calcule qu’il lui faudra à son rythme, qui n’est pas le mien, 13 heures et suggère de les répartir ainsi, demi-journée puis journée complète, il pourra passer la nuit sur place. L‑M annonce qu’il va emprunter une voiture. Annonce qu’il n’en trouve pas. Change la date. J’offrais Fr. 400.- pour que le travail soit fait dans les meilleurs délais, me voici contraint de maintenir l’offre pour une date ultérieure. Une semaine passe. L‑M annonce qu’il a trouvé une voiture. Le jour dit, pas d’appel. Ou plutôt si, à 21h00, pour me dire qu’il vient d’arriver dans la maison, qu’il fait nuit, qu’il a eu de la peine à trouver, qu’un accident s’est produit aux alentours de Coppet (il habite Genève, Lhôpital est en direction de Lyon). Le lendemain, il appelle.
- Je ne trouve pas… comment dit-on… le rateau et…las tijeras gandes.. mais… aalô?… je n’ai pas d’unités, tu peux me téléphoner?
Peu après, un message. STP, demande à ta femme de m’acheter une carte de téléphone. Gala se rendait sur place ce second jour des travaux, afin de veiller à leur bonne marche, or ceux-ci n’ont pas commencés et elle ne peut déplacer sa venue, elle prend le train pour la Côte d’Azur dans l’après-midi. Je l’embrasse, elle quitte Fribourg sans carte pour L‑M, descend à Genève, emprunte la voiture du bureau, fait route vers Lhôpital. Nouveau message de L‑M: je trouve pas de couteau.
J’écris à mon voisin qui travaille dans les souterrain des organisations internationales. C’est moi qui ai tes outils, répond-il. Je l’avais pourtant averti. Le soir le voisin de retour de Genève apporte les outils. Message de L‑M: c’est la jungla. Et m’avertit qu’il doit rendre la voiture à 17h00 à Genève. Avant de monter dans le TGV pour Nice, Gala me téléphone: c’est dans un état…! J’explique que si j’envoie un jardinier, le paie Fr. 400.- c’est que je sais de quel état est le jardin. Le lendemain je demande par mail à L‑M quand il compte retourner à Lhôpital. Il dit qu’il ne sait pas encore quand il sera disponible et demande une rallonge. Je refuse. Il m’explique alors qu’il est un homme consciencieux et que je connais sa capacité de travail: il finira. J’écris au voisin pour m’assurer qu’il déposera mes outils et lui demande de prêter sa tondeuse à L‑M. Le jour venu, le voisin m’envoie par mail des recommandations sur la façon de procéder au démarrage. Je transmets à L‑M. Puis plus de nouvelles. Deux jours plus tard, je demande au voisin si le travail a été fait. Il ne répond ni oui ni non. J’appelle L‑M : c’était dans un état… et me communique son numéro de compte.
- Tu lis mal, un numéro de compte de poste ne s’énumère pas ainsi.
Il recommence.
- Il doit y a voir des tirets entre les chiffres, regarde bien!
Il recommence.
Lorsque j’introduis le numéro de compte dans le système de paiement en ligne de la poste l’ordinateur me le refuse: le numéro est incorrect.
Le lendemain, ma mère m’emmène à Lhôpital. A l’approche de la maison je me couche sur la banquette arrière. Elle gare la voiture derrière la pile de bois. Je sors, sors la clef de sa cachette. Et découvre l’état du jardin. Acacias brulé, mauvaises herbes sur le seuil, noisetier pendant, rosiers en travers de la porte, puits mal dégagé. Et sur le plateau de cuisine, assiette a demi-lavée, casserole remplie d’eau trouble, outils en vrac, et le comble, la paire de gants de jardinage: l’un dans la véranda, l’autre dans l’herbe.