Gala répond au téléphone une fois sur deux. N’annonce rien, sinon” j’ai déménagé, je suis dans le sud… il fait chaud, je crois que je vais me mettre à l’ombre.”
Mois : juin 2011
Courtoisie des américains, gentillesse. Et calme. L’Europe est trépidante, agressive. Mais sur cette gentillesse, que fonder? La conversation ne prend pas. L’immensité des paysages a vidé les esprits. On comprend la force caricaturale que peuvent revêtir ici les religions du désert.
Enfin nous quittons l’Utah et les règles des Mormons, pas de cigarettes, de thé, de café, d’alcool (plusieurs femmes autorisées, mais dans ces déserts nous n’en voyons aucune ), nous voilà chez les indiens de la Navajo Nation: alcool interdit. Les routes sont pleines de bus scolaires jaunes qui emmènent les petits indiens vers les bâtiments des missions évangéliques. Autour, le dépotoir. Carcasses de véhicules, mobile-home plantés en terre, villes bidons et palissades. Nous allons chercher des hamburgers à la croisée des routes, nous manquons renverser un gamin de douze ans ivre-mort.
Neige le matin sur Rolley — je jette des casseroles d’eau bouillante sur le pare-brise de la camionnette. Les enfants courent nus et enfumés et se jettent dans le spa. Chaque matin j’appelle Gala. Dix-sept heures en France. Qui ne répond pas. J’envoie un message. Puis la ligne est interrompue. Il est l’heure de reprendre la route. La journée nous marchons dans les parcs, souvent seuls. Nature puissante, qui fascine. Beaucoup de silence. Que nous compensons en parlant sans cesse pendant le voyage.
Ici c’est l’Utah, nous dit l’homme qui porte une tête de boeuf en métal serrée sur la glotte, l’alcool est à 1%. Le patron hausse les épaules et nous regarde quitter le bar, regagner le motel. A Hatch, il y a: le motel, le bar, la station-service, trois esplanades de gravier où ranger des caravanes.
A Saint-Georges, première ville que nous traversons après avoir quitté Las Vegas en direction de l’est, la caissière du supermarché demande à mon frère — dont le fils est bientôt en âge d’acheter de l’alcool — de présenter son passeport pour autoriser l’achat d’un paquet de bière. Dans une vitrine, des cannes à pêche, des balles et des fusils-mitrailleurs.
Longue promenade sur le Strip, à pied, en tapis roulant, via des passerelles, des couloirs, à l’intérieur, à l’extérieur. Un ciel peint, vénitien, succède au ciel bleu du Nevada. Plus loin, la fontaine de Trevi, la statue de la liberté, le palais des Doges, Ghizé. Choses venues d’ailleurs. qui pour la plupart n’existent qu’ici. Ebahis, les américains regardent. Parlent peu. Ils semblent avoir perdu leur texte. Le long des galeries, sur des étages et sur des kilomètres, les marques de luxe tiennent boutiques. Peu d’acheteurs. Les vendeuses, élégantes et debout (interdiction de s’asseoir) regardent défiler les touristes. Tout cela comme si le metteur en scène était pris dans un embouteillage et qu’on l’attende pour commencer. La dure réalité est aux carrefours des grandes avenues, là où sont assis des clochards aimables et anéantis. Mais eux aussi rsemblent attendre de retrouver un rôle. Ce qui est optimiste. Du reste, l’ambiance est policée. Donc menacée d’une constante rupture d’équilibre. Que seule imagine l’européen. Car l’américain semble vivre dans une enclave d’éternité qui offre, comme toute enclave, les avantages et inconvénients de la prison.
Petit déjeuner à quatre heures du matin dans un restaurant du rez de chaussée au milieu des machines à sous. Les salles capitonnées n’ont pas de fenêtres, la musique est constante, notre serveuse incarne une star des années 50. Des mexicains et des slaves parmi le personnel. Nourriture à la consistance proche du mortier. Je commande un expresso, “Ana Dominguez” m’apporte un demi-litre de café clair. En face du restaurant, sur le tapis, une Corvette “à gagner”.