Mois : novembre 2012

Nuit d’in­som­nie, sans repos, le som­meil empêché par la pluie et les échos de la rue. Le café est ma seule con­so­la­tion. J’at­tends le moment de le prépar­er et de le boire. Dans le noir, les yeux ouverts, je claque de la langue.

Rues de Genève lais­sées aux déshérités qui hantent le vide tan­dis que les fau­teurs de sit­u­a­tion s’indig­nent dans leurs vil­las devant les images qui mon­trent des com­bats lointains. 

J‑J. à qui je con­fie mon peu d’en­t­hou­si­asme à l’idée de faire pub­li­er Sin­is­to­ria chez un édi­teur français qui m’oblig­erait à faire le paon pour la pro­mo­tion du livre me dit: jamais d’au­to-pub­lic­ité, pas de pho­togra­phie, rien!

Lec­ture de J‑J. au Musée d’art mod­erne de Genève suiv­ie d’un repas au restau­rant. A table con­ver­sa­tion d’ap­pa­ratchiks de la cul­ture: bours­es et sub­ven­tions, sub­ven­tions et postes, postes et car­rière.  Je suis assis entre deux femmes. D’après la gouaille des français­es. En fait, des Mar­seil­lais­es. Je fais signe que je ne mangerai pas. Comme il vaut mieux adapter son dis­cours à l’in­ter­locu­teur sous peine de com­met­tre un impair — je pour­rais me révéler utile — elles me deman­dent ce que je suis. Ah, vous êtes Suisse? Main­tenant qu’il est établi que je ne suis per­son­ne, elles échangent les infor­ma­tions du jour: les aides munic­i­pales, elles ont fon­du, telle élue de droite, un crabe, la mai­son de la poésie, un beau pro­jet, et pour con­clure: Mar­seille est un ville dure. Oh moi, dit la pre­mière, je passe mon temps dans mon ate­lier. Après quoi elle explique à la tablée qu’il s’ag­it d’un pau­vre ate­lier avec vue sur la mer, dans un quarti­er mal­famé. L’autre se répand en impré­ca­tions con­tre un com­mis­saire d’ex­po­si­tion. Après cette passe d’armes, les deux artistes mar­seil­lais­es s’adressent aux Français qu’elles ne con­nais­sent pas: et vous, vous vivez où en France? Il appa­raît alors que tous les Français qui sont autour de la table, y com­pris les Mar­seil­lais­es, vivent à Genève.

Der­rière la fausse apparence le pro­grès de la norme.

Boule­vard de Pérolles un enfant crie aux pas­sants: arrêtez de marcher! ne marchez plus! ça ne sert à rien!


Le Pro­fesseur juge mon style clas­sique. Ce qu’il entend comme une cri­tique est pour moi une sat­is­fac­tion, clas­sique voulant dire pour lui passé, pour moi hors du temps. L’o­rig­ine de son juge­ment est évi­dente: la phrase doit boule­vers­er la syn­taxe pour mar­quer l’his­toire. C’est établir la pri­or­ité de la forme et exiger l’art pour l’art quand je priv­ilégie le sens.

Seul sujet en poli­tique, la dis­pari­tion de l’intériorité.

Réin­tro­duire la notion grecque du métèque, notion liée à la démoc­ra­tie. Nous n’avons ni l’une ni l’autre, que la foire aux apparences.

Au théâtre pour la pre­mière fois depuis huit ans. Dès les pre­mières répliques, je m’ef­force de penser à autre chose. Je fixe des objets, fais un plan de tra­vail, place mes ren­dez-vous, songe à mes lec­tures. Hélas je ne peux m’isol­er tout-à-fait. Les éclats de voix, les mou­ve­ments brusques me ramè­nent à la pièce. L’ensem­ble est mis­érable, inter­prété sans corps et sans voix. Pas trace du spir­ituel. Ici et là le texte est coupé d’ex­traits des clas­siques: Shake­speare, Molière, Racine. Alors j’é­coute et mesure mieux la déchéance de la langue, syn­taxe sans musique ni équili­bre, mots inap­pro­priés aux idées qu’ils cherchent à exprimer, vul­gar­ités de journalistes.